Djilali Hadjadj: « Il y a absence manifeste »

Djilali Hadjadj. Porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC)

« Il y a absence manifeste »

El Watan, 8 août 2009

La loi 06/01 résulte de la transposition en droit interne algérien de la Convention contre la corruption, adoptée en 2003 par l’ONU et ratifiée par l’Algérie en 2004. Cette loi contient un grand nombre de recommandations générales liées surtout à la prévention et très peu de prolongements réglementaires. Djilali Hadjadj porte-parole de l’Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC) aborde, dans cet entretien, les mécanismes pouvant lutter contre la corruption

Comment expliquez-vous que l’organe de prévention et de lutte contre la corruption ne soit toujours pas entré en fonction ?

L’Agence gouvernementale contre la corruption est en attente d’installation depuis la parution de la loi 06/01 du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption, qui en a prévu la création ; un retard qui avoisine les 3 ans et demi ! Un des textes d’application de cette loi est le décret présidentiel du 22 novembre 2006 qui fixe la composition, l’organisation et les modalités de fonctionnement de cet organe ; mais là aussi plus rien depuis. Cet énorme retard dans l’installation effective est l’absence de volonté politique de lutter contre la corruption, absence de plus en plus manifeste et qui n’est plus à confirmer. Les pouvoirs publics démontrent tous les jours que c’est leur choix.

Mais alors pourquoi avoir ratifié en 2004 la Convention des Nations unies contre la corruption ? Pourquoi avoir légiféré en 2006, une loi très insuffisante au demeurant ?

Tout cela était un simple coup d’épée dans l’eau, à la fois pour les consommations interne et externe, mais aussi pour faire de ces instruments des moyens de pression et de chantage dans le cadre des pratiques de règlement de comptes au sein de l’oligarchie au pouvoir et de sa périphérie. Les nombreux scandales de corruption, en constante augmentation, en sont aussi la preuve.L’Exécutif est en train de « dératifier » la Convention des Nations unies contre la corruption, se désengageant toute honte bue et allant jusqu’à s’opposer frontalement à la mise en place au sein des Nations unies de mécanismes internationaux de suivi de l’application de cette Convention (notamment lors des deux premières conférences des Etats-partie, en décembre 2006 en Jordanie et en février 2008 en Indonésie) ! Cette « dératification » est probablement le résultat d’un consensus, au sein du pouvoir, visant à geler de fait l’application de la législation anti-corruption, notamment l’installation effective de cet organe, et à contrer toute velléité d’où qu’elle vienne de lutter contre la corruption. Par ailleurs, tout un chacun a en mémoire l’éphémère expérience de feu l’« observatoire national de surveillance et de prévention de la corruption » créé en 1996 par le président Zeroual et dissous en 2000 par l’actuel chef de l’Etat.

Le président de la République n’a même pas désigné les 6 membres de l’organe…

C’est effectivement une prérogative du président de la République et, à ce jour ni les 6 membres ni le président de cet organe n’ont été nommés. Parmi les raisons de la non-installation de cet organe pourrait figurer le désaccord sur le choix de ces « 7 incorruptibles ». Chaque « puissant » du moment voudrait placer son homme pour mieux contrôler cet organe et ne pas en être « victime »…

Vous avez dit que la loi 06/01 est en retrait par rapport à l’esprit de la convention onusienne…

La loi 06/01 résulte de la transposition en droit interne algérien de la Convention contre la corruption, adoptée en 2003 par l’ONU et ratifiée par l’Algérie en 2004. Cette loi contient un grand nombre de recommandations générales liées surtout à la prévention et très peu de prolongements réglementaires. Elle est très en retrait par rapport à la Convention des Nations unies et à celle de l’Union africaine, notamment concernant l’absence d’indépendance de l’organe de prévention et de lutte contre la corruption prévu par la loi, l’absence du droit à l’accès à l’information, les limites du dispositif relatif à la déclaration de patrimoine, les restrictions dans la participation de la société civile, la non-protection des dénonciateurs de la corruption, les revers d’une nouvelle incrimination intitulée dénonciation abusive, etc.

Comment expliquez-vous le fait que les cadres de l’institution militaire ne soient pas concernés par la déclaration du patrimoine ?

Le processus de déclaration de patrimoine est défini par la loi 06/01 et par les textes réglementaires du 22 novembre 2006. Non seulement ce processus n’est pas appliqué, mais il est complexe, insuffisamment détaillé, les catégories de déclarants sont multiples et la diversité des niveaux de gestion des déclarations le complique encore davantage. Concernant les cadres de l’institution militaire, effectivement, l’article 6 de cette loi, qui énumère les fonctions et mandats sujets à déclaration, ne comprend pas les chefs de l’armée, contrairement à l’ordonnance n°97-04 du 11 janvier 1997 qui le prévoyait à travers son article 6. Qui a voulu faire ce « cadeau empoisonné » aux militaires ? Est-ce à la demande de leur institution ? Cette dérogation de fait est contre-productive pour les chefs de l’armée : elle sème le doute et la suspicion et pourrait faire croire qu’ils bénéficient d’un statut d’impunité alors que la Convention des Nations unies et la loi 06/01 précisent que la déclaration de patrimoine concerne les « agents publics ». Si au regard du droit algérien, les militaires ne sont pas des « agents publics », il aurait fallu le préciser dans la loi du 20 février 2006 ! Mais nul ne doit être au-dessus de la loi. La loi portant statut de la magistrature du 6 septembre 2004 a prévu un dispositif particulier de déclaration de patrimoine pour les magistrats. Pourquoi n’a-ton pas fait de même au niveau de l’ordonnance n°06-02 du 28 février 2006 portant statut général des personnels militaires ? Il est temps de rectifier le tir et d’intégrer les militaires dans le corps des « agents publics ».

Le rôle de la société civile est occulté, contrairement à la convention de l’ONU…

En effet, l’article 15 de la loi 06/01 est très restrictif à ce sujet et n’évoque pas du tout les associations ; cet article reflète d’ailleurs la position négative sur cette question de la délégation gouvernementale algérienne lors des négociations de la Convention des Nations unies contre la corruption à Vienne de 2001 à 2003. Cette position contraire à l’esprit et à la lettre de la Convention onusienne est confirmée au quotidien par toutes les pressions, les intimidations, les interdits et les emprisonnements arbitraires que subissent les associations libres, les syndicats autonomes, les médias indépendants et les dénonciateurs de la corruption.

A quoi serait due la disparition de fait de la Cour des comptes ?

Lui rappelant de très mauvais souvenirs, Bouteflika ne veut pas entendre parler de la Cour des comptes ! Créée en mars 1980 surtout pour régler des comptes au sein du pouvoir, la Cour des comptes a eu pour « premier client », un certain… Abdelaziz Bouteflika, nouvellement déchu du pouvoir par le « nouveau » pouvoir – après la disparition de Boumediène : le dossier à charge n’a pas été difficile à remplir tellement l’impunité était la règle pour tous ceux qui ont eu à occuper, de très longues années durant, des fonctions ministérielles importantes, « sonnantes et trébuchantes ». Le quotidien gouvernemental El Moudjahid de l’époque avait d’ailleurs participé au lynchage de Bouteflika, publiant des pages entières sur les conclusions de la première enquête de la Cour des comptes présidée au moment des faits par Ahmed Taleb El Ibrahimi. Arrivé au pouvoir en 1999, Bouteflika a tout fait pour ignorer la Cour des comptes, refusant par exemple de publier le rapport annuel de cette institution au Journal officiel alors que c’est une obligation législative ; son prédécesseur a eu au moins le mérite de le faire à deux reprises. N’eût été la consécration constitutionnelle de cet organe de contrôle, on peut penser que Bouteflika aurait dissous la Cour des comptes. Il a essayé depuis, suite aux recommandations de la commission qui a planché sur la réforme des institutions de l’Etat, de substituer à la Cour des comptes une inspection générale de l’Etat placée directement sous la tutelle de la présidence de la République, mais visiblement, ce projet n’était pas pour plaire aux autres décideurs du pouvoir. En attendant, la Cour des comptes agonise, dirigée par le même commis du pouvoir depuis plus de 12 ans.

Par Nouri N.