Le « Qui tue qui ? » reprend du terrain

Alors que les autorités se taisent sur les derniers attentats terroristes

Le « Qui tue qui ? » reprend du terrain

Le Matin, 9 janvier 2003

L’apathie du Pouvoir fait craindre une année des plus sanglantes, pire que toutes celles que nous avons connues ces dix dernières années. En moins de huit jours, plus de soixante Algériens ont été assassinés dans d’horribles circonstances par les tueurs islamistes, sans qu’aucune voix officielle s’élève pour dénoncer le carnage. Plus important, aucun acte politique concret n’est venu rassurer l’opinion sur la volonté de l’Etat d’endiguer le péril avant que le drame ne s’amplifie. Nous sommes, à bien des égards, dans la même situation qui a prévalu au sommet de l’Etat au lendemain des premiers massacres terroristes et où les gouvernants, tentés par une compromission avec l’islamisme, ont tout fait pour minimiser la portée des actes terroristes. Le silence des autorités actuelles alimente à dessein toutes les spéculations, non pour entretenir le doute sur les commanditaires et les exécutants des tueries mais, surtout, pour tétaniser la population afin de mieux la préparer à la solution miracle proposée par le Président Bouteflika : sans concorde nationale, pourrait-on dire, il n’y a point de salut. Dit autrement, si l’on n’absout pas les islamistes de leurs crimes, la guerre ne sera que plus horrible, et plus longues seront les souffrances.
C’est à cette logique que répond le mutisme calculé du Pouvoir. Moins il s’implique, plus il entretient, en le confortant, le flou entourant la nature du conflit qui déchire le pays et qui, outre-mer, semble se réduire à une confrontation entre une opposition armée – quand bien même serait-elle teintée d’islamisme – et un Pouvoir militaire dictatorial. Ainsi, on en arrive à ressusciter les vieux démons, essentiellement le sentencieux « Qui tue qui ? », cher à l’Internationale socialiste et à ses relais locaux.
Alors que les attentats du
11 septembre 2001 avaient fait espérer une meilleure compréhension de la guerre livrée à l’Algérie par une autre internationale, celle de Oussama Ben Laden et consorts, la même qui a provoqué la naissance d’un front international contre le terrorisme, c’est tout le contraire qui est train de se dessiner pour l’Algérie. Par un incroyable retournement de situation, dû justement au silence coupable du Pouvoir et à ses tergiversations, l’opinion occidentale est, aujourd’hui, beaucoup plus inquiète du « comportement » des généraux algériens et plus intriguée de la subite fortune de Khalifa qu’émue par les massacres qui fauchent indistinctement civils et militaires. Même s’ils contribuent à entretenir l’amalgame, on ne peut accuser, ici, les médias occidentaux d’être responsables de ce retour de manivelle qui renvoie dos à dos islamistes assassins et Pouvoir corrompu, en leur imputant la paternité du drame, tout en faisant peser, cependant, de lourdes présomptions sur l’Armée.
Ainsi en est-il des dernières « révélations » sur l’assassinat des moines de Tibhirine qui a provoqué une onde de choc en France, à un moment où l’Hexagone, par où se décide la politique algérienne de l’Europe, faisait part de son intention de relancer la coopération avec notre pays.
Il en est également de cette diversion sur l’affaire Khalifa que d’aucuns accusent, outre-mer, de blanchir « l’argent des généraux ». La campagne médiatico-politique, amorcée ici même et relayée à l’étranger, en France plus particulièrement, par des milieux politiques acquis au « Qui tue qui ? », a pour seul but de ternir l’image de l’ANP et, ce faisant, de remettre en cause l’effort de guerre qu’elle mène contre le terrorisme islamiste.
Et pour corser le tout, voici revenue à l’ordre du jour l’affaire des 7 000 disparus, évidemment « enlevés par les services de sécurité », pour reprendre l’explication en vogue, puis « exécutés » et « jetés dans des fosses communes ». A aucun moment, il n’est dit mot sur les dizaines de milliers de personnes kidnappées par les groupes terroristes et dont seuls subsistent quelques ossements au fond de puits désaffectés ou quelques maquis oubliés.
Le paradoxe est tel que le terrorisme chez nous n’est plus le fait des islamistes du GIA et du GSPC ­p; que la puissante Amérique a pourtant inscrit sur sa liste noire pour ses liens avérés avec Al Qaïda -, mais a pour auteurs, inévitablement, les généraux algériens, l’ANP et la « redoutable sécurité militaire ». En Algérie, ce ne sont pas les islamistes qui tuent, ce sont les généraux. La sentence a de quoi séduire Bouteflika et ses amis, heureux de se débarrasser à vil prix de ceux qui les gênent le plus dans leur tentative totalitaire : l’Armée nationale populaire et les forces patriotiques acquises à l’idée d’une Algérie républicaine et démocratique.
Ali Laïb

 L’affaire Tigha et des moines de Tibhirin (10.01.03)