Après la mesure de grâce envers les détenus
Après la mesure de grâce envers les détenus
Jusquoù ira Bouteflika ?
El Watan, 7 août 2002
Le pouvoir a habilement sorti la carte de la libération des détenus du mouvement archs. Apparemment, il a «sauvé» les élections locales doctobre dans lesquelles il a «réinséré» le FFS, parti frondeur qui se retrouve dans le cours politique légal, effritant le «bel unanimisme» qui sest développé contre lautorité officielle au sein de lopposition lors des législatives de mai dernier tenues sans la Kabylie et contre elle.
Le parti dAït Ahmed joue aujourdhui cette nouvelle carte pour quaux élections locales, il puisse maintenir ses bastions traditionnels et, si possible, en arracher dautres grâce aux archs dont il escompte une sorte de retour dascenseur, tout en sachant que ce mouvement lui est globalement hostile. Ce jeu exacerbe le RCD qui dénie au FFS toute «tutellisation» des archs en mettant en avant son «essence populaire». Il peut mener le parti de Saïd Sadi à boycotter le prochain scrutin, sauf si le pouvoir lâche encore du lest, prend des mesures énergiques acceptées par la Kabylie et prouve quil est réellement animé de la volonté de tourner la page. Mais on nen est pas encore là. Pour lheure, la sortie de prison des détenus du mouvement citoyen de Kabylie a évité laggravation de la situation sur le terrain, laquelle aurait atteint un pic dramatique le 20 août, date anniversaire du congrès de la Soummam, dont la symbolique a été mise en avant lannée dernière par les archs dans une lutte pour la «réappropriation» de lhistoire. Cette libération permet aussi aux archs de rappeler leurs positions quils disent navoir pas changées dun iota tout en affirmant quils sont prêts à écouter le pouvoir et même à négocier avec lui. Apparemment, la crise est sortie de limpasse mais le répit risque d’être de courte durée si dautres décisions énergiques ne viennent pas accompagner la libération des détenus, laquelle est comprise fondamentalement comme mesure dapaisement et non comme solution à la crise. Celle-ci renvoie à la plate-forme dEl Kseur considérée comme non satisfaite, notamment sur le point relatif au démantèlement des unités de gendarmerie et sur la question des relations entre les autorités exécutives locales et les structures populaires locales. Benflis a évoqué dernièrement devant les deux Chambres parlementaires le «retour au dialogue» mais personne ne le prend au mot du fait que le dossier de la crise en Kabylie lui échappe totalement au profit de la Présidence de la République alors même quofficiellement cest toujours lui qui est chargé de le «gérer». Bouteflika, ce nest un secret pour personne, est le seul maître à bord, incontournable, bien quau fil des années il ait perdu beaucoup de sa superbe et de terrain, au gré de ses errements et inconséquences. Ses initiatives prochaines ne peuvent être comprises quen rapport avec sa stragégie à long terme. Il chercherait à bouleverser les alliances autour de lui et recoller les morceaux pour desserrer l’étau politique qui hypothèque lourdement ses chances dun second mandat. Il ne verrait que dun bon il la disparition de la crise en Kabylie qui la beaucoup affaibli et même ne refuserait pas un peu de sympathie de la part de la population de la région. Cest autant de gagné pour lui tout spécialement dans le bras de fer feutré qui loppose aux militaires, lesquels lui ont signifié quils se démarquent de sa gestion dun certain nombre de dossiers, de lislamisme surtout, et quà lavenir, ils ne coopteront plus de chefs dEtat. Ce message a lavantage de donner de la lisibilité à une vie politique opaque que se partagent, souvent en sentre-déchirant, plusieurs pôles de décision. Le retrait annoncé de ceux quon avait appelés les décideurs de lombre reste à se vérifier sur le terrain à lapproche de l’élection présidentielle et au moment où aucune des graves crises que connaît le pays nest réglée. Mais il a le mérite dexister et peut lever beaucoup dhypothèques. Sur la question de la crise en Kabylie, Bouteflika est aujourdhui mis devant ses responsabilités, ne pouvant prétexter laffluence dautres acteurs décisionnels. Il a toute latitude dapporter les réponses quil faut si, bien entendu, il ne cède pas de nouveau à son penchant naturel quest la manuvre politicienne sordide quand bien même il soit animé du souci, somme toute légitime, de briguer un autre mandat.
Par A. Bahmane