Algérie: questions sur un accord

Algérie: questions sur un accord

Réactions mitigées après l’adieu aux armes de l’AIS. «L’application de cet accord, si elle venait à se réaliser, ne constituerait qu’un élément de la solution politique, sans aucunement la remplacer. Taleb Ibrahimi, l’un des ex-candidats à la présidentielle

José Garçon, Libération, 8 juin 1999

Quatre ans après que la presse et les autorités algériennes se sont déchaînées contre les signataires de «l’offre de paix» de Rome, accusés d’avoir parlé et réclamé publiquement une négociation avec les «politiques» du mouvement islamiste, l’Algérie officielle a confirmé dimanche qu’elle était en pourparlers secrets depuis deux ans avec l’AIS, le bras armé du FIS. «La voix de la raison s’élève et l’emporte», commentait hier le quotidien officiel El Moudjahid, loin du «charognards» lancé à l’époque aux partis et personnalités politiques qui avaient rencontré les islamistes du FIS. La confirmation formelle, dimanche soir, par l’AIS de son adieu aux armes «définitif» n’en constitue pas moins un beau coup médiatique pour le nouveau chef de l’Etat. Surtout à la veille du sommet de l’OUA (Organisation de l’unité africaine) prévu en juillet à Alger et sur lequel Abdelaziz Bouteflika compte beaucoup pour redorer une image ternie par les conditions de son élection.

«Faiseur de paix». Cinq semaines seulement après ce scrutin contesté par toute l’opposition et commenté amèrement par les principaux partenaires étrangers de l’Algérie, le Président se présente en effet comme un «faiseur de paix», fût-ce à moindres frais, puisque l’AIS observait une trêve unilatérale avec l’armée depuis 1997 (Libération du 7 juin). L’acceptation formelle de cette organisation de se mettre «sous l’autorité de l’Etat» lui permet, en outre, d’être crédité de cette avancée, même si l’AIS était de facto sous la tutelle de l’armée depuis cet accord.

L’abandon de la lutte armée par l’AIS, peu susceptible de changer grand-chose sur le terrain – sauf à en espérer un effet d’entraînement pour les autres groupes armés attirés par la perspective d’une amnistie -, a été saluée par les partis qui ont fait campagne pour Abdelaziz Bouteflika: le RND (au pouvoir), le FLN (ancien parti unique), les formations islamistes, le MSP de Mahfoud Nahnah et En-Nahda, ainsi qu’une (petite) formation, le PRA. Si les associations de «familles de victimes du terrorisme» y voient, pour leur part, une «réhabilitation du terrorisme», le RCD de Saïd Sadi, opposé jusqu’ici comme elles à tout contact avec les islamistes, a beaucoup perdu de sa virulence habituelle, signe supplémentaire, estime-t-on à Alger, de sa participation au gouvernement qui sera formé après le sommet de l’OUA.

Solution politique. Restent les principaux rivaux de Abdelaziz Bouteflika dans la course à la présidence. Tout en se félicitant de l’adieu aux armes de l’AIS, ils soulignent qu’il ne peut suffire à un règlement de la crise. Ahmed Taleb Ibrahimi, qui avait été soutenu par le FIS, estime ainsi que «l’application de cet accord, si elle venait à se réaliser, ne constituerait qu’un élément de la solution politique, sans aucunement la remplacer. Car celle-ci pourra simplement préparer la voie à la réconciliation nationale indispensable pour sortir le pays du cycle de la violence». Préoccupation analogue du FFS de Hocine Aït-Ahmed qui redoute une volonté du pouvoir «d’évacuer l’aspect politique de la crise» et qui exige la publication du contenu de l’accord. Jusqu’ici, en effet, on en ignore tout, sinon qu’il devrait aboutir à une «amnistie» excluant les crimes de sang. Ce qui ne va pas sans paradoxe s’agissant d’une organisation qui, pour n’avoir pas pris pour cible la population, n’a pas épargné les forces de sécurité et les miliciens armés par l’Etat. Quand ce texte de loi sera-t-il présenté au Parlement? «En temps opportun», s’est borné à affirmer Abdelaziz Bouteflika qui sait cependant pouvoir compter sur l’actuelle Assemblée où il dispose d’une large majorité et qu’il pourra, en outre, dissuader de «mal voter» en agitant le spectre d’une dissolution anticipée.

Divisions du FIS. On ignore également ce que le pouvoir entend faire du FIS lui-même et de son numéro deux Ali Benhadj, qui est toujours détenu. Autre inconnue: comment les divisions du mouvement islamiste influeront-elles sur la suite des événements? Abdelkader Hachani, le numéro trois du FIS, actuellement en liberté conditionnelle, n’a jamais fait mystère de ses réticences sur la manière dont Madani Mezrag et Rabah Kébir, le porte-parole du FIS à l’étranger, ont géré la trêve. A l’exception de ce dernier, aucun des dirigeants politiques du mouvement ne s’était exprimé hier soir sur les derniers développements.

 

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