L’ANP face au chant des sirènes

L’ANP face au chant des sirènes

par Mohamed Zaâf , Le jeune Indépendant, 28 décembre 2003

L’institution militaire a décidé le plus solennellement du monde de se conformer à une stricte neutralité, d’accepter le libre choix du peuple. Ce qui veut dire qu’elle s’engage dorénavant à ne plus «aider» au départ d’un chef d’Etat mais aussi à ne plus désigner ou imposer – comme l’avouait le général à la retraite Khaled Nezzar dans ses écrits – un Président à la tête du pays.

Respectée convenablement jusqu’ici, la décision marque en elle-même, une grande avancée en direction des aspirations démocratiques à vivre dans une République qui ne sera plus affublée du terme humiliant de «bananière». En décidant d’être neutre, l’armée choisit d’appartenir à tous les Algériens et de ne plus faire le jeu d’une frange contre une autre, ce qui est logique et louable.

Sauf qu’aujourd’hui nous vivons une situation paradoxale où ce sont les forces politiques, notamment celles en déficit d’ancrage, qui harcèlent l’institution militaire pour qu’elle poursuive sa gestion du politique de derrière le rideau, pour que les rôles, les quotas et les responsabilités puissent toujours faire partie des largesses du prince et dont on pourra user et abuser sans rendre compte, en toute impunité.

Quelques mois à peine de neutralité de l’armée ont suffi pour faire apparaître les partis politiques dans toute leur nudité. Une bonne partie ne peut voler de ses propres ailes et semble désemparée à l’idée qu’il faudra s’assumer pleinement sans ne plus compter sur la magie de la casquette.

La classe politique éprouve des difficultés énormes à se trouver un chemin sans la boussole militaire. Le monde politique réagit comme un orphelin sans protection et cherche jusqu’à nos jours à entraîner l’institution militaire dans la chose politique, y compris parfois dans les affaires internes de leurs propres formations.

Une nouvelle culture malsaine qui, autant que faire se peut, encourage notre armée à un rôle de «proxénète politique». Des politiques, qui prétendent publiquement avoir les solutions et les aptitudes nécessaires pour diriger un pays aussi complexe que le nôtre, se rabattent sur l’armée et sollicitent son appui, sachant qu’ils ne pèseraient pas lourd s’ils devaient se lancer avec leurs seules forces dans une bataille politique ou électorale où les règles démocratiques seraient réellement respectées.

D’où le chant des sirènes qui se fait plus fort à mesure que l’on approche de la présidentielle. M. Benbitour a appelé dans son manifeste à un «code de la route» politique à mettre communément en place. Ce code de la route, qui est en soi-même une excellente idée, devrait être pensé de façon à privilégier les règles de l’élection et faire donc barrage à la cooptation ou autres formes de désignation.

L’une des manières d’aider à la victoire des «règles de l’élection» c’est de faire accepter par tous l’interdiction de se faire aider de quelque manière que ce soit par l’armée pour parvenir ou pour se maintenir au pouvoir. Ce qui n’est en fin de compte qu’une interdiction pour éviter à l’armée d’usurper un rôle et une souveraineté consacrés à son seul peuple.

M. Z.

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Après les appels d’une partie de la classe politique pour l’impliquer dans la prochaine présidentielle

L’ANP n’interviendra pas

par Sihem H. , Le Jeune Indépendant, 28 décembre 2003

L’institution militaire ne compte pas changer de position par rapport à sa neutralité dans les affaires politiques, particulièrement concernant la prochaine élection présidentielle. Selon une source sûre, «aucun changement n’est intervenu depuis les déclarations du chef d’état-major, lors de ses sorties médiatiques au cours de cette année, susceptible d’engendrer un revirement de notre institution».

Le général Mohamed Lamari avait, en effet, clairement affiché, dans une interview accordée à l’hebdomadaire français Le Point au mois de janvier dernier ou encore dans celle parue durant le mois de juin dans le quotidien égyptien El-Ahram, la non-implication de l’ANP dans la prochaine présidentielle.

Cela en partant du principe que le choix du Président ne relève pas des prérogatives de l’armée, même si elle est intervenue à «titre exceptionnel pour l’arrêt du processus électoral avant de revenir à sa mission constitutionnel le juste après l’élection de M. Bouteflika à la tête de l’Etat».

«L’institution militaire reconnaîtra le Président élu, même s’il est issu du courant islamiste à condition qu’il respecte les règles du jeu», a ajouté le général Lamari. Cette déclaration avait suffi pour soulever des réactions en chaîne de la classe politique dont la majorité demande maintenant l’intervention de l’ANP comme un gage pour le bon déroulement de l’élection présidentielle.

Des appels qui demeureront sans écho auprès de la grande muette. Le FLN est l’un des premiers partis à demander l’intervention de l’ANP prétextant une incapacité de l’administration à être impartiale. L’appel du parti d’Ali Benflis sera suivi par des personnalités politiques.

MM. Mouloud Hamrouche, Cherif Belkacem, Benbitour, Taleb El-Ibrahimi et Hocine Aït-Ahmed ont tous appelé, avec des expressions diversifiées, l’ANP à jouer un rôle en mars prochain. Pour M. Hamrouche, l’ANP, même en décidant de quitter le champ politique, «demeure partie prenante des mécanismes décisionnels déterminants et des choix stratégiques».

Le président de Wafa, Taleb El-Ibrahimi, a lui aussi invité l’armée à «exércer une pression positive sur l’Administration». Dernier en date, le président du parti El-Amel, M. Hadef, qui s’est déclaré candidat, a estimé, hier, que l’ANP doit être un acteur garant de la préparation, du déroulement et des résultats de l’élection présidentielle.

«L’armée ne doit pas être banalisée et exclue de la scène politique», dira-t-il. Le désengagement de l’armée signifie, selon les observateurs, que les candidats ne doivent compter que sur leurs seules compétences pour séduire l’électorat.

D’autant plus que le temps presse, notamment avec l’intervention du ministre de l’Intérieur, confirmant que les élections auront lieu dans les délais fixés par la loi, mettant fin aux illusions de ceux qui espéraient gagner des «strapontins» lors d’une nouvelle transition.

S. H.