Redistribution des cartes au Mali, la France abandonne discrètement l’option militaire

Redistribution des cartes au Mali, la France abandonne discrètement l’option militaire

Abed Charef, Maghreb Emergent, 23 Décembre 2012

En une semaine, la crise malienne a subi connu une redistribution totale des cartes, avec coup sur coup, une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU autorisant l’envoie d’une force militaire, et un accord entre deux formations touareg du nord Mali. Mais le changement le plus notable concerne l’évolution de la position française, qui a discrètement abandonné la position va-t-en guerre sarkozienne pour s’engager dans une démarche plus conforme à une pensée de gauche.

La signature d’un accord entre le Mouvement National de Libération de l’Azawed (MNLA) et l’organisation islamiste Ansar Eddine a couronné une semaine qui a bouleversé la donne dans la crise malienne. Une intervention militaire est désormais exclue dans l’immédiat, et parait peu probable à long terme, aux termes d’une résolution adoptée par le conseil de sécurité de l’ONU.

Au cours d’une réunion présidée par le Maroc, le conseil de sécurité a adopté une résolution qui définit une feuille de route très stricte. Autorisant la création d’une Mission internationale de soutien au Mali, sous conduite africaine, pour faire face à une situation au Mali qui « constitue une menace pour la paix et la sécurité internationale », le conseil a encadré cette démarche par un volet politique contraignant, qui reprend les grandes lignes de la démarche algérienne dans la crise malienne.

Réunis à Alger, Le MNLA et Ansar Eddine ont signé, vendredi 21 décembre, un accord qui marque une nouvelle avancée de la démarché algérienne. L’Algérie a toujours cherché à différencier ces deux mouvements, à composante touareg, d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et du MUJAO (Mouvement pour l’unité du jihad en Afrique de l’Ouest). L’Algérie a notamment réussi à imposer Ansar Eddine comme un interlocuteur des autorités maliennes, alors que la France considérait ce mouvement comme une organisation terroriste. Dans le même temps, Alger a exercé de frortes pressions sur Ansar Eddine pour l’amener à prendre ses distances avec AQMI et le MUJAO, et à prendre définitivement un virage politique, alors que le mouvement avait, un moment, pactisé avec les mouvements terroristes.

Malgré des hésitations de certains dirigeants d’Ansar Eddine, l’Algérie a obtenu gain de cause. Ansar Eddine s’est engagé à agir pour obtenir la libération de tous les détenus ou otages, et à s’engager dans un dialogue politique avec les autorités de Bamako. Bien qu’il affirme que la charia ne sera pas remise en cause, les autres partenaires ne désespèrent pas de le voir assouplir ses revendications sur cette question.

Paris abandonne l’option de la guerre dans l’immédiat

Mais le virage le plus important dans cette crise a été pris par la France, qui a discrètement changé d’attitude, en admettant que la solution prônée auparavant était irréaliste. Au cours de sa visite à Alger, le président François Hollande a implicitement confirmé cette évolution, en déclarant qu’il n’y avait pas de divergences entre les deux pays sur la crise malienne.

Jusque-là, la France voulait une intervention militaire rapide de forces africaines, auxquelles elle se disposait à apporter l’aide logistique nécessaire. L’Algérie avait fait campagne contre cette formule. Le ministre des affaires étrangères Mourad Medelci et celui des affaires africaines et maghrébines Abdelkader Messahel, avaient effectué de nombreux déplacements auprès des membres permanents du conseil de sécurité, notamment la Chine et la Russie et, surtout les Etats-Unis. Washington avait bloqué un premier projet français au conseil de sécurité, estimant que la situation n’était pas mûre. Les Etats-Unis considéraient, comme l’Algérie, qu’une aventure militaire rapide et mal préparée risquait de provoquer le chaos. Un consensus s’est finalement dégagé autour d’une formule plus complexe : engager un processus politique au Mali, rétablir les institutions, former une force africaine qui viendrait en appui à une armée malienne chargée de reconquérir le nord.

L’ancien président de la commission européenne et ancien premier ministre italien, désigné par M. Ban Ki Moon comme représentant spécial pour le Sahel, a lui aussi contribué à refroidir l’enthousiasme français envers une guerre. Au cours d’une tournée dans la région, il avait clairement affirmé que la guerre serait, pour lui, le dernier recours, quand toutes les possibilités de dialogue auront été épuisées.

L’armée malienne au centre du jeu

La démarche est antipodes de celle prônée initialement par la France, qui voulait une intervention rapide, jusqu’à ce que les Etats-Unis insistent : une force de 3.000 hommes serait totalement impuissante face à plusieurs milliers de combattants touareg et d’un nombre indéterminé d’éléments d’AQMI et du MUJAO.

Le premier acte de cette nouvelle politique s’est joué au Mali, avec la destitution de l’ancien premier ministre, qui apparaissait comme le plus fervent défenseur d’une intervention militaire étrangère. Sa mise à l’écart n’a pas suscité de réaction particulière à Paris. M. Diango Cissoko, qui l’a remplacé, semble plus porté vers le dialogue : il était médiateur de la république au Mali.

Ce changement de premier ministre remettait également au centre du jeu l’armée malienne, dont l’homme fort, le capitaine Sanogo, qui avait renversé le président Amadou Amani Touré au printemps, se présente comme le vrai garant de tout processus de politique au Mali. Il dirige aussi une institution qui veut sa revanche, après avoir été humiliée par les hommes d’Ansar Eddine, qui avaient pris le nord du mali en quelques semaines, sans trouver de véritable résistance.

Dimanche soir, le ministre algérien des affaires étrangères Mourad Medelci se félicitait de cette évolution qui se poursuit au Mali, mais il rappelait que « ce n’est qu’une étape ». Pour lui, « le plus dur est encore devant nous ». M. Medelci fait notamment allusion à la nécessité d’encadrer le processus, pour éviter un dérapage qui pourrait déborder sur toute la région, et à la situation actuelle au nord du Mali. A côté d’une application stricte de la charia, avec les mutilations physiques de personnes qui la violent, et la destruction systématique des mausolées traditionnels, des milliers de réfugiés maliens vivent dans des conditions difficiles en Algérie, au Burkina-Faso, en Mauritanie et au Niger.