«Une mal-vie inouïe ronge la société»

UN RAPPORT ALARMANT SERA REMIS AU CHEF DE L’ÉTAT AVANT LE 30 MARS

«Une mal-vie inouïe ronge la société»

Par Mohamed BOUFATAH , L’Expression, 22 mars 2012

«la souffrance sociale très répandue dans la société à laquelle il faut trouver la solution dans les plus brefs délais.»

Le rapport de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (Cncppdh), qui sera transmis avant le 30 mars au chef de l’Etat, a abordé ce que son président Farouk Ksentini appelle «la souffrance sociale très répandue dans la société à laquelle il faut trouver la solution dans les plus brefs délais». Cette mal-vie rend «l’existence quasiment intolérable», a-t-il commenté hier lors de son passage à la Radio nationale. «Remédier à cette situation passe par la construction de logements accessibles aux jeunes, la création des emplois pour cette frange sociale et la motiver. Cette situation très difficile relève d’une extrême urgence et de laquelle découle le phénomène des harraga», reconnaît-il. «La solution existe d’autant plus que la situation financière de ce pays nous permet de l’envisager», fait-il savoir. Mais quel écho sera réservé au rapport de M.Ksentini sachant qu’il a adressé plusieurs rapports de ce genre auparavant? Dans ce contexte, il dira que néanmoins «les propos que nous diffusons sont quand même entendus même s’ils ne sont pas suivis de solutions que nous souhaitons car ‘il faut du temps au temps ».» «Des initiatives sont par ailleurs prises suite aux observations colportées par nos rapports annuels, justifie-t-il.
«Nous avons été alertés d’une manière conséquente sur le problème du traitement des cancéreux et des soins que nécessite leur état. Et nous avons malheureusement constaté que les choses ne sont pas à la hauteur désirée.» Nombreux sont les malades qui se plaignent de n’être pas pris en charge comme il se doit. Il y a notamment la pénurie des médicaments concernant cette pathologie, lesquels sont très coûteux et tous importés. Ceci relève d’un problème qu’il faut maîtriser et sur lequel il faut réfléchir.»
«A travers notre rapport, nous voulons attirer l’attention du chef de l’Etat.» Quel est le contenu de ce rapport? Dans ce rapport devant relever les carences graves du système de santé en général, que les spécialistes disent qu’il est en agonie, et le problème des cancéreux qui meurent d’attendre une improbable prise en charge, «il est souligné tous les efforts qui ont été faits dernièrement pour rattraper la situation» toutefois, nuance l’invité de la radio, «ces efforts se sont avérés insuffisants car les retards accumulés sont trop important». «Les choses vont mal»,dira-t-il en citant les malades, les médecins et les paramédicaux qui l’ont contacté. La pénurie des médicaments parmi ces graves carences récurrentes, «reste difficile à comprendre et à accepter», selon lui.
En se demandant comment ce phénomène a pu se réaliser et qu’est-ce qui serait susceptible de justifier ce phénomène, Farouk Ksentini se défend d’avoir commis un rapport improvisé et approximatif. Le rapport en question est réalisé sur «la base de requêtes et doléances des citoyens qui viennent se plaindre», explique-t-il. Et, ce après avoir enquêté auprès du corps médical, paramédical et malades ainsi que leurs familles, justifie-t-il. Le rapport de l’Association de lutte contre le cancer est extrêmement alarmant et dramatique. Il a fait état de plus «de 30.000 femmes atteintes de cancer du sein, qui souffrent en silence dans l’attente d’un traitement approprié et qu’on ne peut leur administrer faute de médicament d’une part et d’appareillages nécessaires de l’autre pour les soigner correctement», indique-t-il. Or un cancer non soigné à temps voulu entraîne inexorablement la mort du patient.
Qu’en est-il de la saisine des responsables du secteur, notamment le ministre de la Santé? «Le ministre ne peut pas ne pas être au courant de cette situation regrettable puisqu’il est représenté au sein de notre commission, donc le problème est connu de tout le monde». Cependant, Farouk Ksentini se ravise et dit qu’ «il n’est pas un sniper et n’a pas l’intention de tirer sur qui que ce soit». Farouk Ksentini s’est attaqué à des partis politiques, en les accusant de pratiquer «la fraude morale». «La fraude physique est la manipulation des bulletins de vote. On peut la contenir. Des dispositions suffisamment sévères ont été prises à l’occasion des prochaines élections qui vont écarter cette fraude physique. À mon avis, ce n’est pas la plus dangereuse.
La plus dangereuse est la fraude immatérielle, la fraude morale. Lorsque je vois des candidats, des partis, promettre des choses mirobolantes, irréalisables, qui risquent de tromper les électeurs, je suis inquiet. Les programmes que j’ai lus ne sont pas chiffrés. Il y a du discours d’ordre général et des promesses qui ne procèdent pas de la réalité des choses», a-t-il déclaré sur les ondes de la Chaîne III. Dans le rapport annuel de la Commission, il est mentionné aussi des discours «populistes, démagogiques, corporatistes, régionalistes» et l’utilisation de «la religion à des fins politiques» dont les partis politiques abusent.
Selon lui, «l’usage de la religion à des fins politiques ou électoralistes doit être totalement interdit car la Constitution elle-même l’interdit». «Il est connu et reconnu que l’Islam est la religion de tous les Algériens, la religion de l’État algérien. Il n’y a pas besoin d’exploiter des textes sacrés, des textes coraniques, à des fins électorales. C’est inadmissible. Cela peut être dangereux. Pour avoir des électeurs, il faut trouver des arguments ailleurs que dans la religion. La religion est un domaine intime qui doit rester au-dessus de toute lutte électorale», a-t-il fait remarquer.
Par ailleurs, la génération qui nous gouverne a fait la guerre de Libération. C’est quelque chose d’extraordinaire, mais c’est fini. Il faut laisser la place à la nouvelle génération qui, elle, doit jouer le rôle qui est le sien et gérer ce pays», a-t-il souligné. Farouk Ksentini a appelé la France à présenter des excuses pour les crimes commis en Algérie durant la période coloniale. «C’est essentiel. Et c’est la moindre des choses que la France devrait faire. Je ne comprends pas comment un pays qui compte des intellectuels, des historiens, des personnes de haut niveau, n’arrive pas à percevoir cette réalité élémentaire. Réalité selon laquelle la France a colonisé d’une manière criminelle un pays avec lequel elle n’avait aucun contentieux. La colonisation est la négation absolue des droits de l’homme. La France s’est comportée, ici en Algérie, d’une manière odieuse et impardonnable», a-t-il déclaré.
«La France a toujours refusé de pardonner à ceux qui ont collaboré avec les Allemands et elle vient nous demander de pardonner aux harkis. Cela est inconcevable. Je ne comprends pas pourquoi la France ne balaie pas devant sa porte avant de venir nous conseiller et nous donner des leçons de morale sur des gens qui ont trahi leur pays», a-t-il encore souligné. Enfin, il a tenu à dénoncer sur un autre registre l’usage abusif de la détention préventive par les juges.