Les auteurs du génocide algérien désormais passibles de poursuites judiciaires

Les auteurs du génocide algérien désormais passibles de poursuites judiciaires

JUGEONS LES RESPONSABLES !

Mustapha Tossa, Maroc-Hebdo, 11 décembre 1998

S’il est vrai qu’une action en justice, internationale soit-elle, a peu de chance d’arrêter net le rouleau compresseur qui écrase les enfants d’Algérie, si poursuivre certains symboles de la répression militaire qui ont enfanté des monstres invisibles, a peu de chance d’arrêter l’hémorragie algérienne, il n’en demeure pas moins qu’une action en justice, même symbolique, peut avoir plus d’effets que n’importe quelle amicale pression politique. Elle fera le procès politique de la répression et ne manquera pas de lever le voile sur la responsabilité des pyromanes sans lesquels le bilan de la guerre ne serait pas aussi déraisonnable.

Comme Maroc Hebdo international l’annonçait la semaine dernière en exclusivité anonyme, des défenseurs de droits de l’Homme algériens ont menacé de réitérer l’exploit du juge espagnol baltazar garson à l’égard des responsables algériens en les poursuivant devant les juridictions internationales pour « crimes à l’humanité ».

Le général Mohamed Lamari

Dévoilée à Paris lundi 8 décembre 98 en pleines festivités des 50ème Anniversaires de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’information a provoqué une immense onde de choc à l’intérieur de microcosme maghrébin de France. « Ainsi donc, nous confiait, un observateur averti des arcanes algéro-françaises, la guerre civile algérienne ne sera plus traitée en France par le langage constipé des diplomates, mais par la passion déchaînée de juges ». La menace de poursuites judiciaires contre les responsables algériens a été formulée par deux avocats algériens Mohamed Tahri et Mohamed Khellili qui ont affirmé qu’en Algérie, il n’y a pas un Pinochet mais des « Pinochet » avant de préciser: « Nous avons 3500 dossiers ficelés, comportant toutes les preuves y compris parfois le nom de l’officier qui a procédé à l’arrestation. Tous les témoignages convergent pour dire que les personnes en question ont été enlevées par les services de sécurité ». Cette démarche juridique intervient à un moment où, à l’approche du mois du Ramadan, la violence algérienne a repris ses droits donnant à la volonté et à la capacité du gouvernement algérien d’éradiquer le terrorisme un air de boutade loufoque. Elle intervient aussi dans un climat de lugubres découvertes de charniers et de fosses communes, si quotidiennes et si fréquentes qu’elles donnent l’impression que l’Algérie s’est transformée, par la grâce de cette violence politique, en un immense cimetière. Sans doute, est-ce pour toutes ces raisons que cette menace juridique paraît s’inscrire dans l’ordre naturel des choses et se présente dépouillée de toute intention subversive ou déstabilisatrice?

Menace juridique

Criminaliser l’État algérien derrière lequel est, de moins en moins, tapis dans l’ombre une institution militaire clanique et mafieuse devient un doux pléonasme. L’originalité est ailleurs. Elle réside dans le fait que cette initiative parte de France, un pays à la fois si impliqué, si exposé et en même temps si retenu et si « contraint dans son expression » pour reprendre la célèbre formule de Lionel Jospin, Premier ministre, révélatrice d’horizons fermés et d’impuissances béantes. Même si lors de son discours à l’UNESCO à l’occasion du 50ème Anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, le président Jacques Chirac a laissé échapper une phrase qui ne devrait pas passer inaperçue dans les hautes sphères algériennes. « Ainsi se construit peu à peu un nouvel ordre juridique mondial où personne, pas même les chefs d’États, ne sera à l’abri de poursuites en cas de crimes contre l’humanité ». Dans la bouche d’un président-symbole d’une droite connue au cours de son histoire pour ses liaisons dangereuses avec les dictateurs, quand elle n’en faisait pas l’élevage sur le continent africain, cette phrase a de quoi dresser des cheveux blancs sur les crânes dégarnis des enfants de Lion Blum et de Mendés France. Elle peut être interprétée par un appareil judiciaire avide de revanche et de reconnaissance comme un feu vert donné à des démarches de salubrité publique et internationale.

Le président Liamine Zeroual

« L’international » pour le moment concerne l’Algérie et sa guerre civile sans images, n’était-ce les soupirs « des folles d’Alger », ces mères algériennes à la recherche désespérée de leurs progénitures, et dont les gémissements parviennent jusqu’à nos oreilles gavées de musique techno et de clips publicitaires. Les avocats algériens Khellili et Tahri ont fait le terrible constat que la nation de « violations » n’était pas assez forte pour rendre compte de la situation des droits de l’Homme en Algérie. Ils ont choisi le concept « Crime à l’humanité » qui fait de l’irrationnelle violence algérienne un cas d’espèce unique dans l’histoire des barbaries.

Gémissements

Qui poursuivre en Algérie? Qui rendre responsable de cette descente en enfer programmée et assumée? Qui? sinon les vrais détenteurs du pouvoir en Algérie, ceux qui font et défont les princes, ceux qui ont transformés ce pays en un juteux cadastre et qui, pour s’approprier une licence d’import export, passent par pertes et fracas des villages entiers. Le général Lamari et ses acolytes… S’il est vrai qu’une action en justice, internationale soit-elle, a peu de chance d’arrêter net le rouleau compresseur qui écrase les enfants d’Algérie, si poursuivre certains symboles de la répression militaire qui ont enfanté des monstres invisibles a peu de chance d’arrêter l’hémorragie algérienne, il n’en demeure pas moins qu’une action en justice, même symbolique, peut avoir plus d’effets que n’importe quelle amicale pression politique. Elle fera le procès politique de la répression et ne manquera pas de lever le voile sur la responsabilité des pyromanes sans lesquels le bilan de la guerre ne serait pas aussi déraisonnable. Dans l’entourage des avocats algériens rebelles qui viennent de mettre le feu à la poudrière, on murmure qu’une démarche judiciaire de ce type peut aboutir au minimum au gel des avoirs à l’étranger.

Dossiers ficelés

Certains responsables algériens identifiés comme directement coupables d’assassinant, de torture, de séquestration bref de « crime à l’humanité », « ainsi, nous dit-on sous couvert d’anonymat, Amnesty, H.R.W., la fédération et autres organismes de défense de droits de l’Homme agissent, mais leur action reste au stade de la dénonciation et de l’information de l’opinion internationale, une action en justice devant des juridictions internationales peut aboutir à des mandats d’arrêts internationaux et des saisies de biens » Sur un tout autre plan, beaucoup plus politique, Maroc Hebdo International a appris que certains lieux de pouvoir dans les capitales occidentales peuvent utiliser de manière diplomatique la fameuse « menace de poursuites judiciaires contre des responsables algériens », comme moyen de pression pour influencer le jeu politique algérien à la veille de l’élection présidentielle. Paris, par exemple, ne cache plus son désir de voir un civil élu accéder à la fonction suprême algérienne, un civil capable, entre autre, de nettoyer en douceur les écuries d’Augias, de mettre à l’écart quelques personnes trop voyants et d’ouvrir le jeu politique algérien de manière à ramener la paix civile. Faut-il conclure finalement que le principe de la justice internationale, très à la mode par les temps qui courent, n’est en fait qu’une autre manière de faire de la politique et d’agir sur les évènements?

 

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