Commémoration de l’enlèvement du militant par des paras français : Maurice Audin, cet Algérien…

Commémoration de l’enlèvement du militant par des paras français : Maurice Audin, cet Algérien…

El Watan, 13 juin 2010

11 juin 1957. Tandis que la guerre d’indépendance en est à sa troisième année, et que la Bataille d’Alger fait rage, l’on frappe à la porte du domicile de Maurice Audin, mathématicien de renom, membre du Parti communiste, mais aussi et surtout militant engagé dans la lutte contre le colonialisme.

« Il était 23h. Je savais qu’aussi tardivement, cela ne pouvait être qu’une mauvaise chose. Pourtant, je leur ai ouvert. Les paras ont débarqué et l’ont embarqué. En partant, ils m’ont lancé : ‘S’il est raisonnable, il sera là dans une heure.’ Il n’a pas dû l’être, puisque je ne l’ai jamais revu… », se souvient sa veuve, Josette Audin. Son poignant témoignage, recueilli par Mohamed Rebah, a été relaté, hier, au cours d’une conférence-débat en la mémoire du martyr, organisé au forum d’El Moudjahid. Porté « disparu », nul ne retrouvera plus jamais la trace de Audin. « Si ce n’est quelques-uns de ses compagnons qui, comme Henri Alleg, ont dit l’avoir croisé dans différents centres de détention et de torture des militaires français », raconte M. Rebah. Qu’est-il advenu de lui, mais aussi de sa dépouille mortelle ? « Seuls ses tortionnaires et ses assassins le savent », explique-t-il, avant de poursuivre : « Même si les Français ont avancé la thèse selon laquelle, chose impossible, il s’était évadé, l’on suppose qu’il a succombé aux sévices subis, et qu’il a été inhumé en secret. » Et le sinistrement célèbre général Massu, qui détenait les pleins pouvoirs à Alger, n’a, jusqu’à sa mort en 2002, jamais voulu révéler quoique ce soit quant aux détails de ce qui est devenu « l’affaire Audin ».

Et ce, en dépit des nombreuses plaintes déposées par sa famille ou encore leurs requêtes de lever le secret quant aux archives de l’armée française. D’autant plus que dans son pays d’origine, « il est considéré comme un traître à la nation ! », s’offusque pour sa part Gérard Tronel, président de l’association Maurice Audin. « Toutefois, nous nous battons contre cette infamie, et afin de réhabiliter sa mémoire. Ce qui commence par l’inauguration d’un square à son nom, ainsi que l’instauration du prix Audin qui récompense des mathématiciens de France et d’Algérie », affirme-t-il. « Le sang versé n’a qu’une couleur : celle de l’Algérie ! » Et même si en Algérie Audin est fêté en héros, reste qu’il demeure pour la plupart « l’un des Français qui a rejoint la lutte de Libération nationale aux côtés des Algériens », déplore, quant à elle, la moudjahida Zohra Drif Bitat, émue aux larmes. Car ces combattants d’origine européenne étaient Algériens à part entière. « C’est triste et grave, cette négation du combat qu’ils ont mené pour notre pays, qui est le leur. Maurice Audin et tant d’autres ont tout simplement accompli leur devoir. Le sang versé sur le champ de bataille ou dans les geôles coloniales n’avait pas de tampons. Il était de la même couleur. C’était du sang algérien ! », de s’écrier la moudjahida. « Maurice Audin était Algérien, s’est battu en Algérien et il est mort en Algérien », a conclu Mme Drif Bitat, sous les applaudissements de la nombreuse assistance composée essentiellement d’anciens combattants, toutes origines confondues, et qui ont risqué leur vie, main dans la main, pour libérer l’Algérie du joug colonial.

Par Ghania Lassal