Interview avec le président du Comité national des marins pêcheurs, Hocine Bellout

Hocine Bellout. Président du Comité national des marins pêcheurs

«On a tué l’Ecorep pour enrichir des importateurs véreux»

El Watan, 24 avril 2011

Le président du Comité national des marins pêcheurs, Hocine Bellout dresse un tableau noir de la situation du secteur de la pêche. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur le désastre occasionné par la pollution chimique, la pêche à la dynamite et aux filets dérivants ainsi que l’extraction illégale et anarchique du corail et du sable.

– Quelle analyse faites-vous de l’état des lieux du secteur de la pêche, en général, et de la situation des marins pêcheurs, en particulier ?

Je peux vous dire d’emblée que la situation est catastrophique. Les 52 000 marins pêcheurs, qui activent au niveau des quatorze wilayas côtières, ont du mal à survivre et craignent tous de se retrouver avec une retraite comprise entre 8000 et 12 000 DA. Avec les unités de l’Ecorep (ndlr, Entreprise de construction et de réparation navale) qui existaient le long de la côte, les pêcheurs n’avaient pas de problèmes de disponibilité de la pièce de rechange ou d’acquisition d’embarcation, que ce soit pour les petits métiers ou les grands et à des prix très abordables. A l’époque, dans les quatorze wilayas, on trouvait des hélices pour des moteurs de 85 ch. Nous ne savons pas pourquoi ces unités ont toutes été dissoutes ou vendues et leurs équipements totalement disparus après avoir investi des milliards pour leur préservation. La seule unité qui a résisté est celle de Bouharoun, mais aux dernières nouvelles, elle va, elle aussi, connaître le même sort. Nous constatons qu’il y a une volonté manifeste d’encourager l’importation au détriment de la construction navale locale dont les produits coûtent trois fois moins cher que ceux ramenés de l’étranger. On a tué l’Ecorep pour enrichir des importateurs véreux. Tout l’argent injecté dans le cadre de la relance du secteur n’a pas donné les résultats escomptés.

– Qu’en est-il des aides financières accordées aux marins pêcheurs pour l’acquisition de navires de pêche dans le cadre de la relance du secteur ?

Ce sont encore une fois les riches qui ont le plus bénéficié de cette manne. Pour accéder à cette aide, il faut un apport personnel de 35 millions de dinars. Qui peut avoir cette somme si ce n’est les riches ou les pistonnés ? Les fonds de la relance n’ont pas profité aux vrais pêcheurs. Ces derniers ne représentent que 5% à peine des bénéficiaires. On aurait pu aider les unités de construction navales algériennes à accompagner les pêcheurs sachant qu’elles fabriquent les navires de 6 à 25 m. Nous savons aussi que dans ces crédits alloués pour l’importation de navires, il y a eu beaucoup de trafic. Les factures ont été, dans la majorité des cas, surévaluées avec la complicité des chantiers turcs et tunisiens. A Mostaganem, Oran et Tipasa, des jeunes bénéficiaires des aides de la relance ont été escroqués par ces importateurs et se retrouvent aujourd’hui non seulement au chômage, mais sommés de payer les intérêts de la banque. D’autres ont commandé des navires de Turquie, et à ce jour, des années après, ils n’ont pas réceptionné leur commande vu que celle-ci a été bloquée pour des raisons purement financières. Pourtant, l’Etat aurait pu éviter tout ce gâchis, en aidant les unités de constructions navales locales, en leur permettant de mettre à la disposition de ces pêcheurs des embarcations à des prix compétitifs au lieu d’aller faire travailler les chantiers étrangers. Les plus chanceux, et qui ont réussi à obtenir leurs navires, vivent des problèmes énormes avec les banques, vu que les intérêts restent quand même assez importants et l’activité ne cesse de chuter…

– Pourquoi l’activité de la pêche est-elle en régression alors que les potentialités de nos côtes sont importantes ?

La ressource est en diminution par rapport à avant, et les causes sont connues de tous : la pollution, le non-respect du repos biologique de la ressource, la pêche dans les zones interdites avec les filets interdits, la pêche à la dynamite et l’inefficacité pour ne pas dire des services de contrôle.

– Qui en est responsable ?

La responsabilité incombe aux pêcheurs et à ceux qui ont investi dans le domaine et qui ne connaissent pas les lois et ne sont même pas sensibilisés sur les risques que font peser ces actes sur l’avenir de leur activité. Il faut dire que les lois interdisant ces pratiques existent, mais elles ne sont pas appliquées. Vous ne pouvez pas imaginer le massacre que provoquent les filets dérivants parmi la population des dauphins et des marsouins. Nous sommes signataires de la Convention de Barcelone, portant protection de ces espèces, donc, nous avons l’obligation de les préserver. Les filets dérivants sont toujours tolérés, alors qu’ailleurs, ils sont carrément interdits. Même la taille marchande de la sardine n’est pas respectée. Faites un tour dans les marchés et vous allez trouver de la sardine de 4 cm alors que la loi l’interdit, et ce qui est très grave, c’est que la pêche à la dynamite continue d’être utilisée.

– Comment les pêcheurs peuvent-ils se procurer de la dynamite sachant qu’il s’agit d’explosif et de ce fait, non disponible sur le marché ?

La dynamite arrive du Maroc ou du Sahara. Il y a des personnes spécialisées dans l’extraction des anciennes mines encore enfouies dans le désert pour les transformer et être utilisées pour la pêche. Ces individus travaillent en réseau avec des ramifications dans certaines wilayas côtières. De nombreux accidents ont eu lieu ces mois-ci, et le dernier a été enregistré à Skikda où un médecin a été tué à la suite d’une mauvaise manipulation. Est-ce que vous savez ce que provoque un bâton de dynamite ? Et bien, sur un rayon de 5 km, il n’y aura plus de vie pendant 50 ans. Les dégâts sont plus importants que si l’explosion a lieu à l’air libre.

– Et les services des garde-côtes, que font-ils alors ?

Je ne sais pas. Pourtant, tout le monde sait ce qui se passe sur nos côtes. La dynamite que les pêcheurs appellent «esselaâ» est facilement achetée à Oran et à Skikda. Il suffit de connaître quelqu’un du milieu de la pêche. Ce sont ces pratiques qui ont fait chuter le tonnage de la pêche en Algérie. Le Maroc pêche 1,5 million de tonnes par an, la Tunisie 650 000 tonnes et l’Algérie, elle, est passée de 187 000 tonnes à 183 000. Même chose pour le corail que l’on continue à extraire avec des méthodes barbares. Vous savez comment ? Par ce que les pêcheurs appellent le procédé de la croix de St André : une raille métallique à laquelle sont accrochés des filets avec laquelle le pêcheur, plongeant en apnée, arrache le corail. C’est une pratique vraiment désastreuse pour cette ressource, mais qui rapporte gros. Le kilogramme de corail coûte sur le marché international 800 euros. Il y a quelques semaines, 60 kg de corail ont été découverts chez quelqu’un à El Kala, et rappelez-vous en 2000, il y a eu un Italien que les services ont arrêté avec 2 tonnes. Depuis, la quantité récupérée a atteint 6 tonnes. Il faut multiplier par trois cette quantité pour avoir celle qui échappe au contrôle. Savez-vous que 50 tonnes de poisson ont été jetées à Bouharoun à cause de la pollution. Les déchets de toutes les activités de la zone industrielle de Bou Ismaïl se déversent directement dans la mer. L’eau est d’ailleurs devenue jaunâtre dans cette région. Il n’y a même pas de stations d’épuration tout comme, d’ailleurs, au niveau de Oued Seybous qui charrie les rejets, y compris chimiques, des unités industrielles de sept wilayas sur une distance de 240 km, pour les déverser directement dans la mer. En plus, 160 000 litres de fuel sont jetés dans des fosses septiques non loin de cet oued, sachant qu’un litre d’huile pollue une surface d’un terrain de football et que 7,12 m3 de déchets secs peuvent polluer une surface de 100 ha et à 40 mètres de profondeur. La côte algérienne est traversée annuellement par 120 000 navires avec tous les risques de déversement chimiques et autres. Depuis 1964, nous avons perdu 35 km de côte à cause de l’extraction anarchique et illégale de sable.

– Qu’en est-il des services de l’environnement ?

Regardez autour de vous et dites-moi si la protection de l’environnement est effective. Rien n’est fait pour dépolluer ou instaurer une politique de préservation des espaces vitaux. Les spécialistes affirment que 65% des 15 000 litres d’air que nous respirons en 24 heures sont pollués et dans 45% des cas par les moyens de transports.

– Qu’avez-vous fait en tant que Comité national pour apporter un changement à ce constat catastrophique ?

Nous sommes impuissants, parce que les responsables de la pêche ne veulent pas nous impliquer ou nous entendre. Ils nous méprisent. Le ministre de la Pêche ne nous a jamais fait appel et préfère avoir comme uniques interlocuteurs les directeurs de son administration au niveau des wilayas. Nous lançons un SOS en direction du Président pour qu’il se penche sur le secteur qui est en danger de mort. Nous l’interpellons sur le devenir de l’Ecorep de Bouharoun. Les marins pêcheurs de poisson bleu sont totalement abandonnés. La ressource qui assure leur gagne-pain est en voie de disparition et ils ne savent pas comment assurer leur survie.

Nous refusons la fermeture de la dernière unité de l’Ecorep, parce qu’elle peut aider à réanimer le secteur en prenant en charge la rénovation de 60% de la flottille qui est en état de vétusté avancé. Nous ne voulons pas aller acheter ou réparer ailleurs que dans notre pays. Nous ne comprenons pas pourquoi fermer des entreprises algériennes pour aller faire travailler des unités étrangères. Nous pouvons redresser la situation et augmenter le ratio alimentaire en poisson qui est en deçà des 5,6 kg annoncés officiellement. Au Maroc, il est de 10 kg, en Tunisie de 8 et au Japon de 80. Le Fonds mondial de l’alimentation veut amener ce taux à une moyenne de 17 kg, et pour y arriver, il faut que l’Etat revoit sa politique de relance du secteur de la pêche.

Salima Tlemçani