Bouteflika partageait les positions d’Ouyahia sur la question des salaires

Bouteflika partageait les positions d’Ouyahia sur la question des salaires

Quelle marge pour Belkhadem ?

Saïd Chekri, Liberté, 28 mai 2006

Le nouveau chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, n’avait de cesse d’affirmer qu’il était temps de procéder à une augmentation des salaires. Du reste, c’était là, avec la fameuse question de la révision constitutionnelle, l’un des principaux sujets qui alimentaient la discorde entre le chef du RND et le secrétaire général du FLN. Seule précaution prise par ce dernier : il conviendrait de séparer le secteur économique de la Fonction publique. Pour le reste, il ne comprenait pas le refus de Ouyahia à concéder au monde du travail une amélioration des revenus alors que la croissance est de retour. Pendant ce temps, le chef du gouvernement et son parti préféraient s’en tenir à une certaine “rigueur” et soutenaient que toutes les conditions n’étaient pas réunies pour songer à une rétribution plus élevée du travail.
Il n’est pas dit que le secrétaire général du FLN ait toujours été réellement animé d’une conviction bien ancrée quant à ce dossier et qu’il n’exploitait pas à son profit cette manie du désormais ex-chef du gouvernement à aller constamment à l’encontre des revendications les plus légitimes qui émanent d’un segment quelconque de la société ou de la classe politique. Il est donc probable que Belkhadem ait utilisé cette intransigeance de Ahmed Ouyahia pour donner une consistance encore plus concrète à “l’impopularité” de son prédécesseur qui ne cherchait même pas à s’en débarrasser.
Mais à supposer que l’augmentation des salaires fait réellement partie des priorités de l’actuel chef de l’Exécutif, cela ne signifierait pas que c’est déjà chose faite. Si “ de tourner en rond” n’est plus là, c’est paradoxalement celui qui vient de lui indiquer la porte de sortie, soit le chef de l’État lui-même, qui pourrait lui succéder dans ce rôle. Car Bouteflika n’avait pas hésité à “donner raison” à Ouyahia et à mettre en avant la condition d’une “amélioration du niveau réel de la productivité” comme la contrepartie incontournable, pour aller à un relèvement des salaires. C’était le jeudi 23 février dernier, à la maison du peuple, à Alger, où l’on célébrait l’anniversaire de la création de l’UGTA et de la nationalisation des hydrocarbures. De surcroît, Abdelaziz Bouteflika n’était pas à court d’arguments pour défendre la position de son chef du gouvernement. Ce jour-là, le président de la République avait fait état de deux options stratégiques. Il s’agit, primo, d’œuvrer à une meilleure maîtrise de l’endettement extérieur pour “éloigner le risque de retomber dans la situation de vulnérabilité” que le pays avait connue. Secundo, l’essentiel des ressources engrangées par le pays, par la grâce de la conjoncture pétrolière favorable, devrait aller au financement des projets d’équipements et au renforcement de la croissance. C’était le prélude à une sentence qui n’allait pas tarder à tomber : “ces deux choix stratégiques ne sauraient être remis en cause par des impatiences sans doute légitimes aux yeux des intéressés eux-mêmes, mais qui détruisent la possibilité d’éradiquer le chômage et compromettent l’avenir des générations futures.” Le chef de l’État avait énuméré les paramètres auxquels devrait obéir toute politique salariale : productivité, maîtrise de l’inflation et croissance. Il ne lui restait plus, dès lors, qu’à exprimer ses regrets aux travailleurs et il ne s’était pas gêné de le faire. “J’aurais souhaité faire bénéficier tous les Algériens” de l’embellie financière actuelle, “mais il est impératif de ne pas reproduire les erreurs du passé”. Ahmed Ouyahia n’en aurait pas dit plus. Quant à Belkhadem, il lui était déjà de trouver à redire. Selon lui, il ne conviendrait pas de s’arrêter aux trois paramètres énoncés par le président de la République, à savoir la maîtrise de l’inflation, la croissance et la productivité. Il s’agit aussi, disait-il en mars dernier, d’introduire “d’autres paramètres” pour récompenser l’effort.
Qui plus est, une augmentation des salaires, outre qu’elle renforcerait la stabilité sociale, stimulerait la consommation et favoriserait la production et donc, par ricochet, fouetterait la croissance des entreprises, avançait encore Belkhadem, reprenant à son compte un argument classique mais pas forcément opportun dans un environnement concurrentiel.
En somme, le départ de Ouyahia ajoute une dose de complexité à la question de la révision des salaires. Plus prosaïquement, il s’agit à présent de se demander si Belkhadem ne sera pas amené à “oublier son combat” pour se mettre en phase avec le président de la République. Mais sans doute faut-il compter avec la prochaine tripartite qui, n’en doutons pas, va déboucher sur un “accord salarial” qui aura pour effet immédiat de sauvegarder les équilibres politiques. Pour un temps, tout au moins.

Saïd Chekri