L’Algérie devant la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU

L’Algérie devant la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU

Des statistiques et une réalité mal cachée

Mohamed Mehdi, Le Quotidien d’Oran, 14 novembre 2001

La Commission des Droits de l’Homme de l’ONU a entamé hier une session pour l’examen de la situation en la matière en Algérie. Le rapport algérien sur la situation des Droits de l’Homme a été remis il y a quelques semaines. L’argumentaire se base uniquement sur les chiffres et les statistiques pour «démontrer» que tout va bien dans le domaine associatif et des libertés syndicales. Il cache mal, en tout cas, la réalité. Des ONG vont présenter leur contre-rapport devant la Commission.

En matière de liberté d’association, le rapport affirme que cette dernière «est une donnée d’importance en Algérie», et que «le mouvement associatif constitue aujourd’hui, après les partis politiques, l’un des acteurs dynamiques et incontournables de la vie sociale, culturelle et scientifique».

En guise de démonstration, le rapport se contente d’affirmer que : «l’allègement de la procédure d’agrément instauré par la loi N°90-31 du 4 décembre 1990, en matière de facilitation des procédures de création, a engendré un essor considérable du nombre d’associations».

Pour ses rédacteurs, le nombre d’associations est un indice suffisamment éloquent pour décrire «la liberté d’association» qui règne en Algérie. On y lit : qu’«entre les années 1976 et 1988, soit une période de 12 ans, seules 98 associations nationales ont été agréées», alors qu’«entre 1989 et 1996, soit une période d’à peine plus de 6 ans, 678 associations nationales ont vu le jour». Ce qui porte au total le nombre d’associations nationales à 776 et à 45.000 autres à caractère local. Le rapport distingue plusieurs catégories d’associations : «Professionnelles (196), Sportives (78), Culture et Education (76), Santé et Médecine (62), Science et Technologie (46), Jeunesse (39), Mutuelles (31), Anciens étudiants (21), Amitié, Echanges et Coopération (21), Solidarité, Secours et Bienfaisance (16), Handicapés et Inadaptés (15), Femmes (15), Historiques (14), Tourisme et Loisirs (14), Associations étrangères (13), Environnement (12), Enfance et Adolescence (10), Retraités et personnes âgées (18), Droits de l’homme (5).

Sur le chapitre de la «liberté syndicale», le rapport adopte la même démarche. Puisque la loi «reconnaît aux travailleurs salariés des secteurs privé et public, le droit de se constituer en organisations syndicales autonomes et distinctes des partis politiques», la liberté syndicale serait donc effective. «Aujourd’hui, note le rapport de l’Algérie, on ne compte pas moins de 58 organisations de travailleurs salariés ayant une implantation nationale… (et) une multitude de syndicats autonomes, mais qui n’ont pas de consistance nationale».

Concernant le droit de grève, «élevé au rang de disposition constitutionnelle», les rédacteurs ne craignent aucune contradiction en affirmant, en même temps, que «le nombre de conflits collectifs, d’arbitrages et de conflits sociaux enregistrés chaque année, depuis décembre 1991, montre à l’évidence la vitalité des mécanismes de promotion des droits matériels et moraux des travailleurs», tout en constatant que, depuis cette même période, «le nombre de mouvements de grève a suivi une courbe descendante : 2.290 en 1989, 2.023 en 1990, 1.034 en 1991, 493 en 1992, 537 en 1993, 410 en 1994, 432 en 1995, 441 en 1996, 292 en 1997 et 195 en 1998». En réalité, si l’immense déstructuration qu’a subi le secteur public, particulièrement depuis 1994, et le lot des centaines de milliers de licenciements, n’ont pas engendré de grands mouvements de protestation, c’est justement à cause de l’absence de libertés syndicales et de restriction du droit de grève.

A contre-courant de la réalité, le rapport affirme que «les rencontres périodiques des trois partenaires sociaux – Gouvernement, patronat et syndicats (au pluriel dans le texte — ndlr) — sont une illustration de la prévalence de la politique de dialogue». Quel syndicat, autre que l’UGTA, a participé aux «pourparlers» des tripartites ?

Dans la pratique, cette approche statistique ne reflète nullement la nature, la consistance et le degré de liberté du mouvement associatif ni l’existence du pluri-syndicalisme en Algérie. Bien des tares, fondamentales, se cachent sous ses chiffres. Comme il ne suffit pas d’énoncer l’existence de lois accordant cette «grande liberté» pour supposer leur d’application. L’expérience des syndicats autonomes est là pour illustrer le parti pris des autorités en faveur de l’UGTA considérée, à tort, comme l’unique représentant des travailleurs.