« Une nouvelle vague d’islamophobie »
Le ministère de l’Intérieur définit une liste de comportements justifiant des expulsions. Dangereuse dérive, dénoncent les associations de défense des droits de l’homme.
L’Humanité, Londres, correspondance particulière, 26 août 2005
Si les mesures ultra-sécuritaires annoncées mercredi par le ministre de l’Intérieur britannique, Charles Clarke, sont manifestement destinées à répondre aux inquiétudes de la population après les attentats de Londres, elles suscitent de fortes inquiétudes pour les libertés et les droits élémentaires des citoyens. Et l’assentiment qu’avait pu recueillir Tony Blair au sein d’une grande partie de la population en annonçant sa volonté de « changer les règles du jeu » dans la campagne contre le terrorisme fait place au scepticisme, voire au rejet.
Charles Clarke a publié en effet une liste de « comportements inacceptables », justifiant l’expulsion des étrangers présentant une menace. Le caractère plutôt vague des définitions de cette liste a suscité la réaction de nombreux avocats, mouvements des droits de l’homme et autres porte-parole de la communauté musulmane.
Une partie de la presse (pas uniquement de gauche) est assez sévère dans ses critiques au ministre : the Guardian (centre gauche) déclare qu’il pourrait s’avérer illégal d’envoyer des personnes considérées comme indésirables dans des pays qui pratiquent la – torture. The Independent (centre) croit que les mesures sont « erronées » et ne feront rien pour combattre « le terrorisme du pays ». Et, selon le Financial Times (quotidien de la City), certaines des propositions sont raisonnables, mais d’autres sont « vagues et même alarmantes ».
Manfred Novak, de la commission des droits de l’homme de l’ONU, a pour sa part déclaré que la proposition de renvoyer des imams radicaux dans leur pays d’origine « reflète une tendance en Europe à se détourner de l’obligation internationale qui est de ne pas déporter des personnes où elles risqueraient d’être torturées ».
Pour sir Iqbal Sacranie, secrétaire général du Conseil musulman de la Grande-Bretagne, « expulser les extrémistes peut les transformer en héros, ce dont on n’a pas – besoin ». La commission islamique des droits de l’homme craint le déclenchement d’« une nouvelle vague d’islamophobie ». Et le maire de Londres, Ken Livingstone, a mis le gouvernement en garde contre des mesures imprécises qui auraient pu être utilisées dans le passé contre les alliés de Nelson Mandela, persécutés dans leur pays et réfugiés au Royaume-Uni. Les avocats qui traitent les questions des droits de l’homme sont de l’avis que c’est la loi, non pas un ministre, qui devrait s’occuper des personnes soupçonnées de poser une menace.
Pendant qu’on prépare « la chasse aux barbus », dont les propos enflammés étaient pourtant tolérés jusqu’alors en Grande-Bretagne, il est à noter que les kamikazes qui ont fait 56 morts à Londres le 7 juillet ont passé leur temps au gymnase plutôt qu’à la mosquée.
Peter Avis