Des centres d’enfouissements sécuritaires

Des centres d’enfouissements sécuritaires

Par Kamel Daoud, Le Quotidien d’Oran, 13 août 2005

D’un point de vue «policier», les extraditions organisées des islamistes londoniens sont une solution presque appropriée. Elles ont cet avantage d’être consommées par l’opinion occidentale comme une mesure préventive rationnelle, d’éloigner le danger par le mécanisme de la «poubelle» et d’illustrer une coopération, enfin effective entre les pays occidentaux ciblés par le terrorisme et les pays du sud de l’humanité qui les ont produits indirectement et qui doivent les traiter «chez eux», par leurs méthodes et en fonction de leurs politiques sécuritaires. Le monde habitable, coincé dans la logique des colis empoisonnés et des bombes humaines, verra se réduire le nombre des charters des touristes et augmenter celui des charters des extraditions. La solution est presque à applaudir et certains s’empressent déjà de la saluer dans le monde arabe comme un «réveil» de l’Occident à la menace internationale. Personne ne veut justement remarquer qu’à cette menace internationale n’est proposée que la solution de la «nationalisation» des islamistes par charters interposés.

La dernière solution de Blair sent pourtant le «pourri»: il s’agit, du point de vue du droit, d’une véritable solution extra-judiciaire et d’une pratique de ramassage qui donne aux pays arabes le rôle de «poubelles» sécuritaires où l’on va déverser les présumés coupables pour un traitement sale dont l’Occident ne veut pas se mêler. Les garanties obtenues par Blair, après ses contacts avec les pays arabes concernés, sont parfois un pur protocole et de simples garanties formelles. Tout le monde sait quelle est la situation du droit et celle du droit humain dans nos pays et sur quelle longue culture de guerres ou conflits politiques elle repose. La solution est aussi raciste qu’elle est insultante: les pays «d’origine» sont appelés à tourner comme des usines d’interrogatoires «libres de méthodes» et sont invités à trouver seuls la solution au cas des présumés coupables qui sont présumés coupables devant la justice des pays «d’origine» certes, mais aussi devant la justice des pays de l’Occident. La question est alors simple: pourquoi les extrader massivement vers nos pays et pourquoi ne pas les juger sur place après les avoir si bien utilisés comme «opposition» dormante, menace ou instrument de chantage politique? La réponse est qu’il s’agit d’une réponse alternative à la solution du Guantanamo: l’Occident de Blair, ne veut pas s’illustrer par une sorte de camp de concentration pour barbus comme les Américains, ni risquer le procès moral d’une partie éveillée de son opinion, ni avoir à en répondre devant des ONG et des campagnes qui demanderaient à en justifier la légalité. Il est plus simple d’agir comme on a déjà agi avec des déchets d’usines encombrants: des centres d’enfouissements judiciaires sont plus pratiques et peuvent même donner l’illusion d’une coopération active et responsable entre pays menacés. L’Occident se lave les mains du problème du terrorisme en balayant sous le tapis arabe, en quelque sorte. Longtemps avocat du traitement par le droit des présumés coupables des violences islamistes dans les pays arabes et longtemps juge et accusateur des politiques sécuritaires dans ces mêmes pays, l’Occident de Bush et de son Blair, a recours aujourd’hui à la même méthode. Une méthode qui chez nous a certes amené la sécurité des routes et des nuits, mais qui a coûté énormément, qui a réintroduit durablement la violence dans les quotidiens et qui a consacré des cassures et des blessures qui mettront des décennies pour être oubliées. Chez nous la méthode policière a été jugée sévèrement alors qu’elle était la moitié de la solution. Chez eux, elle est présentée, aujourd’hui, comme une politique alors qu’elle est la moitié du problème qu’ils ne veulent pas assumer. La réponse la plus «intelligente» a été trouvée dans la solution la plus facile: celle qui va mettre en échec ce droit fondateur de l’Occident, installer les clivages par des dérives et des accidents inévitables, entre les communautés musulmanes et le reste des peuples de l’Occident et consacrer l’image la plus insultante pour les pays arabes.

Et déjà un véritable dilemme se pose à ceux qui veulent réfléchir par eux-mêmes puisque ne pas parler de cette infraction scandaleuse est une complicité dans la violence et en parler de cette manière peut vous faire passer pour l’avocat du diable ou l’islamiste de secours.