Ksentini: «Pas de progrès, la situation est moyenne»

Farouk Ksentini, président de la CNCPPDH, à propos des droits de l’homme en Algérie

«Pas de progrès, la situation est moyenne»

par S.H , Le Jeune Indépendant, 9 décembre 2004

L e monde célébrera demain la Journée internationale des droits de l’homme, et même si l’Algérie ne recule pas dans ce domaine, aucune avancée significative n’est enregistrée. M. Farouk Ksentini, président de la Commission nationale des droits de l’homme perçoit l’amnistie générale lancée par le président Bouteflika comme étant un gage de bonne volonté pour remédier à une situation dont l’Etat demeure «responsable» Par Sihem H. L’évolution de la situation des droits de l’homme en Algérie enregistre une timide avancée qui demeure en deçà des objectifs fixés.

Ce constat est relevé par M. Farouk Ksentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l’homme (CNCPPDH) qui, dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, recense les lacunes du système politique adopté jusqu’à «il n’y a pas longtemps».

«Les droits de l’homme ne progressent pas, nous sommes dans une situation moyenne», affirme-t-il. Le système en question a entraîné un cumul des «transgressions chroniques des droits élémentaires des citoyens». Une raison pour laquelle «la remise en cause de toutes nos stratégies s’est avérée plus que nécessaire».

Les paramètres ayant favorisé la stagnation et surtout la fragilisation des droits de l’homme en Algérie sont légion, selon M. Ksentini. Il cite en premier lieu le mépris de l’administration qui cause «une rupture de tous les liens avec les citoyens».

«Le comportement de l’administration est l’un des principaux obstacles qui empêchent les droits de l’homme de prospérer. Un conflit permanent oppose ces deux côtés et, à chaque fois, l’administration s’en sort victorieuse», affirme-t-il.

C’est simple, «l’administration commet des irrégularités et le citoyen réplique par l’incivisme, au moment où le mépris mutuel persiste». Une justice de mauvaise qualité Le deuxième point cité consiste en la nature de «notre système judiciaire qui, étant de très mauvaise qualité, est parfois, et peut-être même souvent, loin de servir le justiciable».

«Tant que le magistrat ne bénéficie pas de toutes les conditions lui permettant de rendre une justice appréciable, on ne peut espérer un changement», estime-t-il. Pour le président de la CNCPPDH, tout est relatif : «Il y a manque de contrôle rigoureux dans le secteur de la justice ; les magistrats ne sont pas sanctionnés administrativement.

Un fait loin de les inciter à s’améliorer et à assurer de bons jugements.» Le manque de performance de la justice, ajoute-t-il, entraîne un lot de mauvaises conséquences dans la sphère économique et sociale. «Les droits sociaux (travail, santé.) ne sont pas assurés et le citoyen s’impatiente.

Tout cela conjugué à un code de la famille inéquitable», estime-t-il. Ce retard dans les réalisations économiques, M. Ksentini l’impute à la décennie du terrorisme durant laquelle «les priorités avaient changé de pôle». Vous ne pensez pas que le dossier des disparus a lui aussi participé à l’immobilisation des droits de l’homme ? «Non seulement il participe à cette immobilisation mais aussi, il faut le reconnaître, le dossier des disparus entache carrément tous les efforts consentis pour améliorer la situation des droits de l’homme», ajoute M. Ksentini, également président de la commission ad hoc installée par le président Bouteflika et chargée de plancher sur le dossier des disparus.

L’Etat prend conscience. Le plus important, actuellement, explique l’avocat qui a à son actif plusieurs années de militantisme en faveur des droits de l’homme, est que l’Etat ait «pris conscience de la nécessité de remédier à cette situation».

D’ailleurs, «une série de mesures ont été prises et plusieurs réformes engagées dans cette perspective». «La volonté politique d’améliorer la situation existe et c’est déjà très important», affirme-t-il, en précisant au passage que même si l’Etat n’est pas coupable, il demeure responsable.

Cela, dans la mesure où «il a failli à son obligation constitutionnelle de garantir la sécurité des citoyens». L’idée d’aller vers une amnistie générale lancée par le président de la République traduit justement, «à plus d’un titre, cette volonté».

Ksentini n’hésite pas à qualifier ce projet, qui mérite largement d’être soutenu, de «très courageux». «C’est un passage inéluctable pour assurer une restauration de la paix civile et permettre un progrès immense», affirme-t-il. Sans aucun quiproquo, M. Ksentini tient à préciser que «l’amnistie générale va en droite ligne des droits de l’homme».

D’autant plus qu’elle n’est pas imposée, puisque le président de la République a assuré qu’elle sera soumise à la volonté populaire à travers un référendum. D’après vous, à qui profitera cette amnistie ? Une question à laquelle M. Ksentini, à la tête de la CNCPPDH depuis 2002, estime ne pas avoir assez d’élément lui permettant une réponse précise.

«Le Président s’est limité à lancer le débat. Les textes de l’amnistie ne sont pas encore définis, mais en tant que militant, je souhaite que cette amnistie soit la plus large possible et qu’elle touche le plus grand nombre de personnes», dit-il.

S. H.