Algérie-ONU : L’Institution nationale des droits de l’homme (CNCPPDH) sur la sellette

Algérie-ONU : L’Institution nationale des droits de l’homme (CNCPPDH) sur la sellette

Alkarama for Human Rights, 15 mai 2009
http://fr.alkarama.org/index.php?option=com_content&view=article&id=461

L’institution nationale des droits de l’homme algérienne est sur le point de perdre son accréditation par le Comité international de coordination des institutions nationales (CCI). Cette accréditation est d’une grande importance car elle permet d’agir à divers niveaux de l’ONU.

La Commission Nationale Consultative de Promotion et de Protection des Droits de l’Homme (CNCPPDH) a présenté en avril 2000 sa première demande d’accréditation en tant qu’institution nationale des droits de l’homme (INDH) par le Comité international de coordination des institutions nationales (CCI) alors même qu’elle n’avait pas encore à ce moment d’existence légale puisque le texte de création a été promulgué en mars 2001.

L’accréditation par le CCI n’est octroyée qu’après examen du respect par les INDH des «  Principes de Paris » qui déterminent le cadre de leur action. Parmi ces règles il est préconisé que l’institution nationale doit être fondée sur un texte constitutionnel ou légal et non par un acte du pouvoir exécutif comme c’est le cas en Algérie. [1] Un autre Principe institué est celui de la nécessaire interaction « avec le système international des droits de l’homme, et en particulier dans le Conseil des droits de l’homme et ses mécanismes (mandataires des Procédures spéciales) et avec les organes de Traités. » [2]

S’ajoute à cela d’une part l’obligation de rendre publiques par le biais des médias des avis et recommandations de l’INDH et d’autre part le développement de rapports avec les organisations non gouvernementales.

Cette accréditation est d’une grande importance pour les institutions nationales des droits de l’homme car elle leur permet d’agir à divers niveaux de l’ONU: Elles peuvent « participer aux sessions du Conseil des droits de l’homme et entrer en relation avec ses divers mécanismes » ; participer « aux travaux du Conseil des droits de l’homme et prendre la parole devant lui sur tous les points de l’ordre du jour en qualité d’entités indépendantes » ; « jouer un rôle essentiel à toutes les phases de l’Examen périodique universel, depuis la présentation de documents jusqu’au suivi des recommandations en passant par la participation à l’Examen ; « soumettre des déclarations écrites, diffuser une documentation portant la cote que les Nations Unies leur ont assignée ». [3] Elles peuvent aussi agir de manière conséquente auprès des organes conventionnels et les procédures spéciales de l’ONU.

La Commission nationale algérienne a finalement obtenu cette accréditation avec le statut « A » en 2003 après que les réserves émises par le CCI quant à l’absence de rapport annuel et aux prérogatives des représentants du gouvernement au sein de la Commission aient été levées. Le statut « A » octroie le droit de vote auprès du CIC et le droit de participation au Conseil des droits de l’homme.

Cinq ans plus tard, en janvier 2008, conformément au règlement, la Commission nationale algérienne a réitéré sa demande de ré-accréditation. Le Sous-Comité d’accréditation du CCI lui a fait part au mois d’avril 2008 de son intention de la déclasser et de la rétrograder avec le statut « B » pour non-conformité avec les « Principes de Paris ». Dans le délai d’un an – tout en conservant momentanément son statut « A » – la Commission devait remédier aux lacunes suivantes : elle n’a pas fourni de rapport annuel mais seulement une compilation de ses activités de 2002 à 2004, elle n’est pas régie par un texte constitutionnel ou légal ; le processus de nomination de ses membres manque de transparence et finalement, la coopération avec les organes des droits de l’homme de l’ONU est insuffisante.

Alkarama transmet au Sous-Comité d’accréditation ses observations

Alkarama a pour sa part présenté le 5 février 2009 au Sous-Comité d’accréditation du CCI ses observations sur la nature et l’action de la CNCPPDH en développant notamment les points suivants :

1. En raison de sa création par un acte du pouvoir exécutif , la CNCPPDH ne peut fonctionner d’une manière pérenne et indépendante, en conformité avec les Principes de Paris.

2. C’est par Décret présidentiel que le président et les membres de la Commission sont désignés pour un mandat d’une durée de quatre (04) années renouvelables. Le Décret 01-299 du 10 octobre 2001 porte sur la désignation du Président de la CNCPPDH ainsi que des autres membres en fonction de leur appartenance institutionnelle (publique, syndicale, associative etc.). Leur attribution au sein de la Commission n’est cependant pas précisée. Le deuxième mandat de la Commission a également été promulgué dans les mêmes formes par le pouvoir exécutif par Décret présidentiel n ° 06-444 du 10 décembre 2006.

La démarche adoptée pour procéder à la nomination de candidats-membres de la Commission n’est ni publique ni transparente. La procédure de sélection n’est pas connue et aucune publicité pour les postes vacants à pourvoir n’a été faite.

Il est à noter que durant l’intervalle entre la fin du premier mandat, le 9 octobre 2005, et le début du second, le 10 décembre 2006, soit pendant 14 mois, la CNCPPDH, qui continuait à fonctionner en pratique, n’avait  aucune existence légale ; elle continuait paradoxalement à bénéficier d’une accréditation pour le CCI !

3. Dans la pratique, il est à noter que la CNCPPDH collabore de manière très insuffisante avec le système international de protection des droits de l’homme . Elle ne fournit pas de documentation propre et ne contribue pas, de manière autonome, au processus d’examen des rapports périodiques de l’Algérie par les Comités des droits de l’homme (2007) et contre la torture (2008). Elle n’a notamment jamais publié leurs Observations et n’assure aucun suivi des Recommandations des Organes de Traités au niveau national.

Le Président de la Commission nationale, Me Farouk Ksentini, ne laisse cependant échapper aucune occasion pour discréditer le travail des institutions onusiennes, considérant par exemple les informations présentées par le Comité des droits de l’homme d’« affabulations à haut débit et qui relèvent de la bouffonnerie». [4] Pire, il a constamment chercher à décrédibiliser ces institutions, composées, rappelons le, d’experts indépendants ; Abordant notamment les positions de l’ONU, au moment des grands massacres durant les années 90, Me Ksentini a soutenu que ce Comité «avait dans le passé pris fait et cause pour le terrorisme contre l’Algérie». [5]

La CNCPPDH ne recommande pas non plus au gouvernement, comme cela devrait être son rôle, la visite des Rapporteurs spéciaux sur la torture et les exécutions sommaires qui depuis plus d’une décennie demandent vainement à visiter l’Algérie. Sur cette question, Me Ksentini déclare : « Comment peuvent-ils nous demander le moment où nous permettrons aux délégués de la commission onusienne de visiter l’Algérie ? L’Algérie n’est pas un gourbi, où quiconque peut venir à n’importe quel moment ». [6]

4. La CNCPPDH n’est perçue publiquement qu’à travers les déclarations de son porte-parole Me Farouk Ksentini. Elle ne dispose pas de moyen de diffusion propre si ce n’est son site Internet rudimentaire, mis en place en 2007. Elle ne publie pas de communiqués ou de déclarations écrites et ne publie pas d’études relevant de son champ de compétence.

La Commission devrait pourtant, selon ses statuts, rendre public annuellement un rapport ; elle n’en a pas présenté un seul en sept années d’activité.

5. La Commission n’entretient pas de relations avec les ONGs indépendantes et représentatives de défense de droits de l’homme en Algérie. Ni échanges, ni rencontres, ni séminaires ne sont organisés par ses soins.

6. Aucune des Recommandations du Comité des droits de l’homme sur le drame des disparitions forcées n’a été prise en compte ou vulgarisée par la Commission. « L’instrument ad hoc » sur les disparitions, présidé par M. Farouk Ksentini, n’a toujours pas rendu public son rapport remis au Président de la République le 31 mars 2005. Aucune liste de noms de disparus n’a été publiée comme cela a été officiellement demandé à l’Algérie.

7. Le Président de la Commission, Me Ksentini, plaide pour une amnistie générale et n’évoque jamais le fait que la promulgation d’une loi d’amnistie relative à des crimes considérés par le Droit international comme des crimes contre l’humanité constitue une violation de principes fondamentaux formulés par les Traités auxquels l’Algérie est partie.

La CNCPPDH est perçue en Algérie comme une institution étatique

Le Sous-Comité d’accréditation a repris d’importantes observations faites par Alkarama dans la note qu’il a transmise au CCI . [7] Il semblerait qu’en raison des remarques formulées par le Sous-Comité des changements soient prévus. D’après la presse algérienne [8] une nouvelle loi devrait modifier le statut légal de la Commission. Le président de cette institution devrait alors être élu à l’instar des autres membres qui, pour le moment, sont tous désignés par la Présidence de la République.

Le processus annoncé par la presse algérienne prévoit l’adoption d’une nouvelle loi par le Parlement et sa publication au Journal officiel. Quant à la participation de la société civile, concernée en premier chef, il n’en a jamais été question. Ce processus qui reste opaque concernant notamment les modalités de candidature, peut-il être bouclé avant la fin du mois de mai, date à laquelle est attendue une décision de la CCI ?

Il est à craindre que cette loi, prise dans l’urgence ne le soit que dans le but de souscrire aux recommandations formulées, et, si elle devait être promulguée, ne serve qu’à légaliser une situation de fait. Le CCI pourrait-il envisager de renouveler l’accréditation de la CNCPPDH alors les principes les plus fondamentaux régissant les institutions nationales ne sont pas respectés ? Il s’agirait alors incontestablement d’un dangereux précèdent qui risquerait de discréditer le système international de protection des droits de l’homme.

Il est par conséquent peu probable que le Comité international de coordination des institutions nationales (CCI) prenne le risque de maintenir le statut de la CNCPPDH perçue par l’opinion publique algérienne en général et par la société civile en particulier comme une institution purement étatique plus préoccupée à faire accréditer les thèses officielles qu’à représenter les intérêts des algériens en matière de droits humains.

Il est d’ailleurs significatif que les manifestations – interdites et réprimées – de contestation des citoyens contre la politique du gouvernement sur des questions liées aux droits de l’homme, comme les manifestations de mères de disparus, se déroulent chaque semaine à Alger devant le siège de la CNCPPDH qui symbolise l’Etat aux yeux des victimes et de la population.

[1] Décret présidentiel n° 01-71 du 25 mars 2001 qui établit la Commission et définit son mandat et sa mission.

[2] Principes de Paris, http://www.unhchr.ch/french/html/menu6/2/fs19_fr.htm#annex

[3] http://www.nhri.net/2009/SG%20Report%20-%20F.pdf

[4] Farouk Ksentini: Il n’y a pas de prisons secrètes en Algérie, par Djamel B., Le Quotidien d’Oran, 4 novembre 2007.

[5] idem.

[6] Farouk Ksentini considère la situation des prisons comme positive, El Khabar, 16 avril 2008.

[7] http://www.nhri.net

[8] El Watan, 11 mai 2009.