Réponse aux déclarations du Ministre de la Solidarité et du Président de la commission d’assistance juridique

Association des Familles des Disparus Forcés de Constantine

Réponse aux déclarations du Ministre de la Solidarité et du Président de la commission d’assistance juridique

Rabah Benlatreche, 2 septembre 2007

Je suis très attentif à toute déclaration concernant les victimes de la tragédie nationale, particulièrement celle qui concerne les familles des disparus par le fait des services de sécurité tous corps confondu, en raison de ma double qualité de père de disparu et de président de l’association des familles des disparus de Constantine et par extension des disparus de la région de l’est constantinois.
Je me sens donc interpellé par les déclarations du ministre de la solidarité, Ould Abbas et de Mr Azzi, président de la cellule d’assistance juridique, parues respectivement dans le quotidien Liberté du 20/08/2007, reprise dans les journaux El-Acil du 21/08/2007 et Ech-Chourouk du 23/08/2007.

Monsieur le ministre, rompu à la culture de la langue de bois, annonce qu’il dispose de 9 000 dossiers de victimes – et la liste demeure ouverte – et que 15600 milliards de centimes de dinars d’indemnisations sont alloués aux victimes dont 8 milliards ont déjà été distribués.

Mr Azzi en sa qualité de président de la cellule juridique tente pour sa part, dans sa déclaration du 23/08/2007 de donner un sens aux chiffres de Mr le ministre.
Il explique que les 9 000 dossiers concernent ceux des terroristes abattus par les services de sécurité et les travailleurs licenciés par mesure administrative.

Il explique que 16 000 dossiers concernent trois catégories de victimes:
– Les travailleurs licenciés par mesure administrative
– Les terroristes abattus par les services de sécurité
– Les disparus
On peut donc déduire de ce qui précède que le nombre des disparus est de 7 000.

Dés lors la question se pose, puisque les textes parlent de victimes de la tragédie nationale, quel est le nombre de ce qu’on appelle communément victimes du terrorisme?

Sont-ils exclus de la tragédie nationale alors que Mr le ministre annonce la construction de 1780 logements à leur intention? Mais il ne souffle mot sur les logements des familles de disparus détruits par les services de sécurité et les milices!

Faut-il déduire qu’un régime particulier est réservé à cette catégorie de victimes.
Mr Azzi en sa qualité de juriste n’ignore pas l’importance des mots et le sens qu’on leur attribue.

Quand il évoque les terroristes abattus par les services de sécurité, parle-t-il de ceux qui ont été abattus au maquis ou bien de ceux qui ont été enlevés de leur maison, de leur travail, dans la rue, ou sur convocation? Ne s’agit-il pas alors pour ces derniers d’assassinats purs et simples?

Pour tous les cas de disparus pour lesquels les familles ont obtenu l’attestation de décès en tant que membre d’un groupe terroriste, il faut clamer haut et fort qu’il s’agit de fausses assertions.
C’est un grave mensonge, ce sont des faux témoignages, c’est un parjure de la part d’officiers de gendarmerie ou de police ayant qualité d’officiers judiciaires.

Je signale quelques cas (la liste complète serait trop longue à citer) pour illustrer les faux témoignages et le parjure que la loi est censée punir.

– Les frères Kerouane Adel et Kerouane Tarek (dont les parents sont décédés) ont été arrêtés en 1994, l’un d’entre eux a été hospitalisé au C.H.U. de Constantine. Tandis que le Procureur général a délivré un permis de visite pour la prison de Constantine, en 2006, l’officier de gendarmerie remet une attestation de décès en tant que membre d’un groupe terroriste.

Sassen Rachid a été arrêté en 1996 avec son épouse qui a été détenue au commissariat central de Constantine pendant 15 jours avant d’être libérée.
En réponse aux requêtes de recherche de son mari, elle reçoit un premier P.V. dans lequel il est affirmé que S.R n’a jamais été interpellé ni arrêté par les services de sécurité. Puis dans un deuxième P.V. il est affirmé que S.R. est un terroriste éliminé par les services de sécurité et ce avant même la date de son arrestation ! Et finalement on termine avec la fameuse attestation de décès comme membre d’un groupe terroriste.

Salhi El-Hadi, ex-président d’A.P.C. FIS et cadre de la société E.N.M.T.P. de Ain-Smara, avait été arrêté une première fois en 1992 et emprisonné pendant quelques mois dans un camp au Sud. Il a été arrêté de nouveau le 25/11/1994 à la mosquée de Ain-Smara pendant la prière du Sobh et exécuté le jour même puis brûlé dans son propre véhicule pour être abandonné prés de la forêt de Chettaba. Trois jours après, son corps calciné a été déposé à la morgue de l’hôpital de Oued Athmenia puis enterré par les gendarmes.

Ghalladi Cherif a été enlevé le 25/11/1994 par les gendarmes, au même moment que S.E-H. et dans les mêmes circonstances. Il a été détenu pendant 15 jours dans la caserne du Bardo relevant de la Sécurité militaire. Il a été torturé puis exécuté. Son corps a été abandonné dans un champ où il a été découvert par le propriétaire.

Le journal Liberté du 26/11/94 a annoncé la mort de S.E-H. et G.C. comme figurant parmi 19 terroristes éliminés dans la forêt de Chettaba alors que le décès de G.C. a eu lieu 15 jours plus tard !
L’attestation de décès délivrée par la gendarmerie mentionne quant à elle la date de décès au 14/09/94 soit 2 mois et 11jours avant son enlèvement !

Faut-il déduire de ces exemples que les personnes déclarées décédées en tant que membres de groupes terroristes avaient déjà été condamnées à mort avant même leur enlèvement ?
Il est entendu que je ne préjuge pas de leur culpabilité ou innocence mais nul n’a le droit de se substituer à la justice quelque soit le grade ou la fonction.

Mr Azzi en sa qualité de président de cellule d’assistance juridique serait mieux inspiré d’expliciter les termes :

– Indemnisation.
– Bénéficiaire ou ayant droit.
– Méthode de calcul pour chaque catégorie.
– Réparation – aide etc…

Car dans l’état actuel des choses, les familles sont désemparées et ne savent pas si elles sont concernées par une aide, un recouvrement de droit ou une indemnisation et de quel type d’indemnisation il s’agit dans ce cas: matérielle, morale, physique ?

Tant que le sort de la victime de disparition forcée n’est pas éclairci, il est vain de parler d’indemnisation car l’indemnisation suppose la pleine reconnaissance du préjudice ou dommage ainsi que sa nature, de même qu’une règle d’application bien claire.

Les familles ressentent l’opération menée actuellement comme une nouvelle agression à leur dignité.

Qu’on en juge par rapport à la qualité d’ayant droit qui n’est reconnue que pour les ascendants, l’épouse et les enfants mineurs à la date du jugement de décès par disparition. En cas de décès des ascendants, les frères et sœurs n’obtiennent pas de droit.

Pour ce qui est des personnes licenciées de leur travail, il ne leur est concédé que ce qui est prévu par le statut du code de travail : versement de 18 mois de salaire de base et valorisation de la période pour le décompte de la retraite sans considération de leur reclassement social, sans réintégration dans leur emploi.

Pour ce qui est des disparus, ils sont classés en trois catégories :
– Fonction publique
– Secteur économique ou collectivité locale.
– Secteur privé ou sans activité.
Les fonctionnaires du secteur Public son répartis par départements ministériels.

La méthode d’évaluation appliquée diffère selon la catégorie :
Aux personnes relevant de la fonction publique est appliqué un reclassement social (avancement ou promotion) en prenant en compte la date de la disparition, à l’exception d’un établissement hospitalier qui propose de ne prendre en considération que 50% des droits.

Pour ce qui est du secteur économique, il comporte deux aspects :
– Des sociétés économiques encore en activité.
– Des sociétés économiques dissoutes.

Les sociétés économiques en activité prennent en charge le dossier du disparu et le calcul de son salaire à compter de la date du jugement de décès par disparition c’est à dire dans le meilleur des cas à partir du milieu de l’année 2006.

Pour les sociétés dissoutes c’est le service de la Wilaya qui prend en charge le dossier en tenant compte de la situation civile du disparu.
– S’il est marié avec des enfants mineurs à la date du jugement de décès par disparition, il est proposé un salaire de 16.000,00 DA réparti entre les parents vivants, l’épouse et les enfants mineurs pendant 10 ans.

– Secteur privé ou sans fonction : 4 cas de figures :
1- Mineur de moins de 16 ans : 600.000,00DA pour chacun des parents s’ils sont vivants, s’ils sont décédés le montant revient au trésor.
2- Célibataire moins de 19 ans : 700.000,00DA pour chacun des parents vivants, s’ils sont décédés, même cas que le mineur de moins de 16ans.
3- Célibataire de plus de 19 ans : 960.000, DA pour chacun des parents vivant s’ils sont décédés, même cas que les précédents.
4- Marié avec ou sans enfants mineurs, un montant global de 1.920.000,00 DA réparti entre les parents vivants, l’épouse et les enfants mineurs ou filles célibataires, soit un salaire de 16.000,00DA à compter de la date du jugement de décès par disparition réparti entre l’épouse, les enfants mineurs ou filles célibataires et les parents vivants pendant 10 ans.

Alors qu’il était concédé initialement le montant global et la mensualité, la mensualité a été par la suite suspendue et plus grave encore, les familles qui percevaient la retraite proportionnelle ont vu celle-ci suspendue avant même que leur dossier ne soit traité.

Ceci dit, il ne faut pas comprendre que toutes les familles de victimes ont touché le pécule, bien au contraire, la plus grande partie des dossiers sont en instance au niveau des services de la Wilaya et les établissements concernés.

La préoccupation première des familles de disparus est la constitution d’une commission d’enquête pour connaître la vérité sur le sort de tous les disparus quelque soit la partie responsable, la restitution des dépouilles des victimes, la découverte des charniers, la prise en charge de tous les dossiers des personnes considérés comme recherchées alors que des preuves formelles attestent de leur enlèvement par les services de sécurité.

L’indemnisation ne peut être demandée que par la famille, selon le standard international (Lockerbie –Libye –Chili), non fixé par un barème variable réduisant la victime à un objet au rabais.
La vie d’un Algérien, ne peut être inférieure à celle d’un Américain, Libyen ou Chilien.

De grâce arrêtons de manipuler, de mentir, de travestir et de fuir la vérité.

Le Disparu restera toujours l’Os en travers de la gorge du pouvoir tant que la vérité et la justice n’auront pas été établies, tant que les morts n’auront pas eu leur sépulture, les familles n’auront pas fait leur deuil et les disparus vivants recouvert leur liberté.

Les familles des disparus continueront toujours leur combat pacifique pour le triomphe des valeurs qui réhabiliteront leurs parents disparus, leur dignité et leurs droits.

Elles rejettent toute fausse réconciliation décrétée ou ordonnée sans prise sur la réalité des faits, faisant de la victime un coupable et du coupable un héros.

Nous, familles des disparus, nous nous battrons toujours, pour redonner valeur à la vie du citoyen, valeur à la réconciliation nationale bâtie sur le socle de la vérité, de la justice et du droit, toute autre considération est vaine.

Constantine le 02/09/2007.
Rabah Benlatreche
Président l’AFDFC
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