SOS Disparus demande un tête-â-tête avec Bouteflika

Après sa rencontre jeudi avec Me Ksentini

SOS Disparus demande un tête-â-tête avec Bouteflika

El Watan, 27 août 2005

Visages chiffonnés, creusés par les interminables années cruelles, yeux mouillés, têtes voilées. Des femmes au cœur brisé, avachies, se jettent à même le sol, devant le siège de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CNCPPDH) à Alger.

Elles ont rendez-vous avec Me Farouk Ksentini, président de CNCPPDH et attendent depuis 9h l’ouverture du portail. Le soleil ouvre son œil au grand jour de ce jeudi aoûtien. De l’autre côté des « idées », à 300 km d’ici, au pied des monts sétifiens, dans la capitale des Hauts-Plateaux, le président Bouteflika poursuit sa campagne pour le référendum du 29 septembre prochain sur la charte pour la paix et la réconciliation nationale. La rencontre a été arrangée à la demande de SOS Disparus. Les membres de bureau de cette association non agréée sont là, à leur tête Fatma Yous, la présidente, et Nassira Dutour. Un regard perçant d’un disparu émanant d’une pancarte tenue par une main désespérée nous interpelle. Mohamed Groura a été enlevé par des agents des services de sécurité en 1996, alors âgé de 30 ans. Sa mère a aujourd’hui 74 ans. « Des hommes cagoulés en uniforme militaire l’ont kidnappé de chez lui, à El Merdja (sud-est d’Alger). Quelques jours après, j’ai appris qu’il se trouvait dans la caserne de Baraki. Depuis, aucune nouvelle de lui. Dernièrement, quelqu’un qui le connaît m’a appris qu’il est à Reggane et qu’il va bien. Je veux qu’il soit relâché », lâche-t-elle. Cette femme, visage défait, est sur le champ de la lutte depuis une décennie. « Je ne me tairai jamais. Jusqu’à ce que je connaisse la vérité sur mon fils. Sauf si la mort m’emporte », ajoute-t-elle. Zedjiga Cherguit, affalée sur le trottoir, élève sa voix à qui veut l’entendre. « Je veux que mon fils revienne tel qu’il a été kidnappé », crie-t-elle à l’ombre d’un agent des services de sécurité, figé au coin tout discret. Elle n’a peur de personne. Elle continue, à notre endroit : « Ecrivez-le en gros caractères : nous ne sommes pas contre une réconciliation nationale. Mais nous refusons que ce soit sans la vérité sur les disparitions. » Son fils, Hakim, a été porté disparu en 1993 alors âgé de 27 ans. « Il a été enlevé de la maison par des agents spéciaux, des commandos de la 17e (Kouba). Ils étaient cagoulés », indique-t-elle. Cette dame dit avoir déposé plusieurs plaintes qui sont restées sans suite. « J’ai constitué des dossiers avec des preuves. Mais pour eux, les gens de la justice, ce ne sont que des allégations infondées », déplore-t-elle. Mme Cherguit, comme beaucoup d’autres dans son cas, ne va pas courber l’échine. Elle se dit plus que jamais déterminée à poursuivre son combat jusqu’au dernier souffle. « J’ai la pleine conviction que mon fils est en vie, enfermé quelque part dans un sous-sol rongé par l’humidité », martèle-t-elle. Mme Yamina Ousrir cherche toujours, sans répit, son fils Djaâfar. Sa souffrance ne cesse d’augmenter depuis qu’elle a eu des indices qu’il est encore en vie. « On me l’a pris à la fleur de l’âge. Il n’avait que 19 ans. C’était le 6 mai 1997 », souligne-t-elle. Son long périple devant les différentes juridictions et institutions du pays demeure sans résultat. Mme Bouchorf n’admet pas encore et toujours que son fils, Riyadh, soit mort. « Lorsque j’ai déposé plainte, un procureur m’avait dit qu’il n’y a pas d’enquête sérieuse et que, tant qu’il n’y a pas de décision politique dans ce sens, la justice n’y peut rien », indique-t-elle, énumérant ses déboires avec les institutions de la République. La liste est longue. Le nombre des disparus reconnu officiellement comme l’œuvre d’agents de l’Etat s’élève à 6146, même s’il y a déjà plus de 7000 plaintes déposées par les familles au niveau de la justice. Vers 11h30, Me Ksentini reçoit les membres de bureau de SOS Disparus. La rencontre dure près de 2 heures. Les femmes, pancartes et photos de leurs enfants disparus exhibées au regard des passants, attendent dehors. Impatiemment. Les discussions sont axées sur la place des revendications des familles des disparus dans la charte de M. Bouteflika. Les représentants de SOS Disparus demandent aux autorités d’enquêter et de trouver les personnes disparues « vivantes ou mortes ». Ils veulent aussi que Me Ksentini rende public son rapport, élaboré par la commission ad hoc dont il était président. Ils demandent aussi de rencontrer le président Bouteflika afin de savoir ce qu’il compte concrètement faire pour régler ce dossier. En réponse, Me Ksentini promet à SOS Disparus qu’il transmettra le message au premier magistrat du pays en le sollicitant d’arranger une audience avec l’association. Il se déclare entièrement favorable au dialogue sur la question. Il invite, en revanche, les familles à s’adresser à la justice quant à la suite donnée à leurs plaintes. Au bout de la rencontre, les représentants de SOS Disparus sortent bredouilles. Sans ce quelque chose de concret. Toujours la tête brouillée par le contenu de la charte. Ainsi, l’ensemble des familles de disparus prennent à témoin l’opinion nationale, sollicitant sa juste appréciation le 29 septembre prochain, en mettant massivement le bulletin blanc dans l’urne. Car, pour ces mamans déchirées, la charte est conçue de manière à « classer définitivement le dossier des disparus et qu’on n’en parle plus ». Mais SOS Disparus compte aller jusqu’au bout.

Aït Ouarabi Mokrane