Poutine sans complexes

Poutine sans complexes

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 12 février 2007

La guerre américaine contre l’Irak a mis en évidence deux éléments essentiels: l’usage immoral du concept de démocratie à des fins agressives et impériales et le fait que le droit international n’engage en rien la puissance américaine. C’est une évidence pour la majorité de l’opinion mondiale. L’action des Etats-Unis au cours de ces dernières années n’a servi ni la paix, ni la démocratie, ni le droit international.

Très directement, le président Poutine a choqué les oreilles occidentales en dénonçant un monde unipolaire où, de facto, la puissance américaine exerce un diktat sur la planète. De fait, la politique de Bush n’a rien d’éthique et Vladimir Poutine n’a aucune difficulté à trouver des exemples sanglants où les principes fondamentaux du droit sont outrageusement malmenés par l’administration américaine.

Choqués par la franchise du président russe, certains Occidentaux ressortent le thème de la guerre froide, en occultant qu’actuellement se mènent des guerres très chaudes et que le contexte international est rendu critique par le militarisme américain.

Les constats de Poutine – qui a fait preuve de beaucoup de réalisme dans ses relations avec les Etats-Unis et l’Europe – sont des évidences. La nouveauté réside dans le ton sans équivoque du dirigeant russe qui désigne clairement l’immense responsabilité des Etats-Unis. On peut dire que le président russe, après les horreurs de la guerre irakienne et les mensonges qui l’ont précédée et accompagnée, est totalement décomplexé à l’égard des démocraties occidentales. Si les Etats-Unis sont bien une démocratie, leur politique mondiale n’a rien à voir avec la démocratie et les valeurs qui la fondent.

Mais ce n’est pas ce seul aspect qui pousse Vladimir Poutine – dont le mandat s’achève en 2008 – à assener des vérités désagréables. Il sait aussi qu’aux yeux des Américains, son pays ainsi que la Chine, en dépit des ententes actuelles, sont considérés comme des ennemis potentiels. Il évalue l’élargissement de l’Otan à l’est de l’Europe ainsi que le déploiement d’armements antimissiles en Pologne et en République Tchèque comme une politique agressive visant directement la Russie. Mais ce parler-vrai signifie aux Américains que la Russie a regagné une plus grande latitude et qu’elle pèsera davantage sur la scène internationale.

Car le monde russe se relève lentement et Vladimir Poutine a fait de l’énergie un élément clé de ce retour en puissance. La mise au pas des oligarques russes véreux, mais alliés aux Occidentaux, a été férocement critiquée à l’Ouest. Mais le résultat est là: la Russie est un acteur majeur sur la scène énergétique mondiale. Elle s’est débarrassée d’une dette extérieure qui obérait sa marge de manoeuvre globale. Est-ce que ce retour en puissance se confirmera dans les années à venir ? Cela est possible.

Mais pour le monde entier, il est stratégiquement souhaitable que des pôles de puissance russe, chinois – l’Europe ne semblant pas se décider à s’émanciper des Etats-Unis – émergent et rétablissent des contre-pouvoirs dans un ordre mondial actuel qui en est dangereusement dépourvu. Après tout, les Occidentaux savent depuis Churchill qu’un pouvoir absolu corrompt absolument.