L’émeute de «Je m’en fous»

L’émeute de «Je m’en fous»

Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 16 janvier 2007

Ce quartier de Tixeraïne, dans la commune de Birkhadem, porte depuis des années le nom de «Cité Je m’en fous». Les citoyens anonymes qui ont inventé cette appellation, où se mêlent amertume et dérision, n’ont pas voulu faire dans le pittoresque mais traduire dans la plus grande concision possible la réalité du quartier.

S’il était plus ou moins connu par les Algérois qui y voyaient un exemple type de chaos urbain sur fond de démission publique, un accident ayant entraîné mort d’homme vient de le sortir de l’anonymat et de lui donner une dimension nationale. C’est par l’émeute que le reste de l’Algérie sait désormais qu’il existe un lieu près de la capitale qui porte comme nom cette formule de dépit et de mépris. Est-ce la colère due à la mort d’un habitant (une petite fille a été blessée aussi) ou bien les propos aberrants d’un président d’APC en «visite» qui ont provoqué ce basculement dans l’émeute? Sans doute les deux. A condition de ne les prendre que comme éléments déclencheurs de l’expression de la malvie. Avec la rancoeur accumulée des laissés-pour-compte, les éternels oubliés de la modernisation urbaine.

Indéniablement, il ne fait pas bon vivre à la cité «Je m’en fous» de Birkhadem, comme dans toutes les cités similaires du pays. Et si l’on ne peut reprocher aux élus locaux de ne pas être capables de résoudre des problèmes qui s’aggravent au fil des décennies, les gens sont en droit d’attendre à ce que l’on commence enfin à faire quelque chose. Le plus grave est bien le sentiment d’abandon, la sensation de ne pas exister, de n’être rien.

Il faut le redire: les gens n’ont pas recours à l’émeute, au blocage des routes par plaisir. Ils savent, au gré de la chronique émeutière du pays, que quand on se fait attraper, on risque de le payer par la prison. Et s’ils ont recours à ces extrémités qui troublent l’ordre public en dépit des risques encourus, cela traduit clairement qu’il existe chez ceux qui vivent dans des conditions difficiles une exaspération latente qu’un rien peu libérer. A Tixeraïne, ce n’était pas rien. Un homme est mort. Mais il semblerait, selon les comptes-rendus de la presse, que la colère des jeunes – en général facilement inflammables – aurait été attisée par des propos ineptes du président de l’APC.

On ne sait pas s’il y a eu provocation, mais on sait que beaucoup d’élus locaux en général n’ont pas la patience d’écouter les gens. Dans l’absolu, la correction est de mise dans le rapport avec les citoyens, elle l’est encore davantage quand on se trouve confronté à une situation dramatique. Les APC dont les ressources sont limitées n’ont pas de solutions miracles à la crise sociale et au désordre urbain. On peut leur trouver beaucoup de circonstances atténuantes. Mais si le propos terrible imputé au président de l’APC est avéré – il aurait traité ses électeurs «d’ordures» – on n’est plus dans la logique de la gouvernance locale, mais bien dans celui de la pyromanie.