Crime contre l’humanité

Crime contre l’humanité

par M. Saâdoune, Le Quotidien d’Oran, 22 avril 2008

A situation grave, de l’avis même des orthodoxes institutions financières mondiales, faut-il s’embarrasser de fausse politesse ? Jean Ziegler, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, pense que non et il ne s’est pas gêné pour dire que la fabrication de biocarburants est un «crime contre l’humanité».

Son constat se vérifie déjà dans de nombreux pays africains où des émeutes de la faim ont déjà eu lieu et où le pire est à venir. Quitte à susciter l’ire du président brésilien Lulla, dont le pays est un gros producteur de biocarburant, Ziegler a des arguments puissants pour affirmer que cette extension de l’espace réservé aux biocarburants est un choix de riches qui se fait au détriment des plus pauvres. On oriente l’agriculture vers la satisfaction des besoins en carburant pour les véhicules au détriment de l’alimentation; on pense aux riches et on sacrifie les pauvres. La logique des intérêts est sauve. Un malthusianisme qui se drape du discours économiste sur la rentabilité et, de manière encore plus contestable, de bons sentiments écologiques.

Dans une interview au journal Libération qui continue à faire des vagues, Jean Ziegler en apporte la démonstration chiffrée. Aux Etats-Unis, et à coups de subventions qui ont atteint 6 milliards de dollars, on s’est lancé dans une politique d’encouragement des biocarburants qui a entraîné une soustraction de 138 millions de tonnes de maïs du marché alimentaire. Conséquence: «on jette les bases d’un crime contre l’humanité pour sa propre soif de carburant».

Cette polémique est révélatrice du fonctionnement général de l’économie sous régime ultralibéral. Elle met en concurrence deux conceptions du monde de plus en plus opposées. La réalité est sans appel: ce qui conduit l’activité et la dirige est la maximisation du taux de profit. Les autres considérations sont accessoires ou purement moralisantes. Dans l’ordre du monde ultralibéral, la priorité n’est pas aux politiques sociales.

L’ironie de cette controverse est que le défenseur acharné de la primauté de la logique de profit soit issu du mouvement syndical brésilien, lui-même issu des catégories les plus défavorisées de la population de ce pays-continent. Mais elle est révélatrice de la collusion de plus en plus voyante des social-démocraties avec les orientations du marché.

Le danger d’une agriculture orientée vers la substitution des énergies fossiles avait été mis en évidence par Fidel Castro, dont les choix politiques sont loin de s’inscrire dans la défense du modèle de consommation dominant. Les déclarations du Lider Maximo avaient été mises sur le compte d’une résistance d’arrière-garde à la modernisation et à l’adaptation aux nouvelles contraintes économiques. On voit aujourd’hui qu’il n’en est rien et que l’égoïsme et le lucre conduisent jusqu’à l’absurde et à la famine de populations entières. Il restera de cette phase particulièrement sombre de l’humanité que des hommes ont choisi d’affamer d’autres hommes pour satisfaire des besoins secondaires.