Le choix du successeur de Boumediene : à la recherche d’un homme sans ambition à la tête de l’État

Le choix du successeur de Boumediene : à la recherche d’un homme sans ambition à la tête de l’État

Ait Benali Boubekeur, 28 décembre 2011

Les manœuvres, pour désigner le successeur de Boumediene en 1979, donnent lieu, et c’est le moins que l’on puisse dire, à une lutte sans pitié. En effet, la mort prématuré de Houari Boumediene, survenue le 27 décembre 1978, a pris de court la nomenklatura. Pendant son agonie, qui a duré à peu près trois mois, chaque clan essaie de tirer ses marrons du feu. À peine l’oraison funèbre, prononcée par Abdelaziz Bouteflika, est dite que les éventuels successeurs sont prêts à livrer la bataille. Cela dit, bien que les statuts du parti soient en faveur du responsable du FLN, Mohamed Salah Yahiaoui, le chef des services secrets de l’époque, Kasdi Merbah, avait concocté un plan à part. Selon Hocine Malti, dans « Histoire secrète du pétrole algérien » : « On savait que dès qu’ils furent convaincus que Houari Boumediene était condamné, alors même qu’il se trouvait encore à Moscou [hospitalisé du 29 septembre au 14 novembre 1978], les membres du Conseil de la révolution avaient engagé d’intenses tractations en vue de la succession. Deux hommes, représentant deux tendances politico-économiques différentes, s’étaient portés candidats : Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères, et Mohamed Salah Yahiaoui, coordinateur du FLN ».

Quoi qu’il en soit, dans cette compétition en dehors du peuple, celui qui est choisi candidat sera forcément élu. En d’autres termes, la désignation d’un candidat implique par ricochet sa victoire lors du prochain scrutin. En effet, une fois les vrais décideurs auront opté pour leur président, et dans le souci de maintenir une démocratie de façade, ils le proposeront enfin à l’approbation du peuple. Du coup, la surenchère pour choisir le candidat, en ce mois de décembre 1978, est à son apogée. Néanmoins, aux deux candidatures déjà citées, il y a une troisième, celle du chef des services secrets, Kasdi Merbah. Bien que ne pouvant pas la déclarer ouvertement, dans la réalité, selon Hocine Malti, il y pense fortement. « Dès le mois de novembre, Kasdi Merbah, patron de la Sécurité militaire depuis 1962, avait pris en effet une initiative qui sera lourde de conséquences. Sans l’avouer ni l’annoncer publiquement, il aurait aimé, lui aussi, succéder à son ancien chef. Il fut néanmoins assez sage pour ne pas tenter d’organiser un coup d’État », écrit-il.

Cependant, pour imposer un homme sans envergure, Kasdi Merbah, avec le concours de son adjoint Nourredine Yazid Zerhouni, élimine de la course les deux candidats potentiels, Bouteflika et Yahiaoui. Bien que leur appartenance au groupe d’Oujda, ayant écarté le GPRA d’assumer les destinées politique du pays en 1962, leur ouvre la voie à la succession, le chef de la sécurité militaire se projette dans l’après premier mandat du futur chef d’État. Il est plus facile, pense-t-il, d’écarter un malléable qu’un homme voulant à tout prix devenir président. Ainsi, sans les manœuvres de Kasdi Merbah, le pouvoir serait revenu à Bouteflika ou à Yahiaoui. Pour le premier candidat cité, sa relation privilégiée avec Boumediene, estime-t-il, est suffisante pour qu’il accède à cette fonction suprême. Il considère, selon Hocine Malti, que « le groupe d’Oujda s’apparentait à une monarchie, au sein de laquelle il était le dauphin naturel auquel le souverain disparu avait laissé le trône en héritage ». Quant à Mohamed Salah Yahiaoui, il revendique son droit de succession en invoquant son statut de membre du Conseil de la révolution et son grade de colonel. En tout cas, pour Hocine Malti, Yahiaoui possède un avantage de taille : « En tant que coordinateur du FLN, il contrôlait non seulement le parti unique, mais aussi toutes les organisations de masse, dont le Syndicat UGTA (Union générale des travailleurs algériens) et l’UNJA (Union nationale de la jeunesse algérienne). Il jouissait donc du soutien de ces organisations, mais aussi de celui des communistes du PASG clandestin, futur MDS ».

Cependant, Kasdi Merbah, dont l’ambition présidentielle ne fait aucun doute et ce, bien qu’elle soit tempérée par son entourage, envisage la succession autrement. Pour garder ces chances intactes pour la prochaine mandature, il opte pour le colonel Chadli Bendjedid. Son calcul est ainsi résumé par Hocine Malti : « Encore fallait-il, dans ce cas-là, que le titulaire du poste qui allait être choisi fût facile à manœuvrer et qu’il puisse être délogé sans difficulté. Or, ni Bouteflika ni Yahiaoui ne correspondaient à ce critère ». En revanche, le colonel Chadli, n’ayant jamais affiché une quelconque ambition pour la fonction, parait un candidat idéal. Pour Hocine Malti, le chef de la 2e région militaire depuis 1964 répond aux critères recherchés par Kasdi Merbah : « Son âge relativement avancé –il avait 49 ans –, son éloignement du centre de décision d’Alger, son ignorance présumée de la chose politique, son indolence et le peu d’ardeur avec laquelle il avait assumé sa responsabilité de chef de région en faisait un candidat idéal ».

Toutefois, pour le placer à la tête de l’État, Kasdi Merbah ne lésine pas sur les moyens à employer. Ainsi, pendant l’agonie de Boumediene, Kasdi Merbah a nommé Chadli Bendjedid, en novembre 1978, coordinateur de l’armée. Pour parer à un éventuel remue-ménage, il invoqua son âge et son ancienneté dans l’armée. Après l’élimination des deux candidats potentiels, Chadli va bénéficier d’un appui important, celui du colonel Abdelghani, chef de la région de Constantine. Partant, celui qui deviendra son futur premier ministre mène une campagne auprès de ses collègues militaires, mais aussi auprès des cadres civils du FLN. Lors du 4e congrès du FLN, le choix de Chadli est quasi total. De toute façon, les dés furent pipés bien avant. La suite consiste à jouer la partition. « En janvier, le choix du congrès se porta effectivement sur le nom de Chadli Bendjedid, qui fut présenté comme unique candidat au suffrage des Algériens. Il fut élu président de la République, le 7 février 1979, avec un score de 94% ». Il va de soi, en somme, que le choix de cette candidature n’a pas obéi aux intérêts de la nation. Cette façon d’isoler le peuple de toutes les décisions concernant son avenir va plonger le pays dans une crise abyssale. Hélas, aujourd’hui encore, l’avenir de l’Algérie se décide sans tenir compte de ce peuple malheureux.

Par Ait Benali Boubekeur