L’altermondialisme en quête de sens

L’altermondialisme en quête de sens

Par K. Selim, Le Quotidien d’Oran, 21 janvier 2007

Le 7ème sommet du Forum social mondial s’est ouvert hier à Nairobi en drainant des malentendus durables, que le parrainage d’une personnalité aussi consensuelle que Desmond Tutu ne peut faire occulter.

Signe révélateur, ce septième sommet altermondialiste se tient pour la première fois en Afrique, mais il est également la dernière manifestation de ce genre. Une forme d’altermondialisme a vécu. Les organisateurs ont décidé qu’il n’y aura pas d’autres sommets de ce type dans un avenir prévisible. Ils considèrent que des rencontres régionales ou thématiques seraient plus aptes à mobiliser les énergies antilibérales autour de plates-formes claires et pour des objectifs concrets. Le constat n’est pas faux. Et s’il ne s’agit pas de se moquer de ces rencontres à l’allure de grandes kermesses contestataires, il faut bien admettre que l’élan généreux à l’origine des forums sociaux se heurte frontalement aux réalités concrètes forgées par les acteurs autrement plus puissants du libéralisme planétaire.

L’espoir d’une mondialisation alternative humaniste et solidaire s’est dilué au fil des temps sécuritaires dans des nébuleuses politiques et d’insurmontables contradictions. Pour beaucoup d’observateurs, les forums sociaux ne sont que des happenings sans substance où se réunissent des individus relevant d’associations ou d’ONG, formant ainsi une sorte d’assemblée de militants professionnels agissant dans des domaines et des sphères hétérogènes. Ces forums, où se rencontrent des sensibilités idéologiques divergentes, des intérêts différents, voire opposés, ne débouchent en effet que sur des déclarations vagues et sans commune mesure avec les défis qui pèsent sur la paix du monde.

En réalité, l’opposition altermondialiste paraît jouer une partition moderne du vieux répertoire trade-unioniste: derrière des positions de principe parfois très radicales, les thèmes centraux en débat rejoignent ceux de l’ultralibéralisme. Il est significatif de constater à cet égard que les sujets mis en avant pour ce sommet africain sont ceux de la lutte contre la pauvreté, de la lutte contre le sida et la dette. Graves sujets effectivement, mais qui font déjà l’objet d’une prise en charge, certes insuffisante, mais multiforme.

Il reste que le silence altermondialiste sur la «guerre des civilisations», la diabolisation de l’Islam, l’idéologie antiterroriste transformée en mode mondial d’atteintes aux libertés, est assourdissant. C’est bien de célébrer, par devoir de mémoire, les leaders défunts de la lutte anticoloniale, mais ce serait manquer l’essentiel que de s’abstenir d’aborder ce qui menace présentement l’avenir de l’humanité. C’est la crédibilité du mouvement dans lequel beaucoup ont placé de grandes espérances qui est en jeu s’il se met à occulter des questions cruciales et vitales. La guerre annoncée contre l’Iran, les manoeuvres contre la Somalie (ce n’est pas très loin de Nairobi), les formes nouvelles de néocolonialisme sont aussi les chapitres d’une mobilisation massive et les lieux de convergence de la solidarité entre les peuples du monde. Politiser l’altermondialisme est une exigence vitale pour qu’il ne devienne pas le cadre d’un oecuménisme informe, larmoyant et impotent. Nairobi ne doit pas être une sorte de Woodstock revisité, où se joue encore une fois la grande scène de l’indignation nébuleuse.