Anarchie dans le secteur audiovisuel : Le coup de gueule du président de l’Arav

Anarchie dans le secteur audiovisuel : Le coup de gueule du président de l’Arav

El Watan, 19 juin 2017

Zouaoui Benhamadi, président de l’Autorité de régulation de l’audiovisuel (ARAV), déclare son impuissance face à la situation inextricable dans laquelle se trouve le secteur audiovisuel depuis son ouverture aux investisseurs privés.

Dans deux entretiens distincts accordés au quotidien El Khabar et au Quotidien d’Oran, le président de l’ARAV, sous le feu des critiques à cause de dérapages de certains programmes de télévision, décrit un secteur «profondément plongé dans l’anarchie» qui «perdure depuis 2013». «J’entends et reçois beaucoup de critiques à l’encontre de l’Autorité de régulation et de son président, Zouaoui Benhamadi, qui est accusé tantôt d’être mou, tantôt d’être trop sévère, comme si je suis un morceau de gâteau au caramel. Certains ont même dit que j’ai jeté l’éponge et que je suis rentré chez moi», répond M. Benhamadi à une question relative à sa responsabilité dans l’anarchie qui règne dans le secteur audiovisuel.

M. Benhamadi poursuit en affirmant que l’Autorité de régulation ne dispose pas de moyens lui permettant d’accomplir sa mission comme il se doit. «Nos mains sont vides et nous n’avons pas suffisamment de moyens et d’instruments pour accomplir la mission qui nous a été confiée», lance-t-il non sans désolation. Il estime que ce qui est attendu de l’ARAV «n’est pas réalisable à l’heure actuelle». «Nous sommes 9 membres du collège et un tout petit nombre de personnels ‘‘prêtés’’ par des administrations publiques qui font fonctionner à la fois la comptabilité et quelques petits services. Nous sommes complètement dépourvus de moyens adéquats pour pouvoir faire notre travail. Des institutions de ce genre, dans certains pays, fonctionnent avec 300 à 450 personnes.

Ce sont des institutions qui doivent capter les compétences dans différents domaines, juridiques, techniques, des métiers de veille pour lesquels il va falloir former», précise-t-il.
M. Benhamadi dit attendre ce qui va être fait par le nouveau gouvernement, espérant dans ce sillage que les choses changent. Le président de l’ARAV précise que «toutes les chaînes de télévision sont illégales, même celles qui ont eu des accréditions pour travailler en Algérie, ce qui ne peut en aucun cas remplacer l’agrément». «Ces chaînes ne sont ni algériennes ni légales. Les meilleures d’entre elles, c’est-à-dire 5 sur les 55 existantes, ont été juste autorisées à ouvrir des bureaux de représentation. Or, tout le monde sait que ce ne sont pas de simples bureaux de représentation qui ont été ouverts, mais des rédactions parfois très fournies, importantes de par le nombre de leurs employés qui est entre 200 et 500 personnes.

Ces chaînes ont ouvert de véritables studios parfois extrêmement performants et modernes. La définition d’un bureau de représentation de presse est claire, il ne faut pas qu’il dépasse 9 employés», relève-t-il. Autrement dit, M. Benhamadi dénonce une situation dont il a héritée et qui rend sa mission à la tête de l’ARAV quasi-impossible à l’heure actuelle. «Nous nous retrouvons devant le fait accompli, avec des chaînes de télévision de droit étranger qui n’obéissent pas au droit algérien», relève-t-il. Aussi, il souligne que l’ARAV se trouve dans incapacité d’exercer sa mission «parce qu’elle n’a signé aucun cahier des charges avec aucune d’entre elles».

«Ce n’est qu’à partir de la signature d’un tel contrat qu’elle peut exercer sa puissance à la fois de régulation mais aussi de discipline si nécessaire», précise M. Benhamadi. Selon lui, les chaînes de télévision privées ne peuvent être sanctionnées que «dans le cadre de la loi générale, c’est-à-dire par le procureur et donc par la justice». Pour le président de l’ARAV, la fermeture de ces chaînes ne peut constituer la solution. «Il ne faut pas que le pays en soit dégarni parce qu’il n’y a rien de plus facile que de fermer, de casser.

Ce serait injuste. Là où il faut être intransigeant, c’est lorsqu’il s’agit de l’honneur des hommes avec un grand H, ou de l’unité de la nation. Je le dis sans esprit de dureté ou de mollesse», soutient-il. Une situation qui ne peut être réglée que par le gouvernement, estime M. Benhamadi. Le président de l’ARAV a vertement critiqué l’action de l’ex-ministre de la Communication. Sans le citer, Zouaoui Benhamadi pointe la responsabilité de Hamid Grine dans la situation actuelle de l’audiovisuel. «Je ne veux pas regarder de travers ni tirer sur une ambulance. Je pense que ce qui a été dit sur l’accréditation de nouvelles chaînes (par l’ex-ministre de la Communication) aurait pu être exprimé autrement, avec plus de finesse», souligne le président de l’ARAV qui reconnaît l’annonce à plusieurs reprises de l’autorisation de création de nouvelles chaînes de télévision.

Mais il assure qu’il n’en a pas une idée précise. M. Benhamadi dit avoir fait les frais de ses propos sur le sujet en affirmant dans une précédente déclaration à la presse que l’ARAV n’était pas concernée par cette histoire de création de nouvelles chaînes de télévision. Il affirme avoir été boycotté par les médias publics, radios et télévisions, suggérant que ce boycott aurait été décidé par l’ex-ministre de la Communication, Hamid Grine.

Zouaoui Benhamadi n’insulte pas l’avenir. Il espère que les choses évolueront rapidement et positivement pour mettre de l’ordre dans ce secteur. Pour lui, l’activité de l’audiovisuel est un investissement de longue haleine qui ne portera ses fruits qu’à moyen et long termes.
Mokrane Ait Ouarabi