Mohammed Hachemaoui : «Le régime veut interdire tout débat autour du coup d’Etat permanent»

Communiqué du quotidien El Watan

El Watan, 8 novembre 2013

Les autorités politiques ont interdit la tenue des «Débats d’El Watan», prévue pour demain samedi 9 novembre 2013.

La direction du quotidien El Watan dénonce cette grave atteinte à la liberté de la presse et d’expression dans notre pays. Elle s’inquiète pour l’avenir des quelques espaces d’expression encore existants.
El Watan a pour habitude d’organiser ces débats depuis 2005 sans autorisation de l’administration. Ils ont rencontré un énorme succès auprès des lecteurs et du public de manière générale. Totalement financé par le journal, cet espace autonome, indépendant et libre, est exclusivement réservé à la société civile.

Les arguments utilisés par l’administration pour interdire la tenue des «Débats d’El Watan» sont fallacieux. Cette interdiction intervient alors que le mouvement social est laminé, des journaux sont censurés, un jeune blogueur est jeté en prison, des menaces sont proférées par le ministère de la Défense nationale contre un journaliste d’El Khabar et que les atteintes aux libertés se généralisent.

Les autorités empruntent un chemin dangereux pour le pays. Il y a volonté de revenir aux années de plomb en balayant tous les acquis démocratiques arrachés par les Algériens en octobre 1988. C’est une voie qui mène au désordre et à l’instabilité.
Les «Débats d’El Watan» ne menacent aucunement la sécurité et la stabilité du pays ; ils sont au contraire un lieu de débat fécond, pacifique et démocratique sur l’ensemble des sujets d’actualité qui intéressent les Algériens.


Mohammed Hachemaoui : «Le régime veut interdire tout débat autour du coup d’Etat permanent»

El Watan, 8 novembre 2013

Nous l’avions, hélas, annoncé dans l’une de nos précédentes éditions en titrant notre dossier «Présidentielle : nouveaux interdits au nom de la stabilité».

La tentation autoritaire, la fermeture de plus en plus d’espaces d’expression semblent être la feuille de route adoptée par un régime grabataire et paranoïaque. Interdire une rencontre entre Algériens dans un espace public à Alger est un réflexe qui rappelle la répression coloniale contre les nationalistes algériens. La comparaison est-elle exagérée ? Malheureusement non : car l’interdiction d’accès à l’espace public est une humiliation pour les Algériens, qui ont fêté avec fierté le cinquantenaire de l’indépendance chèrement acquise. Nous avions évoqué, dans notre dossier d’El Watan Week-end, cette dérive qui coïncide avec les intrigues menées en haut lieu pour préserver les circuits de la rente et les mécanismes d’impunité.

Ce réflexe autoritaire est analysé par le politologue Mohammed Hachemaoui, concepteur des «Débats d’El Watan» : «Quand un régime panique devant un débat entre universitaires, cela veut dire ce que ce régime n’est pas fort de ses institutions ni de ses intermédiations, il n’est fort qu’en s’appuyant sur ses appareils de coercition dont le budget ne cesse d’augmenter.» En fait, rappelle M. Hachemaoui, il faut remonter à 2011 et examiner le décret interministériel Intérieur-Défense nationale qui «illustre la reprise en main totale de l’armée et de la police politique dans ce qu’ils qualifient de lutte contre la subversion». «La subversion est un terme élastique, vague, fourre-tout. On peut assimiler une critique du régime à de la subversion, nos rencontres-débats peuvent aussi être qualifiées de subversives dans cette logique», explique le politologue.

Le régime, qui craint que «le coût de la répression soit exorbitant, c’est-à-dire qui écorne son image de ‘respectabilité’ internationale, a peur de l’étincelle, celle qui peut emporter tout un système». «C’est pour cela que l’arsenal se durcit et que les cas du facebookeur emprisonné, le harcèlement contre le mouvement des chômeurs et d’autres cas sont des messages du régime pour dire que le coût de la parole est très élevé, poursuit le chercheur. Le régime veut interdire tout débat autour de ce qui se passe réellement aujourd’hui : un coup d’Etat permanent qui maintient en poste un Président incapable de gouverner.» «Le pouvoir espère installer une mécanisme de la peur en multipliant les exemples», ajoute le politologue. Pour M. Hachemaoui, ce qui est encore plus dangereux c’est que «le régime algérien prétorien n’a pas compris que les appareils répressifs ne sont pas suffisants pour se maintenir au pouvoir : l’armée du shah et sa Savak n’ont pas été d’un grand secours face aux trois millions de manifestants iraniens !»

Adlène Meddi