Net décalage entre le discours officiel et la réalité en Algérie

Célébration de la Journée mondiale de la liberté de la presse

Net décalage entre le discours officiel et la réalité en Algérie

El Watan, 4 mai 2015

Message de félicitation, vœux officiels, dépôt de gerbes de fleurs et multiplications des déclarations de bonnes intentions en direction de la presse…

Ce décor devient habituel et s’inscrit au registre des pratiques protocolaires à laquelle se sacrifient les responsables du pouvoir, à leur tête le chef de l’Etat, à chaque anniversaire de la liberté de la presse coïncidant avec le 3 mai de chaque année. Hier encore, les mêmes responsables n’ont pas dérogé à la règle. Le président Abdelaziz Bouteflika adresse un message «aux travailleurs du secteur de l’information et de la communication», dans lequel il les invite à adopter les réformes engagées dans le secteur et à défendre la patrie contre les menaces étrangères.

«J’exhorte les travailleuses et les travailleurs du secteur de l’information et de la communication à adhérer à la démarche de réforme et à se fédérer sous une organisation représentative au sein des instances nées à la faveur de ces développements, notamment l’Autorité de régulation de la presse écrite et le Conseil d’éthique et de déontologie professionnelle», lit-on dans ce message, estimant que «notre société a plus que jamais besoin, aujourd’hui, de parachever l’œuvre de modernisation du système d’information et de communication pour permettre aux médias d’assumer pleinement le rôle qui leur incombe dans la transmission d’une information authentique et crédible».

Après un long exposé sur «les réformes» entreprises dans le secteur et un appel «au professionnalisme», le message en question annonce l’institution «du prix pour le journaliste professionnel». Toujours dans le cadre de cette célébration, une délégation officielle a fait le déplacement à la place de la Liberté de la presse à Alger pour y déposer une gerbe de fleurs et se recueillir à la mémoire des martyrs de la plume. Par la même occasion toujours, le ministre de la Communication, Hamid Grine, s’est invité à la Chaîne III de la Radio national pour donner ses «vérités» sur la liberté de la presse en Algérie et surfer sur la situation socioprofessionnelle précaire des journalistes. Pour lui, l’Algérie est meilleure que tous les pays du monde en matière de liberté de la presse. «Nous avons une liberté totale de la presse.

Parfois sans restriction. Parfois une liberté qui devient outrageante et injurieuse. En Algérie, il y a des insultes et de la diffamation», assène-t-il. Hamid Grine nie, en revanche, l’existence de toute pression ou entrave à l’exercice journalistique en Algérie. Ce qui ne cadre pas avec la réalité du terrain. Car dans les faits, le discours des officiels algériens sur la liberté de la presse et la liberté d’expression relève plutôt de la science-fiction.

Car la précarisation de la situation socioprofessionnelle des journalistes ne date pas d’aujourd’hui. Dans de nombreux titres de la presse écrite financés par la publicité de l’ANEP, des journalistes et assimilés ne sont pas déclarés à la Sécurité sociale et perçoivent des salaires de misère avec plusieurs semaines de retard. Qui est chargé d’appliquer la réglementation pour en finir avec cette situation ? Ce ne sont pas les ministères de la Communication et du Travail ? A moins que leur nouvelle mission est de compter, chaque matin, le nombre de pages de publicité dans les quotidiens qui n’entrent pas dans «le cercle vertueux».

Le discours officiel n’est pas conforme également à la réalité, quand on sait que des journaux subissent, notamment depuis 2014, un véritable chantage et sont privés de la publicité. Le but est de les asphyxier financièrement, pour les amener soit à changer leurs lignes éditoriales où à mettre les clés sous le paillasson. Ce n’est pas tout. Les journalistes accusés par ces officiels de «verser dans la diffamation, l’insulte et l’injure» peinent à accéder aux sources de l’information et aucun texte de loi ne leur garantit, au même titre que tous les citoyens, ce droit.

La liberté d’expression en Algérie de 2015 est également bafouée. En plus de l’interdiction de toute voix d’opposition dans les médias lourds publics, le pouvoir, à travers les Services de sécurité, met sous haute surveillance même les réseaux et procède à l’arrestation de toutes les personnes «subversives». Voilà quelques exemples d’une réalité de la presse que les tenants du pouvoir doivent voir… peut-être le 3 mai 2016.