Guerre du Yemen: l’inconséquence de la politique étrangère algérienne

Guerre du Yemen: l’inconséquence de la politique étrangère algérienne

Ramdane Mohand Achour, Libre Algérie, 27 juillet 2017

L’horrible guerre du Yémen qui se déroule à huis clos illustre le règne du deux poids deux mesures dans la gestion de la scène politique et diplomatique internationale. Elle illustre également le fait que le système de régulation de la vie politique internationale fondé au sortir de la Seconde guerre mondiale (1939-1945) n’est plus adapté au contexte actuel marqué par la crise du système de domination unipolaire engendré par la disparition de l’URSS en 1991.

La plupart des conflits et des crises politiques qui secouent présentement la planète révèlent la volonté des grandes puissances de s’émanciper du cadre contraignant que représente à leurs yeux l’Organisation des Nations-Unies (ONU). L’équilibre des forces entre les blocs de l’Est et de l’Ouest permettait autrefois à l’ONU de gérer plus ou moins pacifiquement les rivalités, mais aussi la complicité, entre les deux « super-grands » (Etats-Unis et URSS). Désormais, les grandes puissances préfèrent imposer unilatéralement leur politique, sans en référer aux structures de l’ONU. C’est ainsi qu’après avoir militairement renversé le régime libyen, tué son dirigeant et détruit son Etat, la France néocoloniale convoque dans sa capitale des « pourparlers de paix » entre le maréchal Khalifa Haftar et le Président du Gouvernement d’entente nationale Fayez el-Sarraj. La présence à cette rencontre du nouvel émissaire de l’ONU pour la Libye, le libanais Ghassan Salamé qui a enseigné à Sciences-Po Paris représente une simple couche de vernis sur une démarche aussi unilatérale que ne le fut l’intervention militaire impérialiste de 2011 dans ce pays.

Il n’est pas nécessaire de s’appesantir outre-mesure sur le fait que la présence militaire américaine en Syrie est tout, sauf légale, contrairement à celle de la Russie pourtant tant décriée à longueur de médias.

Face au contournement de plus en plus systématique de l’ONU par les grandes puissances occidentales, la doctrine algérienne consiste à défendre l’organisation internationale comme cadre de négociation et de résolution pacifique des conflits. Cette position est tout à fait juste. S’il ne s’agit pas de magnifier l’ONU qui fut, à ses heures de gloire, au service des grandes puissances, il ne peut être question, à l’inverse, d’ignorer que cette organisation constitue un rempart, souvent purement formel mais parfois effectif, face à l’appétit insatiable des impérialistes et colonisateurs impénitents (Israël, Maroc…).

Dans l’affaire palestinienne, le gouvernement algérien a une nouvelle fois condamné, par le biais du ministère des Affaires étrangères, les « graves violations et dépassements » d’Israël à El Qods occupé. Qualifiant à juste titre la politique de Tel-Aviv de criminelle et de terroriste, les autorités algériennes ont réclamé de la part de la communauté internationale, dont l’ONU est l’expression légale, une action de protection du peuple palestinien et de ses symboles sacrés et exprimé « l’entière solidarité de l’Algérie […] soutenant le peuple palestinien et sa cause juste pour le recouvrement de ses droits légitimes ».

L’énergique et immédiate réaction officielle du département d’Abdelkader Messahel à la politique coloniale d’Israël est tout à son honneur. Elle ne parvient malheureusement pas à compenser ni à masquer le recul des positions autrefois anti-impérialistes de l’Etat algérien. La récente commémoration des 55 années d’indépendance a été l’occasion pour les historiens, mais également les médias publics, de rappeler que le Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) installé par le FLN historique avait refusé l’exigence du colonialisme français d’un cessez-le-feu préalable pour entamer des négociations de paix entre les deux belligérants. La révolution algérienne soutenait au contraire le principe selon lequel on négocie tout en luttant. Cela avait sans doute prolongé la guerre, mais permis finalement au FLN d’imposer sa juste conception.

Aujourd’hui pourtant, le gouvernement algérien soutient un principe et des pratiques exactement contraires dans le cas du Sahara Occidental. Tombant dans le piège tendu par les grandes puissances occidentales (France, Espagne…) qui soutiennent le colonialisme marocain à l’ONU, l’Algérie a entériné le principe de cessez-le-feu entre le Front Polisario et les Forces armées royales du Makhzen comme préalable à des négociations. Prouvant sa bonne foi, le mouvement indépendantiste a accepté un deal qui s’est finalement avéré être un marché de dupes puisque plus de 25 années après l’entrée en application du cessez-le-feu, le Maroc a bloqué toute négociation et toute issue diplomatique pacifique au conflit. Pis encore, la diplomatie algérienne a repris à son compte l’engagement imposé là aussi au Front Polisario de trouver avec son ennemi une « solution mutuellement acceptable » !

De Gaulle et Churchill auraient-ils accepté, en leur temps, de négocier avec Hitler une « solution mutuellement acceptable » pour mettre fin à l’occupation de la France et aux bombardements du territoire britannique ? Le FLN historique aurait-il dû rester l’arme au pied, le temps que la France et lui trouvent une « solution mutuellement acceptable » ? A ce rythme-là, les Sahraouis risquent d’attendre longtemps que la monarchie alaouite admette l’indépendance voire même l’organisation par l’ONU d’un référendum d’autodétermination équitable.

Dans l’affaire de l’agression saoudienne du Yémen, les autorités algériennes ont adopté dès le départ et à de multiples reprises une position de refus de participer à la coalition mise en place par Ryad avec la complicité des Emirats arabes unis (EAU) et du Qatar qui prétend maintenant avoir été contraint de participer à cette entreprise criminelle contre le peuple yéménite. Cela est à leur honneur, même si l’on peut considérer que c’est la moindre des choses pour un Etat comme le nôtre qui est issu d’une glorieuse et radicale guerre de libération nationale.

Mais cette position de départ est devenue largement insuffisante au vu des crimes commis depuis par l’armada de plusieurs dizaines de pays qui s’acharne sur l’un des peuples les plus pauvres de la planète. L’agression fomentée par la pseudo coalition islamique contre le terrorisme (sic) provoque non seulement la mort de combattants, mais surtout de civils écrasés sous les bombes ou victimes d’épidémies (choléra) et de famine, suite à l’effondrement des infrastructures de ce pays ravagé. L’Algérie officielle peut-elle continuer à jouer les bons apôtres en se contentant de demander aux deux belligérants de faire baisser la tension sur le terrain ?

On doit se demander ouvertement aujourd’hui pourquoi notre gouvernement ménage l’agresseur qui n’est autre que l’Arabie Saoudite ? La monarchie wahhabite soutient pourtant politiquement, diplomatiquement, financièrement et militairement le régime de Mohamed VI contre le peuple sahraoui ? Et notre voisin de l’Ouest le lui rend bien en envoyant ses avions bombarder la population yéménite. Pourquoi ne pas s’opposer frontalement à une monarchie saoudienne qui a tout fait pour déstabiliser le pays et renverser son Etat né d’une authentique révolution populaire ? Une monarchie qui après avoir instrumentalisé la religion et financé des mouvements islamistes attise par ses médias, sa littérature religieuse et ses théologiens les différences religieuses au sein de l’islam entre sunnites et chiites, malékites et ibadites…

Pourquoi continuer à affubler les dirigeants saoudiens de « frères » alors qu’ils répandent le chaos, la fitna et la mort partout dans le monde musulman : au Yémen, en Syrie, en Irak, au Bahreïn et face à l’Iran ? Pourra-t-on continuer longtemps à faire comme si de rien était et sponsoriser ce régime en envoyant chaque année des dizaines de milliers de pèlerins (Hadj et Omra) enrichir les caisses de la dynastie saoudienne qui peut ainsi acheter des bombes aux USA et massacrer allègrement les femmes et les enfants du Yémen ? Les crimes de l’Arabie Saoudite au Yémen sont-ils moins graves que ceux d’Israël en Palestine ?

Pourquoi ménager un régime qui assume de plus en plus ouvertement ses liens politiques avec Israël et son alliance avec lui contre Téhéran, le Hezbollah, le Hamas, le Djihad et les forces de la résistance palestinienne ?

On peut constater que les questions sont nombreuses. Trop nombreuses pour ne représenter que de simples « bavures ». C’est toute la doctrine diplomatique algérienne qu’il s’agit d’interroger aujourd’hui en liaison avec les évolutions économiques, sociales et politiques internes depuis une quarantaine d’années.