«Nous sommes prêts à travailler avec l’Algérie contre le terrorisme»

Entretien exclusif avec Mme Janet Sanderson, ambassadrice des États-Unis en Algérie

«Nous sommes prêts à travailler avec l’Algérie contre le terrorisme»

Entretien réalisé par Amine Echikr et Rafik Elias, La Tribune, 18 juin 2003

Le terrorisme mondial et les moyens de coopération entre l’Algérie et les Etats-Unis avec ce que suppose cette coopération en termes d’expérience algérienne et de logistique technologique américaine pour la lutte contre ce fléau, la politique américaine présente à l’égard des ressortissants arabes et musulmans aux Etats-Unis, les visas et la libre circulation des personnes dont dépendent grandement le développement et la croissance des échanges entre les deux pays, le programme du nouveau chef du gouvernement Ahmed Ouyahia ou encore la reconstruction des régions ébranlées par le séisme du 21 mai dernier et la formule d’aide américaine pour l’Algérie dans ce cadre… Autant de sujets abordés en exclusivité avec l’ambassadrice des Etats-Unis, Mme Janet Sanderson, dans une interview accordée à la Tribune à la veille de la fin de sa mission à Alger, prévue pour le 4 juillet, après un long séjour de trois années qu’elle juge très instructif et hautement révélateur d’un peuple algérien «fantastique» et d’une Algérie qu’elle s’apprête à quitter avec «beaucoup de regrets».Dans cette longue interview, la deuxième du genre depuis une année, le premier diplomate américain en Algérie revient également, et automatiquement, sur les relations économiques entre l’Algérie et les Etats-Unis, sur fond de la tenue de la Foire internationale d’Alger et d’une participation américaine qui gagne en espace et en stands. Et en choix surtout avec des exposants qui donnent la nette impression de vouloir passer le stade de la prospection et de cibler les secteurs les plus importants dans le programme de développement économique de l’Algérie. Disposés à investir si les conditions sont réunies, explique Mme Sanderson. Détails :

LA TRIBUNE : A la veille de votre départ, quel bilan faites-vous de votre action, depuis trois années, en Algérie ?

Mme Sanderson : Je suis vraiment très contente d’avoir passé presque trois ans ici en Algérie. Je vous assure que je vais partir avec beaucoup de regrets. Le peuple algérien est fantastique et le pays est fascinant. Le travail que nous avons fait ensemble a été très important. Je pense qu’ensemble, avec le peuple algérien, nous avons créé une nouvelle relation, une relation qui peut être bénéfique à toutes les parties, c’est-à-dire les Américains et les Algériens. Je suis persuadée que tout ce que nous avons fait ensemble constituera une base de travail solide à mon successeur, comme j’ai eu des bases solides que j’ai héritées de mon collègue M. Cameron Hume. J’espère que je vais laisser un héritage pour mon successeur.Dans le domaine économique, comme vous le savez, nos relations sont très étroites. En ce qui concerne les relations politiques, je peux citer deux visites présidentielles aux Etats-Unis. Je peux citer aussi les grandes vagues de visiteurs américains qui sont venus faire connaissance avec votre pays. Les discussions politiques que nous avons eues étaient très ouvertes, très franches, même celles concernant les dossiers les plus épineux. Les débats sécuritaires, la coopération, les consultations que nous avons faites depuis mon arrivée m’ont fait beaucoup plaisir. Je crois que nos deux pays marchent ensemble contre le terrorisme, contre le banditisme, et nous avons construit des relations solides.Je peux aussi ajouter le fait que nous avons rétabli l’image des Etats-Unis ici comme étant un pays de culture et d’éducation. Avec l’assistance de M. Eccel, l’attaché de presse et de la Culture, et son équipe, nous avons eu le premier événement culturel américain depuis dix ans. Nous avons envoyé des Algériens aux Etats-Unis dans les programmes Humphrey, Fulbright, et Visiteurs Internationaux. Nous avons aussi ouvert les services de notre centre américain informatique, American Resource Center, et bien entendu nous avons normalisé nos opérations au sein de l’ambassade. C’est un bilan dont je suis très fière. Mais je sais aussi qu’il m’aurait été impossible d’accomplir quoi que ce soit sans l’assistance de nos amis algériens, et bien sûr les membres de l’ambassade, ainsi que le soutien de nos responsables à Washington.

La venue des Etats-Unis à la Foire d’Alger, avec plusieurs sociétés et une augmentation de vingt-cinq pour cent du nombre des exposants cette année, nous donne l’impression que le choix des entreprises est mieux ciblé, à travers notamment le secteur de l’eau, de l’électricité, etc. Faut-il qu’il se dégage une meilleure visibilité du marché algérien après la prospection de l’an dernier ?

Je pense que nous avons une meilleure appréciation de vos priorités. Comme vous le savez, si vous avez une société, il faut qu’elle s’adapte aux besoins du client. A mon arrivée ici, quand je parlais avec les responsables algériens, et les responsables du secteur privé ou encore les Algériens que nous avons chez nous par exemple, il est devenu clair que les besoins et les priorités sont orientés vers les secteurs de l’eau, du logement, le système éducatif, l’agriculture. C’est pour cette raison que nous avons ciblé les secteurs aux Etats-Unis qui peuvent vous offrir aussi bien les produits que le savoir-faire et bien entendu l’engagement de faire face à vos besoins. Je ne sais pas si c’est une question de vision, mais c’est une question de s’impliquer de plus en plus dans le marché en dehors du secteur des hydrocarbures. Vous avez raison, nous avons recruté des entreprises spécialisées en eau, en construction. Des entreprises en fait qui sont à même de vous assister dans l’accomplissement des priorités du gouvernement comme pour la construction de l’autoroute Est-Ouest. Nous avons également remarqué que les entreprises qui sont avec nous cette année sont très dynamiques et se sont déjà engagées dans le marché en quelque sorte. Elles ont aussi une vision de leur participation ici en Algérie.

Toujours est-il qu’il subsiste cette idée que votre pays aspire plus à vendre à l’Algérie des produits qu’à lui faire bénéficier d’investissements. Aussi, les hydrocarbures continuent à être l’unique pôle d’attraction dès qu’il s’agit d’investir. Qu’en est-il réellement des autres secteurs ?

Non, non, pas du tout. C’est simplement un sujet avec lequel nous avons plus d’expérience bien sûr, mais ce n’est pas un sujet qui nous inspire plus que les autres. Je voudrais être très précise, nous voudrions nous engager dans tous les secteurs possibles ici en Algérie. Nous sommes tout à fait conscients de la concurrence. Nous avons conscience de la contrainte que constitue la distance géographique entre les deux pays. Il y a parfois l’obstacle de la langue. Mais, je peux vous assurer que les entreprises que vous avez vues au pavillon des Etats-Unis, sont inspirées et elles voudraient s’impliquer, s’engager, s’enraciner dans ce marché. Bien sûr, nous avons beaucoup d’expérience dans le secteur des hydrocarbures, mais cette fois-ci nous avons mis l’accent ailleurs que dans ce secteur. Cela est délibéré.

Vous évoquiez tout à l’heure les Chambres américaines de commerce au Maroc et en Tunisie. Qu’en est-il donc de la Chambre de commerce américaine en Algérie, née il y a déjà deux années ?

Notre Chambre de commerce américaine ici en Algérie, qui a un an et demi d’existence, compte presque quarante-cinq membres. Elle a invité les autres Chambres du Maghreb à venir participer à une réunion avec nos compagnies. Nous avons eu beaucoup de contacts avec notre Chambre de commerce, ici, et nous avons encouragé cette chambre à être de plus en plus active aussi bien ici qu’aux Etats-Unis. Parce que vous avez vraiment un problème de communication chez nous. Il n’y a pas beaucoup d’informations en ce qui concerne le marché algérien. Il n’y a pas beaucoup d’information sur l’Algérie chez nous. Je ne sais pas comment je peux vous expliquer que le manque d’information en ce qui concerne l’Algérie est un obstacle à une plus grande participation et à un plus grand engagement de la part de certaines sociétés américaines. Il y a quelques américains qui confondent, malheureusement, Algeria et Nigeria.Alors nous avons une vision selon laquelle notre Chambre de commerce doit être un canal de communication avec les Etats-Unis et les compagnies américaines pour montrer les opportunités qu’il y a ici en Algérie et expliquer comment on peut y travailler et démontrer très clairement que l’on peut réussir dans votre pays.

Le Maghreb est une nouvelle fois évoqué. Faut-il conclure que les relations commerciales bilatérales entre l’Algérie et les Etats-Unis ne sauraient se faire en dehors du cadre régional qu’est l’Union maghrébine ?

Non, mais bien entendu si vous avez un plus grand marché, s’il y avait un marché unifié au Maghreb, vous auriez un marché de soixante-dix millions de personnes. Il est clair que pour toutes les sociétés, qui viendraient de n’importe quel pays, c’est très attirant. Mais vous avez ici chez vous un marché de trente millions de personnes. Et comme nous en avions déjà discuté l’année dernière, vous êtes à proximité de l’Europe, vous avez une formidable position géographique, vous êtes pratiquement une porte ouverte sur l’Afrique. A mon avis, en Algérie il y a des atouts énormes pour n’importe quelle entreprise et je pense que nous sommes un peu en retard par rapport à nos amis européens, et on peut expliquer cela par plusieurs raisons bien sûr. Mais je suis sûre que les Américains peuvent faire concurrence avec tous les autres, une bonne concurrence.

L’Algérie vient de connaître un changement au niveau de la tête de l’Exécutif avec la venue de Ahmed Ouyahia…

Vous savez nous avons nos relations avec l’Algérie et non avec les personnes…

Et lorsqu’il s’agit de situer ce changement dans la logique des réformes économiques…

Ce n’est pas à moi d’en parler. Mais je dois dire que nous avons nos relations avec le pays et non avec des personnes. Pour les réformes économiques, elles sont claires pour le nouveau gouvernement. J’ai écouté le discours de Monsieur Ouyahia devant l’Assemblée nationale. Il est clair que ce gouvernement et bien sûr les Algériens ont une vision des faits qui peut répondre aux besoins des Algériens, le chômage, le logement et maintenant la reconstruction. Et je crois vraiment que ce n’est pas à moi de faire un bilan en ce qui concerne les perspectives de M. Ouyahia ou de M. Benflis, concernant les réformes économiques. Nous sommes simplement convaincus que l’économie que vous avez peut être bénéfique au peuple algérien.

Vous avez certainement un mot à dire sur le gel de l’avant-projet de loi sur les hydrocarbures d’autant que les Etats-Unis nourrissent encore énormément d’ambitions et de projets pour le secteur.

En ce qui concerne le secteur des hydrocarbures, nos compagnies ont bien réussi, comme vous le savez. Nous avons une présence très importante, très forte. Nos entreprises savent s’adapter à toutes les circonstances. Mais comme Mme Zens a dit, c’est à votre gouvernement et bien sûr au peuple algérien de décider comment ils veulent réformer leur économie. Le dossier des hydrocarbures est un dossier très épineux et très controversé. Il y a beaucoup de tendances, beaucoup d’idées en ce qui concerne l’avenir de ce secteur, la prochaine étape, je pense, en ce moment, que je dois laisser les hommes politiques et les autres, la presse, en débattre. Ce n’est pas un sujet pour moi.

Que devient réellement l’initiative Eisenstadt ?

OK, encore une fois, comme je l’ai fait l’année passée, je vous ai dit à propos de l’Initiative Eisenstadt, nous avons changé le nom. C’est une marque. C’est une marque de notre ancienne administration. Maintenant, c’est une initiative qui s’appelle le Partenariat économique des Etats-Unis et l’Afrique du Nord – the US North African Economic Partnership. En plus, à la suite d’une déclaration de M. Powell, il y aura une autre initiative qui s’appelle le Middle East Partnership Initiative (MEPI), l’Initiative de partenariat du Proche-Orient, y compris l’Afrique du Nord. Le département d’Etat a demandé pour la première année une subvention gouvernementale de 29 millions de dollars pour la région. C’est une initiative qui va engager le partenariat, mais aussi nous voulons cibler les dossiers ici en Afrique du Nord qui sont très importants. Des dossiers que nous avons identifiés avec votre gouvernement, mais aussi avec votre secteur privé, puisque c’est un partenariat privé-gouvernemental. Nous ne voulons mettre tout l’accent sur le gouvernement, parce que nous voulons encourager bien sûr le secteur privé. Il y a aussi un volet éducatif dans le MEPI. Les Etats-Unis ont perdu beaucoup de terrain en Afrique du Nord en ce qui concerne l’enseignement de la langue anglaise. Par exemple, dans le cadre de cette initiative, nous allons envoyer aux Etats-Unis des spécialistes pour étudier les programmes d’études de l’anglais, et les méthodes d’enseignement comme deuxième langue. En plus, nous allons soutenir les efforts des petits entrepreneurs, y compris les femmes. Nous voulons vous assister dans vos efforts de réformer le système juridique. Par exemple, il y a quelques priorités qui ont été identifiées par le Conseil constitutionnel et par le gouvernement pour régler les problèmes légaux plus rapidement. J’espère que nous pourrons aussi utiliser cette initiative pour les autres programmes que nous allons identifier avec la coopération, la consultation des Algériens, que ce soit gouvernemental ou privé.

Le développement des échanges entre l’Algérie et les Etats-Unis dépend indiscutablement de la libre circulation des personnes. Or, la lenteur des formalités de délivrance des visas en constitue un handicap certain. Des initiatives dans ce sens ?

Je suis tout à fait d’accord avec vous que c’est un handicap. Mais, comme vous le savez, ce sont des mesures pour protéger nos concitoyens et aussi nos frontières, des mesures qui ont été accélérées par les événements du 11 septembre. Je sais bien qu’il y a eu beaucoup de problèmes chez vous, chez nos amis. Il y a eu des incidents à l’aéroport. Néanmoins, je vous assure que nous, en tant que gouvernement, le département d’Etat, notre département de Homeland Security (Sécurité de la Patrie), et bien sûr le Congrès, nous essayons ensemble de trouver les moyens de faire des formalités qui peuvent protéger les Américains et les frontières, mais qui peuvent aussi être plus acceptables à nos visiteurs, à nos invités, puisque les échanges de personnes, comme vous avez bien noté, sont si importants. Mais il me faut admettre qu’il y a eu des problèmes. J’espère que mon gouvernement pourra continuer à régler ce problème. Je peux dire qu’il y a eu une grande amélioration. L’année passée cela prenait trois ou quatre mois pour avoir un visa. Maintenant le délai d’attente est de deux à trois semaines. C’est une amélioration. Après les événements du 11 septembre, décision fut prise de rendre les formalités d’entrée aux USA, plus strictes. Et cela a affecté la circulation des personnes vers les Etats-Unis.

Près de seize mille Arabes ou musulmans risqueraient l’expulsion de Etats-Unis. Qu’en est-il exactement ?

J’ai lu cet article. Je crois qu’il y avait quelques informations qui n’ont pas été comprises. Vous savez, notre Attorney General, c’est-à-dire le ministre de la Justice, a demandé à une catégorie de personnes de se faire enregistrer. Nous avons constaté alors qu’il y avait un certain nombre d’immigrés en situation illégale. Les seize mille personnes sont ceux qu’a identifiés le ministère de la Justice en situation illégale, mais je ne sais pas s’ils ont été expulsés. Les citoyens américains arabes n’étaient pas concernés, mais les gens en visite aux Etats-Unis et la plupart de ceux qui se sont enregistrés n’ont pas eu de problème.

Vu la tournure des événements, serait-il maladroit de parler d’acharnement injustifié contre l’Arabe et le musulman en Amérique. De plus, vous n’êtes certainement pas sans ignorer que vous avez beaucoup perdu vis-à-vis des sociétés arabo-musulmanes, avec la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak, la feuille de route qui n’est pas très favorable à la Palestine. N’y a-t-il pas une «arabophobie» et une «islamophobie» ?

On peut débattre ce point, mais avez-vous visité les Etats-Unis ? C’est un pays énorme. Il est très difficile de généraliser les choses en ce qui concerne les Etats-Unis. Notre peuple est un peuple très diversifié. On peut voir dans les rues, sur les trottoirs des Etats-Unis, des Arabes, des Anglo-Saxons, des Mexicains, des Chinois, des Japonais, des Indiens, des Indiens Américains. Par exemple, je viens de l’Etat de l’Arizona. Je suis anglophone, mais mes concitoyens dans ma ville natale sont dans une large mesure des Hispaniques qui parlent l’espagnol chez eux. Je pense que ce n’est pas une bonne idée de tirer des généralités sur les Etats-Unis. Cela crée toujours des problèmes, des conclusions erronées. Et bien sûr, vous en tant que presse, vous pouvez voir des problèmes au sein de la presse même, parce que c’est votre business. Mais la plupart des gens n’ont pas d’«arabophobie». La plupart des Américains sont tout à fait accueillants. Ils ne font pas de distinction entre les peuples parce que nous sommes tous des immigrés. Par exemple, je vais en Californie pour une année sabbatique à l’Université de Californie/Berkeley. Est-ce que vous pouvez imaginer que les étudiants de l’Université de Californie/Berkeley sont dans une large mesure d’origine asiatique, peut-être à 41% ? C’est l’une des universités les plus connues aux Etats-Unis. Ce sont les premières et deuxièmes générations d’immigrés. Ce sont des gens venus de l’étranger. Nous sommes un pays diversifié. Et je suis très fière de tout ce que nous avons accompli. Nous avons intégré beaucoup de sociétés qui viennent de partout avec très peu de problèmes.

Quelle évaluation faites-vous de la coopération entre les services de sécurité algériens et les services de sécurité américains dans le cadre de la lutte mondiale contre le terrorisme ?

En ce qui concerne la lutte antiterroriste, il y a une grande coopération. Je suis tout à fait persuadée que les canaux de communications que nous avons établis dans le cadre de l’information sont un grand atout pour tous les pays, pour notre pays aussi bien que pour le vôtre, ainsi que la coopération et le fait que nous menons le même combat. Vous avez malheureusement plus d’expérience en ce qui concerne le terrorisme. Il est difficile de trouver un Algérien qui n’ait pas été touché par le terrorisme. Aux Etats-Unis, les événements du 11 septembre étaient un choc. Je ne peux pas vous expliquer à quel point mon pays était touché par les événements du 11 septembre. Et je ne veux pas sous-estimer l’impact de ces événements chez nous et chez vous. Vous avez perdu tellement de gens en une décennie. Il est dommage que nous et les autres pays soyons entrés dans cette lutte, dans ce conflit, plus tardivement. Mais je suis très satisfaite de la coopération et je sais que les présidents Bush et Bouteflika sont tout à fait contents.

L’armée algérienne ou les services de sécurité algériens se sont souvent plaints de ne pas pouvoir acquérir certains matériels militaires qui permettraient d’être plus efficaces dans la lutte antiterroriste. Dernièrement, à Strasbourg, le président Bouteflika avait dit dans sa conférence de presse que nous manquions toujours d’équipement de pointe dans ce domaine. Y a-t-il un embargo sur les armes à destination de notre pays ?

Il n’y a pas d’embargo. Nous l’avons dit, et nous allons considérer la demande de l’Algérie en ce qui concerne les équipements sur la base du cas par cas. Et comme vous le savez aussi, il y a des équipements que nous avons déjà vendus aux Algériens, tels que des véhicules Humvees – y compris des pièces de rechange – et quelques autres équipements. Et nous sommes toujours prêts à discuter avec les Algériens pour trouver comment nous pouvons travailler ensemble contre le terrorisme.

Depuis l’indépendance de l’Algérie, plusieurs présidents algériens sont allés aux Etats-Unis, mais à ce jour, pas un seul président ni premier responsable américain n’est venu en Algérie. Comparés à nos voisins de l’Ouest, on a l’impression que l’on sous-évalue les relations bilatérales et que les Etats-Unis regardent l’Algérie à travers la lorgnette de la France et même que les Etats-Unis pensaient que l’Algérie était une chasse gardée de la France. Y aura-t-il un jour la visite d’un haut responsable américain en Algérie ?

Je vous assure que le fait que le président Bush n’ait pas visité l’Algérie ne signifie certainement pas que nous prenons l’Algérie en second plan. Il s’agit simplement d’une question de programme. Et comme vous l’avez remarqué, nous étions un peu distraits ces derniers temps. Mais je suis très fière d’avoir encouragé et obtenu la venue d’une série de visiteurs. Et je regrette, tout comme vous, le fait que notre secrétaire d’Etat n’ait pas encore visité l’Algérie. J’avais pensé que cela aurait été possible ce printemps, mais à cause de la guerre en Irak, vous avez remarqué qu’il a reporté ses voyages à travers le monde. Ce n’est pas une question de minimiser nos relations avec l’Algérie. Et surtout pas que nous regardions l’Algérie à travers la lorgnette de la France. Je vous assure qu’ici nous avons nos propres contacts et nous transmettons nos informations directement à Washington. Et bien sûr nous avons des intérêts très importants ici en Algérie qui transcendent les intérêts des autres pays. Chaque pays a ses propres intérêts. Et comme beaucoup de vos amis, nous voulons une Algérie stable, sécurisée et ouverte, et dans laquelle on peut travailler, voyager, faire du business et avoir un dialogue politique ouvert.

Concluons, si vous le voulez bien, avec un retour au dossier économique. Dans le cadre de la reconstruction, M. Bush a instruit le secrétariat d’Etat aux finances de trouver une formule d’aide dans un délai d’un mois depuis la tenue du G8. Est-ce qu’on pourrait avoir une idée de ce que sera cette aide pour la reconstruction ?

Franchement, je n’ai aucune information en ce moment concernant les décisions prises. Je peux dire que nous avons déjà fourni une aide dans le cadre de notre assistance humanitaire, nous avons déjà donné 1,6 million de dollars mais dans quelques jours ce sera presque deux millions de dollars. Nous avons quelques programmes que nous avons déjà lancés. Après le séisme, M. Eccel a trouvé un don de vingt mille dollars pour la reconstruction de la Bibliothèque nationale. Le département de Défense va donner trois cent mille dollars pour la construction des grands bâtiments provisoires qui pourront être utilisés comme écoles, cliniques et réfectoires. Mais bien entendu cela est la deuxième phase. La troisième phase sera celle de la reconstruction, et M. Bush a clairement dit à M. Bouteflika : «Nous voulons vous aider». Nous sommes en train d’identifier les besoins et de travailler bien sûr avec nos alliés, nos amis, et l’ONU, afin de cibler les choses les plus nécessaires pour les gens qui en ont grand besoin.Si je peux ajouter quelque chose en ce qui concerne mon départ, parce que je vais quitter l’Algérie, je dois dire que j’ai eu vraiment une expérience tout à fait merveilleuse chez vous. C’est un pays chaleureux. Un peuple extraordinaire. Un peuple avec lequel j’ai eu beaucoup de sympathie. J’ai été impressionnée surtout après le séisme qui était si tragique. Ce courage, cette solidarité, cet élan de votre peuple. Malgré tout, malgré le terrorisme, malgré les inondations, malgré la crise économique qui persiste, malgré tous les problèmes, les Algériens sont toujours optimistes. On peut voir cet optimisme à travers cette grande réaction des gens après le séisme. Les gens qui ont mis en place des cuisines pour les sinistrés, les femmes qui ont confectionné des vêtements. Tous ces gens qui trouvaient n’importe quelle chose à faire pour assister les sinistrés. J’étais tout à fait impressionnée par les petites annonces dans la presse de ces gens qui essayaient d’adopter des orphelins. C’est difficile. J’ai assisté à d’autres catastrophes naturelles dans d’autres parties du monde et généralement, l’orphelin est tout à fait caché, puisque l’on ne peut pas s’occuper des orphelins. Or, ici j’ai vu des petits messages qui disaient «nous sommes prêts à accueillir chez nous ces orphelins, notre maison est ouverte […]» C’est extraordinaire, extraordinaire ! Je partirais avec beaucoup de regrets, énormément de regrets, mais aussi avec des souvenirs incroyables.

Vous reviendrez peut-être en touriste !

J’espère! Parce que, comme vous le savez, en tant que diplomate, avec les contraintes protocolaires, je n’ai pas voyagé partout. Je n’ai pas eu l’occasion de voyager dans votre pays. Bien sûr, j’ai visité les champs pétroliers, j’ai visité Oran, Constantine. Mais j’aurais aimé visiter aussi le Sud, Annaba, Béjaïa. Comme vous le savez, j’ai passé l’essentiel de ma carrière au Moyen-Orient. J’ai été touchée par les Algériens. C’est un pays assez complexe, c’est difficile pour les étrangers de comprendre parfois ce qui se passe dans ce pays. J’ai eu des conversations, des discussions très intéressantes, dynamiques, avec les Algériens qui ne craignent rien, jamais trop polis pour dire la vérité.

A. E./R. E