Confusions syriennes

CONFUSIONS SYRIENNES

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 25 mars 2013

En Syrie, les choses ne se clarifient pas. Un niveau symbolique a été franchi par l’assassinat dans une mosquée de l’imam Ramadhan Al-Bouti. Cet acte terroriste porte clairement la marque des djihadistes qui tendent à imposer la «ligne» sur le terrain des combats. Et après Al-Qaradhaoui, c’est le gros pachyderme et peu intelligent Abderahmane Al-Soudaïs, imam de la grande mosquée de La Mecque, qui s’est réjoui de l’assassinat en traitant l’imam Al-Bouti de tous les noms, dont celui d’être un propagateur de bida’a, des «innovations».

Dans les rangs de l’opposition syrienne dont les marges d’action politique paraissaient depuis longtemps totalement bridées par les «soutiens extérieurs», les divergences ne se cachent plus. La désignation, le 18 mars dernier, d’un «Premier ministre», en la personne de Ghassan Hitto, a suscité de fortes controverses. Le parcours de Ghassan Hitto – il a passé 25 ans aux Etats-Unis, a été cadre dirigeant d’entreprises de haute technologie avant de rejoindre les rangs de l’opposition fin 2012 – n’a rien à voir avec les opposants qui ont crapahuté et subi la répression. De là à dire que les Américains se sont offert leur Ahmed Karzaï ou leur Ahmed Chalabi syrien, il n’y a qu’un pas… que beaucoup n’hésitent pas à franchir. La première déclaration de Ghassan Hitto a été tranchante : «Il n’y aura pas de dialogue avec le régime d’Assad». Dans le même temps, des journaux américains ont annoncé une implication plus grande de la CIA afin de surveiller les radicaux islamistes et de les «liquider» éventuellement.

Et alors que les tensions s’accroissent à proximité du Golan avec Israël, le chef de la Coalition nationale (opposition), Ahmed Moaz Al-Khatib, a annoncé sa démission dans un texte publié sur sa page Facebook. Comme toujours pour ce qui concerne la Syrie, il vaut mieux aller au texte en arabe d’Al-Khatib plutôt que de se contenter des synthèses données par les agences de presse. On y découvre, sans surprise, une dénonciation véhémente du régime syrien, une critique de la passivité internationale… Et, dit-il, il «honore» sa promesse de démissionner si «une ligne rouge était franchie», ce qui est à ses yeux le cas. Où se trouve cette «ligne rouge» qui pousse Al-Khatib à démissionner ? Elle est très clairement dans le rôle des puissances étrangères qu’il ne nomme pas… mais qui se laissent aisément deviner. Le Qatar, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis qui ont leur «Premier ministre»…

Al-Khatib qui avait osé évoquer un dialogue avec Damas et avait été copieusement critiqué pour cela, confirme que l’opposition syrienne est sans marge de manœuvre, totalement dépendante de ses soutiens extérieurs. Certains, admet-il, apportent une «aide par pure humanité», mais d’autres sont animés d’une volonté de «dompter le peuple syrien, d’encercler sa révolution et de la dominer». Le désormais ex-chef de l’opposition donne une image sans ambiguïté de la situation des opposants. «Celui qui est prêt à obéir, ils le soutiennent, celui qui refuse sera affamé et assiégé», écrit-il en affirmant qu’il ne «quémanderait l’assentiment de quiconque… Notre message à tous, c’est que seul le peuple syrien va prendre sa décision». Il n’est pas certain que la «révolte» d’Al-Khatib change la donne. Elle trouble dans l’immédiat la grande mise en scène du Qatar qui veut donner le siège de la Syrie à la Ligue arabe à l’opposition.

Hier, à Doha, les ministres arabes des Affaires étrangères n’ont pas annoncé de décision sur ce sujet. L’Algérie avec l’Irak et le Liban avaient exprimé des réserves à l’idée d’octroyer le siège de la Syrie à l’opposition. Le contenu de la lettre de démission d’Al-Khatib ne surprend pas, il devrait conforter ces «réserves». Encore faut-il que l’Algérie – qui au fond est en total désaccord avec la politique qui se mène au sein de la Ligue arabe sur la Syrie – veuille l’exprimer avec plus de force qu’elle ne le fait actuellement. Ce qui semble improbable au vu de la diplomatie de profil bas et d’indécision de ces dernières années.