Carrefours

CARREFOURS

par M.Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 16 février 2010

Dans une organisation de pouvoir où le principe de négociation avec les représentants autonomes et légaux des catégories socioprofessionnelles n’est toujours pas à l’ordre du jour, une lettre ouverte d’un ministre de l’Education aux enseignants relève moins de l’innovation que de l’expression d’une impasse. La très forte contestation sociale est désormais structurelle, elle n’est plus épisodique. La non-reconnaissance par les pouvoirs publics de la qualité de partenaire social aux syndicats autonomes ne change rien à cette réalité. Ces syndicats sont plus écoutés que le ministre de l’Education ou de la Santé. L’évolution est lente mais durable. Cela fait plus d’une décennie que le monopole syndical imposé de facto est battu en brèche par des catégories socioprofessionnelles qui ont compris que la défense de leurs intérêts réside dans l’émergence de leurs propres organisations.

La lettre ouverte du ministre de l’Education apparaît ainsi comme un aveu d’échec que l’on peut généraliser à l’ensemble du pouvoir au regard d’une politique à courte vue qui consiste à ignorer les nouvelles réalités syndicales. La démarche montre à quel point les esprits tardent à se mettre à jour au sein du pouvoir, expression d’une gestion désuète des conflits sociaux. Le fonctionnement est celui de la décennie 90 où un contexte sécuritaire dur et anxiogène avait littéralement tétanisé les revendications et permis de faire passer sans résistance un ajustement par le bas à travers la dévaluation du dinar et les compressions massives d’effectifs. L’ajustement structurel a été un drame social généralisé. Et il n’est pas surprenant que les syndicats autonomes représentatifs tentent de corriger une paupérisation associée à une perte de dignité – en ayant comme référence les salaires de leurs homologues dans les pays voisins.

Le discours traditionnel qui consiste à lier une hypothétique amélioration des salaires à des gains de productivité n’est plus audible. Les scandales révélés par la presse suffisent pour rendre caducs les appels à la «responsabilité» et au sacrifice. D’ailleurs les sceptiques – et ils sont légion dans un pays qui est revenu de beaucoup d’illusions ne sont pas loin de considérer que les «affaires» sont essentiellement destinées à donner le change à un corps social travaillé par l’amertume et la colère. Les médecins, enseignants et d’autres catégories sociales qui revendiquent des salaires décents ne sont ni des aveugles ni des ignorants. Ils ont accès à des informations sur l’état des finances du pays, ils constatent la banalisation de l’enrichissement sans cause et savent tout des techniques d’intermédiation délinquante aux carrefours des marchés publics.

Quand on contemple quotidiennement ce qui s’apparente à une curée générale, quel discours pourrait convaincre des médecins et des enseignants à davantage de rigueur ? Pour une bonne partie de l’opinion, les «campagnes anti-corruption» ne sont que des artifices. De très nombreux citoyens considèrent en effet les scandales de malversation comme autant d’aveux qui ne crédibilisent pas le système, bien au contraire. Dans un système qui s’est auto-verrouillé au point de s’interdire la moindre évolution, le blocage est profond. Est-il alors surprenant que l’actualité nationale se résume aux affaires de corruption et à la montée des grèves ?