Le prix de la justice et de la vérité

Le prix de la justice et de la vérité

Abdelkrim Ghezali, La Tribune, 14 Mai 2001

La commission d’enquête que Issaad est chargé de constituer n’arrivepas à prendre forme une dizaine de jours après son institution.Dès son annonce par le président de la République, un scepticismes’est installé, aussi bien en Kabylie qu’ailleurs, sur la capacité deladite commission à établir la vérité et à larendre publique. Le scepticisme, tant au sein des populations que parmi ceuxqui ont refusé d’en être membres, est dû au passif des commissionsdites indépendantes ayant enquêté sur l’assassinat de Boudiaf,sur la mutinerie de Serkadji, sur la fraude électorale et celles devantgarantir la transparence et la régularité des élections.La question de fond qui se pose est le pourquoi de ce genre de commission chaquefois que le pays est face à la nécessité d’établirune vérité. La réponse à cette interrogation renvoieforcément à la nature de l’Etat et du système politiqueen vigueur et à la nature des rapports entre les institutions et les populations.Les événements de Kabylie, tout autant que l’assassinat de Boudiaf,la mutinerie de Serkadji et la fraude électorale, relèvent de lajustice si cette institution était indépendante de l’Exécutif.Tout le drame est là. C’est pour cette raison que les Algériensse soulèvent, optent pour la violence, sont séduits par les promessesfumeuses des extrémistes. Les exactions et dépassements des servicesde sécurité, les abus de pouvoir et l’autoritarisme de l’administrationcentrale et locale sont des phénomènes communs à tous lespays, y compris les plus démocratiques. Mais dans ces pays, la justicen’attend pas une instruction de l’Exécutif pour agir. Le procureur dela République est au service de la justice et du justiciable et non à lasolde d’un pouvoir, si légitime soit-il. Le juge est libre de son jugementet n’obéit qu’à la loi. La situation de la justice en Algérieest tout autre. Elle est l’image du pouvoir législatif qui dépend,dans les faits, de l’Exécutif.Sous d’autres cieux, la commission d’enquêteparlementaire est une autorité institutionnelle qui convoque tous lesprotagonistes dans n’importe quelle affaire et les interroge publiquement. Cesprotagonistes sont sommés de se soumettre, quelle que soit leur positiondans la hiérarchie politique, militaire ou économique du pays.L’exemple des commissions d’enquête du Congrès américainest assez éloquent. La commission d’enquête parlementaire mise surpied après les événements de Kabylie lance un appel à témoignages,comme si l’origine des émeutes était inconnue. Pourquoi ne convoque-t-onpas les personnes directement impliquées dans le drame qui a coûté lavie au jeune Massinissa dans la brigade de gendarmerie de Beni Douala ? Pourquoine convoque-t-on pas le responsable des services de sécurité ayantordonné de tirer sur les manifestants ? Pourquoi n’envisage-t-on pas uneaudition publique dans l’hémicycle des «élus du peuple» desfamilles des victimes et des témoins oculaires des événementssanglants de Kabylie ? La justice et la vérité ont un prix, très élevé.Mais il ne pourra jamais égaler le sang des jeunes victimes du printempsnoir d’Algérie.