Algérie : émeutes du gaz, grève des étudiants et « rentiers »… Ouyahia joue avec le feu

 

Algérie : émeutes du gaz, grève des étudiants et « rentiers ». Ouyahia joue avec le feu

www.risques-internationaux.com, 30 janvier 2005

Le 7 février prochain devrait être une journée de grève à l’Université d’Alger , à l’appel du CNES (Conseil national des enseignant du supérieur) et des organisations autonomes estudiantines. Ce pourrait être l’un des points culminants d’une escalade de manifestations / répression qui avait commencé, en décembre dernier, avec l’inculpation de 3 étudiants et s’était poursuivie, le 10 janvier, par l’arrestation de 24 autres, appartenant à la faculté des Sciences politique et de l’information de l’Université d’Alger. Cette grève se greffe, de surcroît sur un mouvement généralisé de grogne des enseignants (certains accumulant d’importants retards de salaires, dans l’enseignement primaire notamment) et, depuis la mi-janvier, sur une nouvelle vague d’émeutes populaires .

En effet, le prix administré de la bouteille de gaz butane a été porté, en début d’année, de 170 DA à 200 DA, si bien qu’il atteint 250 DA, 300 DA ou plus encore, au niveau du consommateur final, en cette période hivernale exceptionnellement froide. Le prix des carburants a augmenté, lui aussi, se traduisant par une hausse des tarifs des transports (scolaires notamment). Les émeutes qui avaient commencé à la mi-janvier à Birine (à 200 km au Sud d’Alger, dans la wilaya de Djefla, pourtant réputée pour son calme, d’ordinaire) se sont étendues comme une traînée de poudre au cours du Week End de l’Aïd (22 janvier) pour toucher la plupart des régions du territoire, affectant surtout les bourgades et les villes secondaires : à l’Ouest , près de la frontière marocaine, et à Tiaret , comme à l’Est , à Guelma et près de Constantine , au Centre, à Médéa et à Bouira , en petite et grande Kabylie . Plusieurs incidents ont notamment éclaté dans des localités situées à proximité du trajet d’un oléoduc mais qui ne sont pas, elles, alimentées en gaz naturel (d’une façon générale, le taux de raccordement au réseau est faible en Algérie, de l’ordre de 35 % seulement).

C’est notamment ce qui vient de se produire à Bentalha , dans les environs d’Alger, une localité déjà meurtrie par un horrible massacre en septembre 1997 (cf. « Qui a tué à Bentalha », de Nesroulah Yous, Editions la Découverte, Paris 2000). Dans la nuit de vendredi à samedi, les habitants ont, comme leurs prédécesseurs des autres régions, bloqué les principaux axes routiers avec des barricades improvisées et des pneus brûlés. Ils entendaient manifester contre les coupures d’électricités, le manque de gaz butane et l’absence d’un réseau d’alimentation en gaz de ville, alors que la canalisation qui alimente la zone industrielle voisine de Baraki ne passe qu’à quelques centaines de mètres de chez eux. Des affrontements se sont produits avec les forces d’intervention rapides dépêchées sur les lieux. Un scénario désormais bien rodé , mais qui se déroule dans le cadre d’un froid inhabituel et des chutes de neige.

C’est probablement ce que n’a pas encore compris le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia qui s’obstine à donner de la voix pour dénoncer les  » forces occultes  » qui seraient, selon lui, derrière ces manifestations de mécontentement populaire :  » Nous barrerons la voie aux manipulations de rentiers et de politiciens à la suite de la récente augmentation des marges  » affirmait-il ainsi le 25 janvier. Décryptage : tous les consommateurs de biens aux prix administrés sont, en quelque sorte, les bénéficiaires de rente de situation (donc des « rentiers ») qui s’opposent au processus des réformes. Une argumentation qui aurait pu paraître raisonnable si la décision de hausse des prix avait été moins brutale, si elle avait été prise en été et si la société Naftal , qui distribue le gaz butane, enregistrait des résultats catastrophiques. Ce qui n’est pas le cas puisqu’elle affiche des résultats exceptionnels, en 2004 comme en 2003. Nombreux sont ceux qui pensent que le président Bouteflika s’emploie actuellement à user son premier ministre jusqu’à la corde et à le pousser à la faute, avant de s’en débarrasser. Mais en attendant, les arrestations continuent, les condamnations à la prison ferme se multiplient (même pour les mineurs) et la révolte prend de l’ampleur.