Soulagement et espoir chez la population de Berriane

Après la signature de la feuille de route pour un pacte de paix

Soulagement et espoir chez la population de Berriane

Berriane s’est réveillée hier sur une note d’espoir. La signature entre malékites et ibadites de la feuille de route pour une paix durable a suscité chez la population des deux rives (Est et Ouest) un sentiment de soulagement, mais aussi de satisfaction. Soulagement, parce que « la politique du dialogue a vaincu celle de l’exclusion » et satisfaction « parce que la paix a fini par s’imposer ».

Berriane (Ghardaïa) : De notre envoyée spéciale, El Watan, 2 avril 2009

C’est l’avis qui s’est dégagé de toutes les discussions que nous avons eues avec de nombreux citoyens qu’ils soient ibadites ou malékites. Pour les habitants, il est temps que la tension et la peur disparaissent pour permettre aux gens de vivre en toute quiétude et sans violence. « Berriane appartient aux deux communautés et aucune d’elles ne peut aller vivre ailleurs que dans sa ville », a déclaré un sexagénaire de Haï El Moudjahidine (malékite). Pour lui, « il n’est plus question de continuer à compromettre l’avenir des enfants de la cité ». Les mêmes propos sont tenus par Youcef, un universitaire ibadite. « Nous voulons circuler en toute sécurité comme avant, que les enfants ne vivent plus dans la peur, que les femmes ne soient plus terrorisées à l’idée de se retrouver seules dans la maison. Il faut d’abord que la paix revienne pour que la réconciliation soit possible », déclare-t-il. La ville vit aujourd’hui au rythme de la campagne électorale. Les portraits du président candidat sont collés partout sur les murs, les façades et les vitrines des magasins alors que des chants en sa faveur sont diffusés à longueur de journée par des baffles assourdissants. Les autres candidats sont presque absents à Berriane, exception faite pour Mohamed Saïd, qui a réussi à obtenir une permanence au cœur même du quartier ibadite.

Policiers et gendarmes a bord de camions antiémeute sont encore présents et en force, même si parfois, ils se font discrets. La crainte de voir certains provocateurs rallumer la mèche de la violence est perceptible chez une bonne partie de la population. Ce qui impose le maintien de ce dispositif sécuritaire. « Il y a encore quelques jeunes qui font dans la provocation et la présence sur place des policiers et des gendarmes est nécessaire pendant encore longtemps jusqu’à ce que la paix soit rétablie totalement entre les deux communautés », annonce Mohamed, de Baba Saâd dont la maison a été brûlée à Haï El Moudjahidine. Mais il espère qu’un jour, il pourra retourner dans ce quartier qui a vu naître ses enfants, pour vivre avec ses voisins. « Pour l’instant, ma femme ne veut plus entendre parler de cette maison. Elle a vu trop de violence pour pouvoir revivre au milieu de ceux qui l’ont agressée. Mais la situation est tout autre aujourd’hui. Nous voulons aller au-devant et reconstruire notre ville avec plus de tolérance. Pour cela, nous savons qu’il faut du temps », souligne-t-il. Lounès, père de quatre enfants, a perdu son emploi, mais aussi sa maison. Il travaillait chez les ibadites, habitait avec eux. Lui aussi, sa maison a été incendiée. Il espère qu’un jour, il pourra retourner parmi ceux qu’il qualifie de « frères ». « Je ne sais toujours pas pourquoi, il y a eu tant de haine et de violence entre nous. Nous vivions en totale harmonie. Je travaillais chez un ibadite et tout allait bien jusqu’aux jours maudits des émeutes. Je vis chez mes cousins avec mes enfants et je n’ai vraiment pas envie que cette situation perdure. Je voudrais revenir à la vie d’avant, que mes enfants retrouvent leurs copains de quartier », soutient-il en larmes. Pour tout le monde, l’accord qui a abouti à la signature de la feuille de route par les représentants des deux communautés a fait renaître l’espoir pour un avenir meilleur.

« Nous ne voulons pas piéger les générations futures. Il fallait que ça s’arrête », lance un membre du Conseil des malékites. Pour lui, les signatures ont été apposées « dans l’intérêt de l’Algérie qui doit être unie et indivisible. Ce qui est important dans cette crise, c’est le fait que la majorité des ibadites et des malékites ait rejeté la violence et veut vivre en paix. Nous avons remarqué que sur le terrain, le climat était déjà plus détendu avant même que les représentants ne signent. Ce qui a permis d’aller vers cette feuille de route, en quelque sorte, une base qui permettra par la suite de consolider définitivement la paix puis la réconciliation », explique notre interlocuteur. Selon lui, si les tractations d’avant n’ont pas abouti, c’est parce qu’il y avait un problème de représentativité. Il aura fallu, précise-t-il, que la situation dégénère, au mois de février dernier, pour que la nécessité de resserrer les rangs et de donner la légitimité aux porte-parole se fasse ressentir. « La fête du Mawlid a été pour nous un test qui a réussi. Nous avions décidé que cette fête se déroule sans pétard. Des campagnes de sensibilisation ont été menées durant des semaines et Dieu merci, nos efforts n’ont pas été vains. La fête s’est déroulée sans pétard, ni incidents. Vous savez que la mèche qui a allumé les affrontements a été justement cette histoire de pétards, en mars 2008. Cette année nous avons fêté le Mawlid avec la récitation du Coran sur les places publiques et tout le monde était content », indique-t-il.

« Nous n’avons pas le droit de laisser la haine s’installer chez nos enfants »

Faisant partie du conseil malékite, Ahmed abonde dans le même sens. Il met l’accent sur le fait que, cette fois-ci, les jeunes ont joué le jeu, en se mobilisant contre toute provocation ou incident qui pourraient replonger Berriane dans le climat des affrontements. « Il y a une volonté collective de mettre un terme à cette situation de violence, même si au fond, la peur est toujours présente. La confiance entre les deux communautés n’est pas encore totale. C’est normal. La fracture a été profonde à cause des morts. Mais avec le temps, tout rentrera dans l’ordre pour peu que la population prenne conscience du danger de la division et s’implique davantage pour isoler les extrémistes. Nos enfants doivent vivre en paix et dans la sécurité », relève-t-il. En effet, les plus touchés par cette vague de violence sont inévitablement les enfants des deux communautés qui, pour l’instant, sont pour la majorité séparés. Benyoucef Djamel, directeur du seul centre culturel de la ville, exprime son regret de voir de nombreux mômes ne plus venir à ses programmes de loisirs, pourtant destinés à les soulager du poids du stress et de la psychose.

Il note que cette fois-ci la situation est bien prise en main, parce que les représentants des communautés, notamment celle des Mozabites, à laquelle il appartient, sont écoutés et respectés. Selon lui : « La blessure profonde est encore béante, ce qui explique l’absence de nombreux enfants qui venaient au centre aux activités culturelles. Nous avons entamé des campagnes de sensibilisation pour que les parents ramènent leurs enfants dans l’espoir de ne pas aggraver la cassure entre les communautés, mais aussi soulager cette frange de la population de la peur et du stress qu’elle doit vivre à cause des événements. Des réticences sont encore perceptibles, mais je sais qu’au fond, ils vont un jour revenir. Un riche programme les attend durant les prochaines vacances. Le centre va tout faire pour que la réconciliation soit effective entre les enfants. Nous n’avons pas le droit de laisser s’installer la haine dans leur cœur, sinon l’avenir de Berriane sera compromis. Rien ne sert de signer des pactes de paix ou de réconciliation entre les adultes, si nous laissons la haine se développer chez nos enfants. » Dans la rue, les passagers qui empruntent la RN1, cette route dite de l’Unité africaine et qui sépare les deux communautés, ne remarquent pas cette fracture, en dépit de la souffrance des uns et des autres. « Comment croire à l’Unité africaine si nous sommes incapables de préserver l’unité d’une petite ville de 35 000 habitants ? », se demande un enseignant, qui dit vivre douloureusement, le fait que ses classes soient presque vides depuis les événements. La feuille de route pour un pacte de réconciliation est, pour lui, une bouée de sauvetage pour la région. « Un espoir auquel il n’y croyait plus il y a quelques semaines seulement », précise-t-il. Le rêve de revivre la coexistence d’avant semble aujourd’hui permis. Il suffit de laisser le temps guérir les blessures, puisque la volonté de le réaliser est affichée par tous. Est-ce la fin d’une douloureuse époque ? Peut-être. Pour peu que la population soit mobilisée pour isoler les extrémistes de tout bord.

Par Salima Tlemçani