Alger : Plus de manifestants anti-4e mandat, plus dure est la répression

Alger : Plus de manifestants anti-4e mandat, plus dure est la répression

Une centaine de manifestants se sont rassemblés hier devant la Faculté centrale d’Alger pour dénoncer une nouvelle fois la candidature du président Abdelaziz Bouteflika.

La police les a dispersés avec violence. Près d’une centaine de militants, membres de Barakat, étudiants, citoyens contre le 4e mandat se sont retrouvés à 11h. Sur place, un dispositif policier renforcé les attendait. Les arrestations musclées de la police se sont enchaînées dès les premières démonstrations, d’abord au niveau de l’entrée de la faculté, puis sur la rue principale. D’emblée, les interpellations sont violentes. «Le pouvoir panique et passe à l’action. La police en est à la seconde étape», réplique Zak, militant du mouvement Barakat. La première manifestation organisée par le mouvement le 1er mars a été réprimée, mais celle-là est clairement plus forte.

Les militants et les journalistes en font le constat. Zak a été arrêté quelque temps après son arrivée sur les lieux, alors qu’il était interviewé par une chaîne de télévision. «Ils m’ont arraché et transporté vers le fourgon de police. J’étais avec le directeur d’Algérie News, ses deux filles et deux journalistes, dont un qui a été maltraité. Le commissariat devait être plein, le fourgon a tourné pendant une heure avant de nous déposer et on étouffait dans le noir», poursuit-il. Tous ceux qui prenaient la parole étaient également arrêtés. La police dispersait toute la foule : manifestants, passants et journalistes. Plusieurs initiateurs du mouvement Barakat sont la cible de la police dès leur arrivée : Samir Benlarbi, Mustapha Benfodil, Amira Bouraoui et Me Badi Abdelghani, président du bureau de la LADDH d’Alger, Khenche Belkassem, coordinateur du Mouvement des chômeurs, ou encore Lahbib Lalili, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire El Djanoub.

Environ cent manifestants sont interpellés et maintenus en garde à vue quelques heures avant d’être relâchés. «J’ai été arrêté loin du rassemblement par des policiers en civil. De toute façon, les arrestations se font surtout par reconnaissance faciale ; ils nous identifient comme des membres de Barakat, ou des anti 4e-mandat depuis que nous faisons des manifestations», explique Aziz. «Le but de la police était de libérer la place Audin et de nous dispatcher dans les commissariats. Ceci dit, j’ai bien peur que les commissariats d’Alger ne puissent plus tous nous accueillir», ironise le militant Samir Benlarbi. Les militants sont progressivement libérés. En début d’après-midi, ils sont tous relâchés.


Répression du mouvement Barakat : témoignage de Mustapha Benfodil

Membre fondateur du mouvement Barakat, opposé au 4ème mandat de Bouteflika, Mustapha Benfodil, écrivain et journaliste à El Watan, nous livre un témoignage vivant sur la manifestation de jeudi 6 mars et des heures passées au commissariat.

Jeudi 06 mars. 11H tapantes. Je me pointe en solo, en face de la Fac Centrale. Une heure avant, je reçois un coup de fil d’un militant de confiance qui m’informe que les policiers ont reçu l’ordre d’arrêtersystématiquement tous ceux qu’ils pensent être les « têtes » de »BARAKAT! » La veille, il avait été convenu de ne pas débarquer tous en même temps sur le site du sit-in. Le déploiement impressionnant des forces de l’ordre tout au long de la rue Didouche-Mourad, et, tout particulièrement aux abords de la Fac Centrale, me conforte dans ce choix. Je fais de mon mieux pour passer à travers les barrages humains de la police sans me faire embarquer.

Un dessin d’enfant froissé par un flic

A peine arrivé à hauteur de la Brasserie des Facultés qu’un brouhaha monte. Une voix s’écrie « TAHIA EL DJAZAÏR! », celle de Mehdi Bsikri, membre actif du mouvement. Il est traîné de force par une nuée d’uniformesdéchaînés. Ils le poussent tout de suite dans un fourgon cellulaire. Je prends mon téléphone et appelle Samir, une autre « tête » du Mouvement, dans le but de se réorganiser. La communication est mauvaise. Je détourne mon regard de la scène d’interpellation de Mehdi pour ne pas fléchir et poursuis mon chemin.

Consigne: ne jamais perdre son sang-froid. Rester calme. Ramasser les autres militants du mouvement pour un deuxième souffle. Je marche à pas mesurés en direction de la place Audin. Chemin faisant, je croise des visages amènes qui me redonnent le sourire: Arezki Aït Larbi, LazhariLabter, Kiki, le professeur Nacer Djabi, ou encore l’admirable (et « incorrigible ») Hadda Hazam. Des amis me demandent des nouvelles de Louisette Ighilahriz. J’ai eu l’honneur de parler avec elle au téléphone mercredi soir, et elle m’assura que, pour peu qu’elle en eût la force, elle descendrait dans la rue. Une très grande dame!

Même QASSAMAN n’y peut rien

J’essaie de joindre Amira Bouraoui. Elle m’apprend qu’elle était arrêtée en même temps que les autres leaders du Mouvement. Je comprends qu’il ne me reste plus qu’à les rejoindre et redonner du travail à la police. J’avais préparé mon plan. On s’était passé le mot de scander Qassaman. En outre, j’avais résolu, histoire d’injecter un peu d’imagination dans notre langage, de brandir un dessin de ma filleLeila en lieu et place des pancartes habituelles. Une manière de leursignifier, aux BouteflikaS, Toufik et consorts: « Arrêtez de jouer avec l’avenir de nos enfants! » Mais ni Qassaman, ni le dessin rigolo de ma fille ne me prémuniront de la sauvagerie policière.

Parvenu à hauteur de la Faculté, je hisse mon dessin en répétant l’hymne national. Cela ne leur soutire pas le moindre frisson à nos très nationalistes hommes à matraque. Une meute de gaillards en bleu fond aussitôt sur moi en m’accablant de leur fiel. Ils m’arrachent violemment des mains le dessin de ma fille comme s’il s’agissait d’un tract appelant à la désobéissance civile. J’avoue que cela m’a fait mal plus que tout le reste. Heureusement que j’avais pris le soin, avant de sortir, de le scanner. On me traîne de force vers un fourgon cellulaire. Je ne résiste pas. Je voulais m’économiser. J’étais seul dans le fourgon.

Deux ou trois minutes plus tard, ils ramènent H., un éducateur sportif résidant à Ain Benian. L’homme, d’un bon gabarit, se débat comme il peut. Le pauvre ne faisait que passer. C’est en voyant les flics me malmenercomme ils l’ont fait qu’il s’est mêlé à la manif. Une simple histoire de « nif ». Un brave homme comme il y en a tant, et à qui je tiens à rendre un fervent hommage. Il se retrouve donc dans le panier à salades.Comme il refusait d’obtempérer, un policier en civil, corps sec et langage ordurier, s’acharne contre lui avec une méchanceté toute animale en le battant hystériquement, les coups le disputant aux cris,noms d’oiseaux et verbe menaçant, en jurant par tous ses dieux de nous mater. Il lui casse en mille morceaux ses lunettes de soleil.

J’interviens pour lui dire qu’il n’avait pas le droit de le brutaliser ainsi. Sur quoi, le type sort de ses gonds et m’assène un violent coup de poing à la figure. Le forcené prend visiblement peur quand je lui dis: « Rayeh n’bassik ». Quatre autres manifestants arrivent dans la foulée.Des étudiants pour la plupart. Je n’en connais aucun. J’apprendrais à les connaître. Et c’est toute la force de ce mouvement. Samedi dernier, c’est dans un panier à salades que j’ai fait la connaissance de HafnaouiGhoul, Samir Benlarbi, Me Badi Abdelghani et le dramaturge Mohamed Charchal, et maintenant, on ne se quitte plus, comme de vieux copains de bahut.

Un sous-sol froid et humide

Le fourgon cellulaire prend la direction d’El-Biar. De la petite fenêtre grillagée donnant sur la cabine de pilotage me parvient le grésillement d’un talkie-walkie. Une gorge profonde intime à l’officier assis devant de traiter les manifestants interpellés avec respect. Preuve que laviolence disproportionnée déployée par les troupes du général El-Hamel a fait mal en haut lieu, surtout à considérer le nombre impressionnant de caméras et d’appareils photos présents rue Didouche, et l’effet « campagne virale » provoqué par la moindre imagetémoignant de la répression.

Aux coups de midi, on nous dépose au commissariat d’El-Biar (côté boulevard Bougara).

Comme la fois passée, on nous confisque nospapiers d’identité et nos téléphones portables. Image marquante: les murs dégoulinant du commissariat, rongés par l’humidité. On nous descend dans un sous-sol froid. A droite, des bureaux. A gauche, un compartiment de trois cellules avec des sanitaires. Les cellules en question sont hors d’usage. On nous invite à défiler devant un officier qui remplit patiemment des fiches de renseignements. Je lui demande aussitôt si je pouvais déposer plainte contre son confrère. Il merétorque que cela n’était pas de son ressort. Il remplitconsciencieusement ma fiche: nom du père, nom de la mère, adresse, profession…Et cette question qui me désarçonne: « Est-ce que vous buvez? ». No comment…On nous invite ensuite à nous regrouper dans le compartiment aux cellules dont la porte, métallique, a tout d’une grille de prison, sauf qu’elle était restée ouverte.

On passera plus de trois heures parqués dans cet espace glauque, sans autre chaise que le parterre nu, des tôles ondulées en plastic faisant office de toiture, et des toilettes infectant l’atmosphère de leurs exhalaisons. Sur les trois cellules, deux servent de cagibi. A un moment donné, le commissaire en chef vient vérifier la « marchandise ». Il est un tantinet railleur au début. « Zaâma entouma vous allez changer le système? » jette-t-il d’un air goguenard. Sur la fin, il se montrera nettement plus chaleureux, voire même solidaire. Les officiers sont extrêmement courtois, nous lancent des signes de ralliement. « Je suis au service de la démocratie » ose même l’un d’eux. En tout, nous serons gardés entres les mains de la police (trajet compris) de 11h30 à 15h50. Sans nourriture.

Au cours de notre « garde à vue », deux autres groupes arrivent, chacun composé de trois personnes. Soit 12 au total. Parmi eux, un jeune étudiant en génie civil à l’USTHB et qui ne faisait que passer. Les autres étaient des manifestants de tout bord. Sur les douze « salopards », j’étais le seul journaliste. Preuve en est que cette lame de fond est loin d’être un « truc » de journalistes comme une certaine propagande pro-systèmeessaie de le faire croire. Il y avait, parmi nous, quatre étudiants, dont deux de Béjaïa qui terminent leur cursus à Bab-Ezzouar (filière: hydraulique), et un autre venu spécialement de Blida (sciences de l’environnement).

A. est un ancien employé de Sonatrach, un délicieux jeune homme de Ouled-Fayet. Il me confie que ce qui l’avait décidé à descendre dans la rue, c’est la prestation télévisée de notre ami Mehdi sur Echourouk TV. Il faut citer également Yacine, jeune psychiatre plein d’entrain, mine enjouée et béret sur la tête. Et puis le délicieuxBouzid, expert en marketing qui s’est déplacé spécialement de Tizi-Ouzou. Un vrai petit génie celui-là, espiègle au possible et plein d’humour. « 700 milliards de dollars et voilà le travail: des murs pourris. Une heure ici et tu deviens asthmatique » taquine-t-il le commissaire principal.

Meeting en plein commissariat

Et comment ne pas citer ce barbu de 60 ans, islamiste impétueux, enfant de la Casbah, qui nous raconte comment, tout petit déjà, il se frottait à la Révolution. Gouailleur et fortement politisé, l’homme milite au sein de la Coordination nationale pour la défense des droitsdes chômeurs (CNDDC). Il s’indigne qu’on arrête « les honnêtes gens tandis que les supporters de Bouteflika défilent à leur guise, sans être inquiétés ».

Haranguant les policiers, il lâche : « Nous voulons vous libérer, vous aussi. Même la police coloniale avait pitié des femmes et des enfants. Pourquoi vous ne créez pas un syndicat? Nous allons vous aider à retrouver votre dignité. Révoltez-vous! » Il tient un discours très modéré vis-à-vis des « ilmaniyine » (laïcs) et croit dur comme fer que ce n’est qu’en abolissant les divisions, « cultivées par le pouvoir », qu’on fera renverser le rapport de forces et chasser le régime. « Il y a une brèche dans le système, le DRS craque, il faut profiter de cette conjoncture unique! » martèle-t-il.

La plupart du temps, nous restons debout. L’assemblée bout.Décidément, ça parle à fond politique sous les auspices de la police. Aquelque chose malheur est bon: ces jours-ci, les succursales du général El-Hamel mettent leurs locaux à la disposition des dissidents de tout acabit. Démocratie subliminale? Les jeunes activistes inexpérimentéssont exaltés. Transcendés. ça les transfigure. Des amitiés naissent, des liens se tissent, dans le feu des arrestations. Un vent de liberté souffle sur les chaumières. On savoure à pleins poumons.

15h et des poussières. On nous sort enfin pour nous conduire dans une polyclinique, à côté, pour la rituelle visite médicale avant libération.Un citoyen, s’étant enquis de l’objet de notre interpellation, s’emporte devant un policier: « Le peuple est désormais prêt à tout, on est déjà mort. Je fais 17 000 DA, je vis dans un taudis, hadi m’îcha hadi? Vous appelez une vie, ça? On va tous sortir dans la rue! » Et toute la salle d’attente qui applaudit.

« Mon nom est Hassiba Benbouali »

A peine nos téléphones récupérés que l’on s’empresse de prendre les nouvelles des autres camarades. J’apprends d’un militant qu’une policière, enceinte de six mois, avait été mobilisée dans l’opération de répression de la manif, au grand dam de la pauvre femme. Bouzid me transmet le témoignage d’une militante qui avait pris le métro, et qui se vit empêchée, en même temps que les autres passagers, de sortir de la bouche du métro. « Soit vous patientez, soit vous rebroussez chemin » leur intime un officier.

Le meilleur, c’est le récit de Me Badi Abdelghani, avocat et militant des droits humains, embarqué avec une quinzaine d’autres citoyens, dont Amira Bouraoui, au commissariat du 14ème, à Hussein-Dey. « Pour commencer, nous avons refusé de leur remettre nos téléphones et nos pièces d’identité » témoigne notre avocat. Et d’ajouter: « Quand la police nous a demandé nos noms et prénoms, Amira a eu l’ingénieuse idée de répondre: Hassiba Benbouali » Et les autres de suivre: « Moi, c’est Souidani Boudjemaâ »; »Moi, c’est Amirouche »; « Moi, je suis Larbi Ben M’hidi ». Vous l’aurez compris: même si le corps est brisé, le moral est gonflé à bloc.QASSAMAN…

Mustapha Benfodil Membre fondateur du Mouvement « BARAKAT! »


 

Sidali Kouidri Filali. Militant du mouvement Barakat

Nous avons réussi à ramener le système à la confrontation avec son propre peuple

Sidali Kouidri Filali, 35 ans, fonctionnaire et blogueur, a choisi de militer avec Barakat, pour «défendre son pays». Il estime que cette fois-ci, le système, enfermé dans son «cocon», va être dépassé par la contestation.

-Age et profil des militants, nature de la revendication, absence de leader(s) emblématique(s)… Le mouvement d’opposition au 4e mandat, qui est en train de se structurer dans la société civile, ne ressemble pas à tous ceux qui ont précédé. Vrai ?

Oui, il est fondamentalement différent. En 2011, les manifestations ont d’abord été d’ordre social. Aujourd’hui, elles sont d’ordre politique. Derrière le refus du 4e mandat, nous manifestons pour notre dignité. Le système nous impose un candidat, diminué physiquement, qui ne s’est pas exprimé depuis deux ans, soutenu par une mafia politico-financière. Nous n’avions pas d’autre choix que d’entrer en confit avec ce système qui méprise son peuple et dilapide notre pétrole.

-Barakat donne l’impression de s’être formé soudainement, est-ce le cas ?

On voyait bien ce qui allait se passer. On voyait bien les ministres utiliser l’argent de la République comme si c’était l’argent du roi pour le distribuer dans des circuits huilés depuis quinze ans. Abdelmalek Sellal est allé dans plus de 40 wilayas ! Du jamais vu depuis l’indépendance ! Nous pensions que la classe politique, les intellectuels allaient réagir. Et puis, il ne s’est rien passé. Alors on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose. C’est là que tout a commencé. A la première manifestation, nous étions à peine cinq. Aujourd’hui, on est complètement dépassés par les demandes de l’intérieur du pays, d’Algériens qui nous demandent comment faire pour s’organiser. Les gens se sont dit : «Mais mince, nous aussi on pense la même chose.» Seulement, ils n’ont pas de canaux où s’exprimer puisque les médias sont à la solde du système en place. Nous avons réussi à faire tomber le mur de la peur, à faire renaître l’espoir, à ramener le système à la confrontation avec son propre peuple.

-Mais on l’a vu avec la CNDDC en 2011, ou encore avec le mouvement des chômeurs, le pouvoir a l’habitude de désamorcer la protestation, soit en la réprimant, soit en la faisant imploser…

On sait que le système a ses méthodes, celle d’une dictature des plus vicieuses et des plus expérimentées au monde. Mais cette fois-ci, les réponses classiques du pouvoir n’auront aucun effet. Il va être dépassé. Quand nous avons été embarqués par la police, samedi 1er mars, lors de la manifestation devant la Fac centrale, nous avons été surpris par l’accueil dans les commissariats. Tous les policiers, quelle que soit leur fonction, sont venus nous voir pour nous féliciter. Alors qu’en 2011, ils nous disaient : «Qu’est-ce que tu crois ? L’Algérie n’est pas l’Egypte ni la Tunisie», aujourd’hui, ils nous soutiennent. Certains nous ont dit : «Moi, je ne tirerai jamais sur mon peuple !» Ces derniers jours, fait complètement nouveau en Algérie, on a vu aussi des militaires arracher leur grade et nous envoyer des messages de solidarité.

-L’autre différence avec les précédentes mobilisations, c’est l’absence de «figure» charismatique et politisée à la tête du mouvement.

Bien sûr, nous avons reçu des appels de citoyens et de figures politiques connus, qui nous ont proposé leur aide. Mais malgré notre inexpérience, quitte à faire des erreurs ou même à échouer, nous voulons nous débrouiller tout seuls. Tenter de nous structurer par nous-mêmes. Parce que nous considérons que les partis politiques ont échoué. En 2011, on a vu la contestation sociale reprise par des personnes qui ont toujours fait de la politique. Avec un passif qui explique d’ailleurs, en partie, l’échec du mouvement. La politique est une activité gérontocrate et même l’opposition reproduit les schémas du pouvoir qu’elle prétend combattre. Les gens ne croient plus aux partis politiques. En revanche, s’ils sont à nos côtés en tant que citoyens, comme le fait Soufiane Djilali, qui s’est proposé en tant que tel sans nous parler de Jil Jadid, là, nous sommes d’accord.

-Ne pensez-vous pas que si les partis politiques qui appellent au boycott se joignaient à vous, votre potentiel pour fédérer les gens serait décuplé ?

Le boycott est une option que nous respectons mais c’est une solution politique. Même si 99% des Algériens boycottaient, Abdelaziz Bouteflika passerait quand même. Le boycott passif ne lui fera aucun mal. A ce stade-là, nous ne voulons rien d’autre que dire stop à cette mascarade, pour défendre l’Algérie d’abord. Nous ne voulons pas d’un 4e mandat, qui se serait le mandat de la mort pour l’Algérie. Nous recevons de nombreux soutiens de gens qui n’ont jamais fait de politique mais qui se sont reconnus dans le slogan «Non au mandat de la honte». C’est un smig de revendication.

-Vous n’échappez pourtant pas aux accusations de manipulations…

Je voudrais aussi insister sur le caractère autonome et citoyen du mouvement, sans casquette partisane ou allégeance officielle ou officieuse à des candidats prétendus. Nos revendications sont claires et sans équivoque, comme nos aspirations. Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est justement pour que ce pays ne bascule pas dans l’inconnu ou la dérive, ce qui risque fort d’arriver si un système aussi pourri continue à gouverner.

-Si à chaque manifestation, les militants se font interpeller, ne craignez-vous pas l’usure ? Jusqu’où êtes-vous prêt à aller ?

Jusqu’au bout pour défendre nos droits. Mais j’insiste : pacifiquement. Nous savons que les Algériens sont traumatisés. On nous accuse de vouloir déstabiliser le pays, mais je réponds que nous sommes des patriotes. On ne fait que défendre l’Algérie. Ce sont eux, en face, qui usent de violence. Mardi, au Conseil constitutionnel, alors que nous voulions déposer une simple lettre, les militants se sont fait tabasser, humilier. On voit bien que le système se recroqueville sur lui-même. Et cette mobilisation compte d’autant plus que nous avons un empêchement de taille : notre histoire récente. Il n’est pas facile pour nous de faire bouger les Algériens, entrés dans la léthargie parce qu’achetés par la paix sociale. Mais le peuple d’aujourd’hui ne serait-il pas le même peuple que celui de 1954 ? Celui qui a vaincu le terrorisme ? Le pouvoir sait qu’il a tout à craindre de lui. Et je vous le dis, ce peuple va se réveiller. La fracture est verticale : il y a des Algériens, au cœur même du système, qui ne veulent plus continuer ainsi. Le pouvoir ne veut rien voir parce qu’il vit dans son cocon. Mais la réalité va vite le rattraper.

Bio express :

Sidali Kouidri Filali, 35 ans, né à Khemis Miliana, est informaticien de formation et fonctionnaire. Il tient aussi un blog, DZ Wall, qui se veut «un espace de liberté pour partager ses avis de jeune Algérien engagé». Il a choisi de s’mpliquer dans le tout nouveau mouvement Barakat pour protester contre le 4e mandat.

Mélanie Matarese


 

Réactions :

-Raj dénonce les arrestations …

Raj dénonce les arrestations massives et la répression policière. Le mouvement soutient la mobilisation pacifique et revendique le respect des droits humains. Il appelle à la concertation les acteurs et organisations citoyennes qui oeuvrent pour la dignité. «Le pouvoir est en train de mener le pays vers le précipice (…). Il est en train de prendre le risque de se faire débarquer en réponse à sa propre violence», lit-on dans le communiqué rendu public hier.

…Et Amnesty International met en garde :

L’ONG dénonce les atteintes à la liberté d’association et d’expression, ainsi que les brutalités policières. L’Algérie connaît depuis début mars «une nouvelle vague de répression» à l’approche de l’élection présidentielle. Cette situation montre bien que «les autorités ne tolèrent pas que l’on puisse réclamer des réformes et qu’on s’oppose à la décision du Président de briguer un quatrième mandat à la tête de l’Etat», annonce Amnesty International.

En bref

-Un journaliste d’El Watan frappé au visage :

Le journaliste d’El Watan et écrivain, Mustapha Benfodil, un des initiateurs de Barakat, a été frappé au visage par un policier dans un fourgon, hier lors de la manifestation anti-4e mandat. «Les policiers se sont jetés sur moi sauvagement, alors que je m’étais mis de côté par rapport à la foule. Je voulais scander Qassaman et brandir un dessin», raconte Benfodil. «Un passant s’est interposé et les policiers l’ont embarqué avec moi. Quand j’ai protesté contre l’interpellation du jeune homme qui n’avait rien à voir avec la manifestation, le policier m’a envoyé un coup de poing en pleine figure», relate encore le journaliste. Il a été ensuite emmené, avec des étudiants, un membre du comité des chômeurs, un comédien et un employé de Sonatrach, au commissariat d’El Biar, «et on nous a mis dans une cellule donnant sur des WC qui débordaient», avant d’être relâchés quelque temps plus tard. (Ad. M.)

-Abdelghani Hamel justifie la répression :

Le rassemblement n’était pas «autorisé», il fallait que les forces de l’ordre «fassent leur travail», a expliqué le directeur de la Sûreté nationale, Abdelghani Hamel. Il évoque l’arrestation d’une «trentaine» de personnes durant la manifestation. «Aucune violence n’a été exercée contre les personnes interpellées. Tous ont eu droit, avant d’être relâchés, à un examen médical et à l’utilisation du téléphone, selon les dispositions prévues dans le code de procédure pénale», a affirmé Abdelghani Hamel. (APS)

-Réunion des boycotteurs à Alger :

Lors d’une réunion élargie, les boycotteurs de l’élection présidentielle de 2014 se sont retrouvés, hier à Alger, pour décider des prochaines étapes à suivre dans le cadre de leur mouvement. Ont pris part à cette réunion l’ex-candidat à la présidentielle, Ahmed Benbitour, le président du MSP, Abderrazak Makri, le secrétaire général d’Ennahda, Mohamed Douibi. Cette rencontre a vu aussi la participation du président du RCD, Mohcine Belabbas, ainsi que Lakhdar Benkhellaf, représentant du Front pour la justice et le développement (Al Adala), et Ismaïl Saïdani de Jil Jadid. Une déclaration sera faite aujourd’hui ainsi qu’un compte rendu de cette réunion. (Meziane Abane)

Salsabil Chellali