Le lobby des généraux algériens à la retraite

LES ANCIENS MILITAIRES ET LA POLITIQUE

Le lobby des généraux algériens à la retraite

Le Quotidien d’Oran, 31 mars 2004

Militaires à la retraite, généraux mis au placard, officiers supérieurs sans commandement, la scène politique algérienne connaît depuis des mois l’intrusion de ces anciens officiers dans le débat public. Quitte à embarrasser l’institution militaire qu’on dit «irritée» par ces porte-parole autoproclamés.

En l’espace de deux mois, plusieurs généraux à la retraite montent au créneau pour, dans la plupart des cas, vilipender le président Bouteflika et appuyer cette idée reçue que l’état-major de l’armée est hostile à une réélection du président-candidat pour un second mandat.

Ces interventions brouillent forcément le message du chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Mohamed Lamari, qui doit non seulement gérer un canevas d’échéances internationales chargé (problèmes du Sahel, dialogue avec l’OTAN, coopération avec l’EUCOM, visites officielles à l’étranger), mais aussi se tenir régulièrement informé de l’agitation qui gagne la scène politique, dont les déclarations des anciens cadres de l’ANP.

Dans ce cas de figure, la tradition revient de droit à son prédécesseur, le général Khaled Nezzar, ancien ministre de la Défense et homme respecté pour ses prises de position en 1992, qui a publié non seulement trois livres, dont un critiquant Bouteflika qu’il avait soutenu en 1999 après une autre volte-face, mais qui est toujours intervenu à la hussarde dans des questions politiques. Si Khaled Nezzar en est devenu le chouchou des médias, nationaux et mêmes internationaux, avec son fameux leitmotiv «c’est moi qui ai arrêté le processus électoral en 1992″, ses sorties publiques ont toujours mis dans l’embarras les chefs militaires (dont un remarqué sur le dossier du Sahara Occidental).

Considéré comme porte-parole officieux de l’armée, du moins auprès des analystes, ces derniers voyaient en lui une voix «autorisée» mais officieuse qui pouvait dire tout haut ce que l’état-major pense tout bas, tout en sauvegardant les principes du fonctionnement institutionnel.

Or, l’inconvénient, au-delà du rôle tenu par Nezzar, dont le franc-parler est connu dans l’ensemble des casernes où il est passé, est que d’autres généraux lui ont emboîté le pas, souvent avec moins de charisme, pour intervenir dans le champ politique, non en tant qu’experts militaires mais en tant qu’anciens officiers supérieurs de l’armée.

Il en est ainsi du général Djouadi, qui multiplie les attaques contre le président Bouteflika, du général Benyellès, dont la candidature avortée a prêté à équivoque, ou encore du général Benhadid, le nouveau venu dans le cercle des retraités médiatiques de l’armée, qui a déclenché des attaques mystérieuses contre le chef de cabinet de la présidence, Larbi Belkheir, et appelle à voter Ali Benflis, ancien protégé de celui-ci !

Tous ces généraux à la retraite – on évoque une quinzaine qui ont fait ouvertement de Ali Benflis leur «poulain» – entretiennent l’illusion que l’état-major de l’armée cautionne leur démarche, quitte à azimuter davantage le message de neutralité du haut commandement qui a eu le mérite de s’exprimer par trois fois. La discipline et la cohésion au sein du corps militaire n’étant pas une légende, du moment que l’ANP a démontré une solidité impressionnante lors des années de terrorisme, est battue en brèche par ces interventions.

Le conflit d’intérêt qui s’en dégage provoque un malaise au sein de l’opinion publique algérienne. Ces généraux, qui ont la particularité d’être pratiquement tous recyclés dans le milieu des affaires, un «droit» consacré par le système Chadli Bendjedid, ont fini par constituer un lobby d’influence hétéroclite mais pesant sur le débat public, notamment celui qui concerne le retrait de l’armée des affaires politiques.

La jonction avec de grands industriels en manque de parrainage et de caciques grabataires de la «société civile» qui tient table ouverte à Moretti, renforce encore plus cette image, combattue par l’ANP, d’une institution rentière et corrompue.

Selon un récent sondage de l’institut Abassa, seulement 2% des Algériens croient que l’ANP est un corps où se propage la corruption. Ce qui dénote qu’entre les «généraux-containers» et les généraux probes, cliché véhiculé par une certaine presse étrangère, les Algériens ont largement tranché le sujet.

Il n’en est pas de même d’autres militaires qui alimentent le débat public avec des analyses constructives allant dans le sens souhaité par l’état-major. Le cas du général Mohamed Touati, dont les interventions sont concertées et qui reflètent la substance des rapports armée-classe politique, qui sont souvent en la défaveur de cette dernière.

D’autres généraux à la retraite, par contre, qui ont eu une aura considérable au sein du corps constitué, tel que le général Mohamed Betchine, ne se sont pas livrés aux médias malgré les crises politiques.

Ainsi, l’intrusion de ces militaires à la retraite équivaut à créer une cacophonie telle qu’elle peut paralyser les messages que peut envoyer l’armée. L’institution considère qu’elle est assez stable et rodée aux attaques pour ne pas répliquer à tout intervenant. Elle suppose également que le droit de réserve et l’esprit républicain l’emportent sur la passion politique.

Mais ce message ne semble pas être arrivé à ses anciens cadres qui s’acharnent sur Bouteflika, au nom de leur appartenance mais surtout en envenimant le bon fonctionnement institutionnel. Ce qui fera dire à un observateur averti que «ces généraux qui sont à la retraite représentent à peine leur petite personne».

Mounir B.