Démocrate cherche armée désespérément

Démocrate cherche armée désespérément

Par Abdou B., Le Quotidien d’Oran, 6 février 2003

«Lorsqu’on se penche trop sur soi, on en vient forcément à s’aimer ou à se haïr démesurément. Dans l’un ou l’autre cas, on s’épuise avant son temps». Cioran

A l’écoute des bruissements du microcosme, réduit aux deux pôles communicants (la maison de la presse et le bord de mer), l’expectative ou l’ offensive sont de rigueur. C’est que les derniers propos du général Lamari ont eu l’effet d’une douche froide. Du coup, M. Reda Malek a botté en touche en dénonçant fermement l’attaque qui s’organise contre l’Irak. Une position qui a le mérite du courage et de la clarté, à inscrire à l’actif de l’ancien chef du gouvernement. Si les supputations vont bon train, selon la formule consacrée, elles illustrent un désarroi et surtout la perte d’un présumé repère qui se dérobe soudainement. «La religion» dominante dans de petits cercles était que l’ ANP, du moins ses courants éclairés et ses décideurs étaient par «nature» férocement opposés aux courants islamistes légaux, et donc forcément «éradicateurs». Poussant cette logique à son terme, les mêmes «penseurs» ont travaillé depuis juin 1991 à approfondir cette «thèse» et finir en supputant sur de prétendues contradictions insurmontables entre M. Bouteflika et les chefs de l’armée. Et, évidemment, ces contradictions majeures porteraient sur les «projets» de société. L’ANP voudrait continuer à sauvegarder «la république des copains», tandis le chef suprême des Armées ne rêverait qu’à donner son propre pouvoir aux terroristes, sinon à le partager avec eux. Dans la foulée, les oeillères bien collées, on a dû oublier en cours de route l’exemple, et non le modèle, turc. L’armée au pays de la laïcité théorique s’accommode, à ce jour, d’un parti dominant à essence religieuse, après avoir tenté de le dissoudre ou de le marginaliser par la loi. Or, la réalité est que le peuple turc est fondamentalement musulman et son attachement à l’Islam peut balayer pacifiquement n’importe quel article d’ une constitution. Mais si l’Algérie n’est pas la Turquie (cette dernière étant plus moderne et plus européenne), les armées des deux pays peuvent avoir des similitudes dans la vision du monde et, surtout, dans la structuration et la défense de leurs intérêts. Corps sociaux à part entière, les armées peuvent gérer et défendre des intérêts économiques et financiers, ancrés et partie prenante dans une économie nationale. En toute légalité, à partir d’investissements propres et transparents. Et c’est le cas pour les forces armées turques. Ces dernières n’ont pas livré le pays aux islamistes, mais elles garantissent un fonctionnement démocratique et pacifique du pays, tout en préservant des intérêts spécifiques. Et si c’était là le cheminement de l’ANP ? Mais encore une fois, les deux pays ne sont ni des jumeaux ni des jeux de construction interchangeables. Le va-et-vient comparable à celui des agneaux, d’un agrégat dit démocrate-républicain, va de soi devant la position surprenante à ses yeux d’une armée qui aurait tourné casaque. L’ isolement de cet agrégat ne provient même pas de sa nature sectaire, élitiste, éloignée des couches les plus défavorisées. Il n’est pas dû à la faiblesse numérique de ses électorats cumulés. Il est la source de son propre isolement et par l’exclusion tous azimuts. Il n’y aurait de démocrates et de républicains qu’à l’intérieur de ces courants et ne le sont pas ceux qui sont en dehors. Ce qui fait beaucoup de monde ou si peu, selon qu’on soit dedans ou dehors. Si la démocratie chemine avec le pluralisme, pour le meilleur et pour le pire, l’exclusion est la campagne préférée de l’ autoritarisme. Il est clair que la prochaine élection présidentielle va être une étape importante, une vraie transition démocratique, si le général Lamari a dit vrai. Quel que soit le vainqueur, il aura énormément de pouvoirs, pourra conclure des réformes sans occulter le volet social et tirera toutes les leçons du mandat qui s’achève. Au bout de dix années et plus, le tout sécuritaire et le tout «éradicateur» ont montré des limites indépassables. Si la violence armée n’a pas une seule chance de s’accaparer des rênes du pouvoir, les courants islamistes légaux additionnés n’ont pas les moyens d’asseoir un régime théocratique. L’ami Kheireddine répétait à qui voulait l’entendre que «l’Algérie voulait être gouvernée au centre». Dix ans d’histoire lui donnent chaque jour raison. Il y a un espace tout naturel en terre d’Islam pour un ou deux partis d’essence très traditionnelle qui ne pourront échapper, mondialisation et intérêts géopolitiques aidant, de lorgner vers la Turquie qui frappe aux portes de l’Europe. Les formations du centre, qui sont aussi démocrates et républicaines et qui bénéficient en outre de leur proximité avec le pouvoir, de leur immersion dans les institutions, sont faites pour assumer la direction du pays, même si MM. Zeroual et Bouteflika ne sont pas de leurs rangs ou si peu depuis longtemps. Et même si le prochain président leur est extérieur, éloigné ou même étranger. Il y aura forcément un consensus, sans intervention de l’ANP, si le général Lamari dit vrai. Un consensus politique qui ne sera assimilé par personne à un coup d’Etat tellement rêvé à la marge. Les propos de général Lamari, s’il dit vrai, ne sont pas un appel pour espérer la victoire d’un candidat islamiste, ni pour se résoudre à cet inéluctable brandi en cas de neutralité de l’ANP. Il peut être considéré comme le souhait d’une élection qui ne sera contestée par personne. Mais alors que gagnerait l’armée ? Se replier sur ses missions, cultiver son jardin et enfin redevenir pour ceux qui en doutaient l’armée de tout un peuple et non pas celle d’une partie, intolérante ou minoritaire.