Le silence radio des partis algériens en France

DU FFS AU FLN, EN PASSANT PAR LE RCD ET LE RND

Le silence radio des partis algériens en France

De l’un de nos correspondants à Paris :S. Raouf., Le Quotidien d’Oran, 22 janvier 2007

Année à multiples échéances électorales nationales, 2007 ne semble pas tenir en haleine les Algériens de France. Du moins les plus rompus d’entre eux à l’exercice partisan. Visiblement, elle ne cristallise pas, pour l’heure, l’attention des partis politiques et ne suscite pas de débauche militante particulière.

Du FFS au FLN en passant par le RCD et le RND, les partis d’habitude les plus exposés dans l’espace hexagonal donnent l’impression de vivre une trêve. Une hibernation forcée, en quelque sorte, qui dure depuis la présidentielle d’avril 2004. Telle est l’image qui, vue de l’extérieur, loin des permanences, colle aux structures «Immigration» de ces formations.

Dans la quotidienneté des quartiers de Barbès, Belleville ou Ménilmontant et des banlieues communautaires, pas un signe ne laisse entrevoir quelque reprise d’activité. Indice parmi d’autres, la déclinaison des murs qui font office de «panneaux d’affichages» et dont tout le monde dit qu’ils servent de baromètre de l’exercice politique «étranger» en France. Ici, entre une multitude d’affiches aux contenus divers, pas la moindre trace de la «vie politique» algérienne comme cela se faisait dans un passé récent. Pour toute allusion nationale, l’annonce de la tenue, en différents lieux de Paris et de sa banlieue, de concerts aux sonorités musicales algériennes.

La vie partisane ? Il n’en est pas question. A peine si le bouche-à-oreille fait état d’une réunion par-ci et d’une circulation de littérature partisane par-là. Les «FFS-Immigration», «FLN-Immigration», «RCD-Immigration» et «RND-Immigration» se font attendre. C’est le silence radio. Un silence d’autant plus ressenti que la parole de ces partis ne résonne plus via les ondes des radios communautaires. «L’éclipse est réelle», observe le journaliste Brahim Hadj Smail, Directeur à Radio France Maghreb. «Sauf à faire comme l’autruche, impossible de ne pas s’en apercevoir. La vie partisane semble tétanisée depuis la présidentielle de 2004″.

D’ordinaire bruyante, la «vie politique» dont les partis sont censés être les animateurs fait dans le service minimum. «Du jamais vu depuis longtemps», observe un algérien, témoin, tout au long des dernières années, d’une incontestable débauche militante. Indéniablement, pour les habitués du «militantisme algérien» en France, le constat a, en effet, de quoi surprendre. Et pour cause !

Bastion historique de l’immigration algérienne, l’Hexagone – et singulièrement la région parisienne – a constamment été le théâtre d’une «vie politique algérienne» débordante de militantisme. Avant et après l’indépendance. C’est dans les fiefs ouvriers de la Seine Saint-Denis et de Boulogne-Billancourt que le mouvement national et le mouvement syndical algérien ont fait leur baptême du feu à l’épreuve de l’Etoile nord-africaine.

L’heure de l’indépendance venue, c’est sous ces latitudes qu’à mesure des évolutions, l’opposition algérienne à pris ses quartiers. Tour à tour, FFS de Hocine Aït-Ahmed, PRS de Mohammed Boudiaf et, plus tard, MDA de Ahmed Ben Bella et islamistes de tous crins y ont trouvé refuge. Pour en faire une base d’agitation et de contestation tous azimuts contre les équipes successives au pouvoir à Alger.

Les événements d’octobre 1988 et le cycle de crises qui se sont installées ont accéléré cette tendance. Dès lors, les Algériens les plus passionnés par la politique du «bled» ne se sont pas fait prier pour prendre pied dans l’espace hexagonal. Avec toute la panoplie de l’exercice partisan : permanences pour les besoins de réunions, «QG» de campagnes le temps des élections, meetings dans des grandes salles, diffusion de la littérature partisane, affichage mural toléré par les services municipaux à défaut d’être légalement autorisé.

Comment se fait-il que des partis, d’ordinaire agitateurs à souhait, débordant d’activisme et présents à longueur d’année dans les studios de Beur FM, France Maghreb, Radio Méditerranée, ne donnent plus de la voix ? Au seuil d’une année algérienne jalonnée de rendez-vous avec les urnes, la question agite bien des lèvres. Y compris au sein des structures des partis.

Bien entendu, une telle situation nourrit une variété de commentaires aux termes souvent contrastés. «L’effacement des partis de l’espace hexagonal tient à des raisons qui diffèrent d’une formation à l’autre», observe un animateur associatif. Qui se garde de généraliser ce constat à l’ensemble des partis. «Si certaines structures s’efforcent, au prix d’un exercice pénible, d’assurer un minimum activité, d’autres répondent carrément aux abonnés absents», tranche-il. C’est le cas, à ses yeux, du FLN et du RND.

Son argument tient à ceci : bâties, pour l’essentiel, à partir des structures de l’ancienne Amicale des Algériens en Europe, les entités «immigration» de ces deux partis n’ont pas, à proprement parler, de vie organique réelle. Avec ses activités permanentes et ses réunions étalées dans le temps». Le jugement, pour forcé qu’il soit, n’est pas loin de la réalité.

Episodique, la visibilité de ces deux partis dans l’espace français se fait, en effet, au gré de l’actualité nationale. Elle rappelle l’irruption du «croissant lunaire du Ramadhan», ironise, en empruntant à une formule populaire imagée, un jeune de la deuxième génération d’immigrés. «Leurs membres se mettent au militantisme partisan la veille des élections, ou le temps de la désignation des candidats de la communauté pour les législatives».

Depuis les législatives de mai 1997, les Algériens de France en «élisent» quatre, deux pour le nord de la France et deux pour le sud. Une singularité algérienne sur l’utilité de laquelle, en aparté, un ancien ministre chargé de la communauté nationale à l’étranger à trouvé à redire.

Au RCD-Immigration, on se défend contre toute idée d’hibernation. «Rien de changé dans le rythme des activités. Notre vie organique poursuit son petit bonhomme de chemin», rétorquent des militants du parti. Une profession de foi que d’aucuns n’hésitent pas à bousculer au moyen d’un constat. La permanence du parti, située au sortir du métro Belleville dans le 20ème arrondissement parisien, «ne vit pas au rythme habituel», estime un habitué des lieux.

Tout au long des quinze dernières années, le «QG» parisien du RCD — implanté à un pâté de maisons de la CFDT, la grande centrale syndicale française — fonctionnait presque à plein temps. Au point de devenir, à longueur de semaine, le point de ralliement des militants et partisans du parti de Saïd Saâdi. Membre du Conseil national chargé de l’immigration, Rafik Hassani reconnaît une certaine baisse dans la débauche militante après la présidentielle de 2004. «Cela a duré un laps de temps».

Pour autant, il réfute l’idée d’un effacement de l’image du RCD et d’une extinction de sa voix en France. «Contrairement aux apparences, notre vie organique se poursuit comme avant». A l’appui de ses dires, le membre du Conseil national s’appuie sur l’agenda récent. «Pour preuve, nous avons tenu, ces dernières semaines, plusieurs rencontres fécondes autour du prochain congrès», prévu début février à Alger. Quant à la permanence parisienne, elle est «toujours» le théâtre de débats sur des thématiques diverses «avec la participation d’un nombreux public».

Le FFS n’échappe pas, lui aussi, aux remarques sur une éclipse réelle ou supposée de sa visibilité hexagonale. En ce qui le concerne particulièrement, l’interrogation est d’autant plus récurrente que le parti passe, à raison, comme le plus entreprenant dans le «paysage algérien» de France. Ancienneté dans l’opposition et tradition militante obligent.

Dans l’imaginaire de l’immigration, le FFS s’est toujours conjugué avec l’effervescence militante, l’activité débordante. Qu’il s’agisse de la direction ou de la base militante, ses structures en ont donné la preuve tout au long des années 1990. Réunions organiques régulières, meetings à n’en plus finir, tours dominicaux des marchés pour la distribution de la littérature du parti. Sans compter un exercice médiatique qui, à l’antenne des radios communautaires et mêmes parisiennes, a fait du parti de Hocine Aït-Ahmed la formation qui s’est vendue le plus sur ces confins de la Méditerranée.

Or, à l’observation de la «scène politique algérienne» de France, cette visibilité ne ressemble pas à ce qu’elle était. «A l’image des autres, le FFS n’a pas été indemne de l’effet printemps 2004″, estime un «beur» de la deuxième génération, étudiant à l’Université de Paris 8 (Saint-Denis), la plus maghrébine des campus parisiens. «C’est vrai, par ses résultats aux indicateurs irréalistes, la dernière présidentielle nous a laissés groggy. Il n’était pas facile de se remettre en lice comme si de rien n’était», dit un militant de Bagnolet.

Et si la «crise» qui agite le parti expliquait, dans une large mesure, l’éclipse FFS du paysage parisien ? La question tente bien des militants. Et nombre d’entre eux, sans hésitation, y répondent par l’affirmative. Propos de l’un d’eux : «nul doute que la façon dont la Direction nationale gère les affaires du parti a laissé des traces sur les activités du FFS-Immigration. Pas facile de maintenir intacte la motivation militante quand on voit ce qui se passe à Alger», allusion à l’actualité conflictuelle du plus vieux parti d’opposition.

«Dire que les structures de l’immigration fonctionnent au service minimum ou que le parti est en butte à des problèmes ne paraît pas conforme à la réalité». Ainsi parle un militant. En guise de pièce à conviction, il rappelle que les militants sont loin de s’être débarrassés de leurs cartes. «On se réunit périodiquement, on se concerte au téléphone. Qu’il touche à la vie organique du parti ou à l’actualité nationale, l’ordre du jour est bien chargé pour que nous battions en retraite», fait remarquer ce militant sur la même longueur d’onde avec la Direction nationale.

Début décembre, le Conseil Ile de France du parti tenait, dans un café parisien, une «réunion élargie aux militants», selon la formule partisane consacrée. Au même moment, des documents – communiqués, statuts et articles de presse – s’échangeaient au sein de la mouvance frontiste. Objectif : éclairer la lanterne de la base sur les tenants et aboutissants de la crise, en situer les responsabilités. Le Conseil d’Ile de France avait réitéré, pour la circonstance, sa position par rapport à la crise. Entre autres plaidoiries, il avait opposé à la «gestion irrationnelle et autoritaire» de la crise un traitement «responsable» des conflits conformément aux statuts et sans la moindre entorse à l’esprit du FFS.