Une «cérémonie officielle» à l’aéroport d’Alger

Une «cérémonie officielle» à l’aéroport d’Alger

par Zahir Mehdaoui, Le Quotidien d’Oran, 2 janvier 2016

La dépouille du chef historique du FFS (Front des forces socialistes) est arrivée, jeudi, à Alger. Un vol régulier de la compagnie nationale, Air Algérie, a transporté le cercueil du défunt, Hocine Ait Ahmed, ainsi que tous les membres de sa famille.

L’avion a atterri, à 16h, sur le tarmac de l’aéroport Houari Boumediene où une troupe de la Garde républicaine, attendait, depuis des heures, pour rendre honneur à l’un des plus valeureux chefs historiques et membre du Groupe des 22, qui ont déclenché la Révolution armée algérienne, en 1954.

C’est sous un ciel bleu qui rappelle un peu le début du printemps que la dépouille de Hocine Ait Ahmed a été débarquée de l’avion. Sur le tarmac, un tapis rouge est déployé jusqu’aux escaliers qui mènent au salon d’honneur où les responsables de l’Etat étaient, tous, présents pour rendre un hommage au défunt.

Ce sont des éléments de la Protection civile qui ont transporté le cercueil jusqu’à l’intérieur du salon d’honneur, vidé pour la circonstance de tous les meubles, pour permettre à tous les ministres et officiels d’assister à la cérémonie qui n’aura duré que dix minutes.

Le cercueil, drapé de l’emblème national, a été déposé presque au milieu du salon d’honneur qui accueille, d’habitude les chefs d’Etat et les invités de marque de l’Algérie.

A l’intérieur où des versets coraniques retentissent, dans toute la salle, le Premier ministre Abdelmalek Sellal ainsi que tout l’exécutif attendaient, dans un alignement parfait, le cercueil. La veuve de Hocine Ait Ahmed, des béquilles entre les mains et qui se déplaçait difficilement, salue d’un geste toute l’assistance avant de s’asseoir sur un siège, l’air fatigué. Les enfants du défunt n’ont pas quitté leur mère mais surtout n’ont pas quitté des yeux le cercueil contenant la dépouille de leur père, décédé à l’âge de 89 ans, après avoir milité pas moins de 70 ans, pour l’instauration d’un Etat démocratique, en Algérie.

Quelques militants et responsables du FFS pleurent, à chaudes larmes. D’autres, venus du siège du FFS, par bus, pour accueillir leur président, à l’aéroport, retiennent difficilement leurs émotions.

Le président du groupe parlementaire du FFS, Chafaa Bouaich, s’essuyait, régulièrement, les yeux. Une autre dame d’un certain âge, qui accompagnait la délégation du Front des forces socialistes, avait les yeux enflés à cause des larmes versées, vraisemblablement, durant plusieurs heures ou plusieurs jours.

Personne n’a pris la parole, lors de la cérémonie officielle, à laquelle ont assisté le président du Parti tunisien Ennahdha, Ghanouchi Rached et l’ancien Premier ministre marocain, Abderrahmane El Youssoufi.

Les responsables et militants du FFS, ainsi que les responsables de l’Etat, étaient alignés, chaque groupe, de son côté. A aucun moment les deux délégations, lors de la cérémonie, n’ont échangé ne serait-ce qu’un mot. Après la récitation de la ‘Fatiha’ par un imam, la cérémonie a pris fin. Le chef d’état-major de l’Armée ainsi qu’un autre haut gradé ont salué le défunt Hocine Ait Ahmed quand le cercueil est passé devant eux. Personne ne voulait faire de déclaration à la presse. La cérémonie, organisée au salon d’honneur de l’aéroport s’est achevée, presque dans un silence religieux, n’était-ce la course des photographes qui étaient à l’affût des images.

Le cercueil est transporté dans une ambulance de la Protection civile. Des motards, des véhicules de la Police et de la Gendarmerie nationale, ont escorté la dépouille jusqu’au siège du FFS, sur les hauteurs d’Alger. Là, le climat est plus «populaire» et moins protocolaire. Des milliers de personnes attendaient, de pied ferme, de jeter un dernier regard à l’homme historique qui a défié le système et le pouvoir, depuis 1963.

C’est sous les cris : «Da L’Hocine Assa Azeka» (Da l’Hocine aujourd’hui et demain), «Dzair Houra, Democratia» (L’Algérie libre et démocratique) ou encore «Si L’Hocine Mazalana Mounadhiline Mouaridhine» (Si L’Hocine nous sommes encore des militants de l’opposition), que le défunt a été accueilli par une foule composée de jeunes, de moins jeunes, de vieux, de femmes jeunes et vielles .

A l’entrée du siège du FFS, un endroit est aménagé, spécialement, pour déposer le cercueil de Hocine Ait Ahmed. Plusieurs responsables de partis politiques de l’opposition, notamment, étaient présents. La Fatiha est, encore une fois, récitée par un imam, devant les anciens amis et compagnons de l’ancien président du FFS.

Mouloud Hamrouche et l’ex président du RCD, Said Saidi étaient les premiers à s’incliner devant la mémoire d’Ait Ahmed. Au même moment des milliers de personnes attendaient, dehors, leur tour pour accéder et jeter un dernier coup d’œil, sur le défunt qui a été inhumé, hier, dans son village natal, à Ain El Hammam, dans la wilaya de Tizi Ouzou.


Arrivée de la dépouille à l’aéroport Houari Boumediène

La présence gênée des officiels

El Watan, 2 janvier 2016

Sobre et émouvant était le moment de l’arrivée de la dépouille de Hocine Aït Ahmed à l’aéroport d’Alger. L’émotion était à son comble. Le temps s’est figé et tout le pays avec à l’apparition du cercueil du défunt.

C’était son ultime retour au pays pour un repos éternel en ce 31 décembre 2015 qui clôt ainsi un chapitre de l’histoire nationale. Une séquence algérienne avec ses moments de gloire et de défaites amères. C’est toute cette histoire qui a été convoquée durant une semaine des plus émouvantes. Les images se bousculent dans un aller-retour incessant entre un terrible passé et un présent incertain. Aït Ahmed a été ce roman de l’Algérie rêvée, fantasmée, malmenée, à terre mais qui saura renaître. C’est une fin d’année exceptionnelle où cette mort, la mort d’Aït Ahmed pourra être aussi la renaissance d’une nation.

Une semaine «éprouvante» politiquement pour les détenteurs du pouvoir qui assistent au triomphe populaire de celui que l’histoire officielle a vainement tenté d’exclure. Tout le gouvernement, les présidents des deux Chambres du Parlement, le président du Conseil constitutionnel et le patron du syndicat officiel alignés en rang d’oignons au salon d’honneur ont dû constater l’énorme fossé qui les sépare du pays réel. Ils doivent méditer profondément ce moment de l’histoire et mesurer l’ampleur du désastre national.

Les enfants, la veuve de Hocine Aït Ahmed, ses amis d’ici et d’ailleurs, les militants du FFS ne se sont pas mêlés aux officiels. La ligne de séparation était infranchissable. Le moment était grave et solennel, mais l’ambiance était froide. On sentait toute la gêne des officiels qui voulaient vite en finir avec ce protocole auquel ils étaient conviés sur ordre présidentiel. Un moment bien particulier d’une cérémonie toute aussi particulière où les représentants officiels ne sont pas les maîtres.

Le moment aurait pu se dérouler autrement dans autre Algérie rêvée justement par ses pères fondateurs. Fidèle à l’esprit qui a fondé son long engagement, l’impénitent militant a fait corps avec son peuple qui l’a porté au panthéon. Et jusqu’au bout. Les centaines d’Algériens, massés et «tenus» loin du salon d’honneur, scandaient : «Funérailles populaires», et c’était la dernière volonté du dernier chef historique. Le peuple se réapproprie son héros et épouse ses valeurs.

L’une de ces valeurs était aussi l’idéal maghrébin de l’homme. La présence des deux figures maghrébines, le Marocian Abderrahmane Youssoufi et le Tunisien Mustapha Bendjaâfar, en est un témoin vivant. Le vieux Youssoufi, qui est revenu une deuxième fois à Alger en l’espace d’une semaine, traduit cette persistance à faire vivre l’idée du grand Maghreb.

La classe politique des deux pays voisins était fortement présente à la cérémonie de recueillement pour dire tout l’attachement à l’esprit de la Déclaration de Tanger. Un Maghreb démocratique, un Maghreb des peuples. La disparition de cet Algérien d’exception, de ce Maghrébin de conviction peut bien être un nouveau départ. Le bon.

Hacen Ouali