Hamrouche : “L’ alternative ne se construit pas dans l’enfermement actuel”

Lors d’une conférence organisée hier par le FFS au CIP

Hamrouche : “L’ alternative ne se construit pas dans l’enfermement actuel”

Par M. A. O. Liberté, 20 août 2005

Le conférencier a poussé son analyse contre l’équipe actuelle au pouvoir jusqu’à qualifier “la situationéconomique et sociale des plus catastrophiques”.

L’ex-Chef du gouvernement Mouloud Hamrouche s’est exprimé, hier, sur la situation actuelle du pays lors d’une conférence- débat animée au Centre international de presse (CIP) par le FFS dans le cadre de la célébration du double anniversaire du 20 Août. Le conférencier a longuement parlé de Abane Ramdane, de ses qualités d’organisation et de la philosophie des textes issus du Congrès de la Soummam, venu matérialiser dans les faits la double rupture prônée par l’appel du 1er Novembre 1954. Débordant du thème prévu pour cette conférence, qui est “le Congrès de la Soummam et la problématique de la représentation politique et sociale”, Hamrouche a laissé libre cours a ses pensées, notamment après l’ouverture du débat en se prêtant au jeu des questions-réponses avec les journalistes d’abord et avec les invités, essentiellement les cadres du parti du Front des forces socialistes et quelques- uns de ses fidèles dans le courant réformateur qu’il “dirige”.
Après avoir passé en revue le contexte, la signification et la philosophie du Congrès de la Soummam et celle de son concepteur Abane Ramdane, pour ne pas le nommer, le conférencier a abouti à analyser comment s’est opérée la déviation de l’esprit de l’un des actes fondateurs de la révolution que constitue la plate-forme de la Soummam.
Depuis l’Indépendance, notamment après le Congrès de Tripoli qui constitue le deuxième dérapage, selon le cadet de la révolution comme l’a présenté le no3 du FFS, Karim Tabbou, le pays a fonctionné sur la base d’une représentation imposée d’en haut et ne reflétant pas la réalité sociale et sociologique de l’Algérie. “Aujourd’hui, notre système ne fonctionne pas sur la base de représentation des partis politiques, mais il fonctionne sur la base d’un réseau d’allégeance et d’obédience”, a déclaré celui qu’on surnomme l’homme des réformes.
Ne s’arrêtant pas à ce stade de critique, l’ancien secrétaire général de la Présidence en 1988 est revenu sur les évènements qu’a connus le pays durant le 5 octobre 1988 en réfutant la thèse qui les assimilait à des faits entrant dans le cadre de la guerre entre les différents clans du régime. “Les évènements d’Octobre 1988 constituent une rupture” avec le mode de représentation imposé au pays des années durant. S’attardant sur cette étape récente de l’histoire de l’Algérie, Hamrouche a fait quelques révélations, notamment sur le processus d’ouverture démocratique qui a suivi les évènements d’Octobre 1988 : “Après le discours du président Chadli le 10 octobre, il n’était pas question d’aller au multipartisme. Ce qui était prévu, c’était l’organisation des courants et sensibilités à l’intérieur du FLN.
C’est en quelque sorte la reprise a contrario de ce qu’avait fait Abane lors du Congrès de la Soummam.” Cependant, cette démarche a été contrecarrée, et le pouvoir avait opté pour le multipartisme : “Des partis ont même été créés avant l’adoption de la Constitution du 23 février 1989.” Plus loin, l’ancien homme fort du FLN a lâché le morceau en déclarant : “J’ai été contre le multipartisme tel qu’il a été décidé parce que j’ai considéré qu’il fallait éviter d’avoir un multipartisme imposé et coopté d’en haut. Tout a été expliqué dans le document publié le 24 octobre1988 sur le ressourcement du FLN.” Un texte qui n’a pas été pris en considération dans les futures décisions prises par les plus hautes autorités de l’État.
Le conférencier a pourtant été le Chef du gouvernement qui a appliqué la nouvelle démarche du système dont il est l’un des enfants, selon son propre aveu, il y a quelques années. Hamrouche se justifiera par cet argument vague et “simpliste” : “Quand on est arrivé au gouvernement, c’était déjà trop tard.” Sans pour autant livrer plus de détails sur cet épisode post-5 Octobre 1988, ni d’ailleurs situer les responsabilités.
Analysant la situation des libertés et l’exercice politique, l’ancien candidat à la présidentielle d’avril 1999 reproduit l’argumentaire de son ami Hocine Aït Ahmed en déclarant : “C’est un environnement fermé qui interdit la politique.” Et d’ajouter sous un tonnerre d’applaudissements que “ce n’est pas Hamrouche et Aït Ahmed qui n’ont pas d’alternative, mais le pays. Une alternative ne peut pas se construire dans l’enfermement actuel”. Sur sa lancée, le conférencier a poussé son analyse, pour ne pas dire réquisitoire contre l’équipe actuelle au pouvoir jusqu’à qualifier “la situation économique et sociale des plus catastrophiques”.
L’Algérie n’a pas de projets de développement, ni économique, ni culturel, ni autre.
Cette situation a fait dire à l’ancien Premier ministre de Chadli que “le pays est revenu dans les archaïsmes des 16 et 17 siècles”. Au passage, il a “égratigné” le chef de l’État sans le nommer.

Charte pour la paix et la réconciliation nationale
Hamrouche contre le projet présidentiel

L’ancien Chef du gouvernement a donné son avis sur le projet de charte pour la paix et la réconciliation. À l’image de la position adoptée par le FFS, la réaction de Mouloud Hamrouche est venue confirmer qu’il reste en phase avec les convictions de son ami Hocine Aït Ahmed sur cette question. En réponse à des questions de journalistes sur le projet présidentiel, l’ancien membre du groupe pour la paix a déclaré que “le temps est venu pour faire la différence entre ceux qui veulent faire sortir le pays de l’impasse et ceux qui discutent et se disputent dans l’impasse”.


Hamrouche

« Retour à l’archaïsme d’hier »

El Watan, 20 août 2005

Mouloud Hamrouche, ancien chef de gouvernement auquel on a attribué l’avènement du multipartisme, a éludé, hier au Centre international de presse à Alger, la question insistante des journalistes relative à l’appréciation qu’il fait du projet de « Charte pour la paix et la réconciliation nationale », proposé par le président Bouteflika à référendum le 29 septembre prochain.

Invité par le FFS, à l’occasion de la commémoration du double anniversaire de la Journée du moudjahid et du Congrès de la Soummam, pour animer une conférence-débat sous le thème « Le Congrès de la Soummam et la problématique de la représentativité politique et sociale », M. Hamrouche a, implicitement, refusé de se prononcer sur l’initiative du président de la République, même s’il n’est visiblement pas en harmonie avec ceux qui disent que ce projet a bénéficié de l’adhésion de toutes les forces politiques, sinon la majorité. Ayant une vision fondamentalement contre l’ordre établi et, nécessairement, contre le projet de réconciliation nationale – même s’il ne l’affiche pas clairement -, le conférencier a tenté de se distinguer des autres en invitant l’assistance à faire la différence entre « les gens qui veulent faire sortir le pays de la crise et ceux qui se disputent dans la masse du pouvoir. Je suis de ceux qui refusent d’activer à l’intérieur de la masse parce que c’est une prime qu’on donne au système actuel ». Il estime que l’Algérie n’a pas d’alternative politique. « Elle est devant une impasse », souligne-t-il. M. Hamrouche n’a pas ménagé ses efforts pour dénoncer le mode de gouvernance et les pratiques politiques mises en vogue aujourd’hui. « Nous sommes revenus à l’archaïsme d’hier », précise-t-il, celui qui renferme « la société dans les carcans de l’ordre établi ». Il trouve que le pays recule en arrière au lieu d’avancer. Pourquoi ? « Lorsqu’on est confronté à un problème ou à une situation qu’on n’arrive pas à comprendre, il faut interroger l’histoire », suggère-t-il. Candidat à la présidentielle de 1999 et ayant refusé de se présenter en 2004, M. Hamrouche revient longuement sur le congrès de la Soummam et la structuration de la société opérée par Abane Ramdane pour mieux expliquer le présent politique. En restituant le contexte de l’époque, M. Hamrouche retient deux principaux points : « Le déclenchement de la lutte armée constituait une rupture avec l’ordre colonial. Le congrès de la Soummam avait consacré cette rupture d’une manière définitive. » Il précise que la création du FLN n’était pas due aux problèmes qui existaient au sein des partis politiques auxquels l’ordre colonial avait octroyé la représentativité des Algériens. Mais ce qui a conduit à la Révolution « c’était plutôt l’impasse de l’ordre colonial », note-t-il. Evoquant les procédés de l’administration coloniale qui optait pour le système de cooptation et de désignation, utilisait la fraude électorale et manipulait la pseudoreprésentativité du peuple, procédés qui poussaient parfois à l’extrémisme, M. Hamrouche reconnaît que les hommes aujourd’hui au Pouvoir ont « reconduit les mêmes pratiques ». Contestant le fait que certains Algériens présentaient Abane Ramdane comme « un chef autoritaire », le conférencier le défend énergiquement, car il avait pu organiser, pour la première fois, la société et structurer la Révolution en réussissant à lui donner « une dimension plus grande et plus ambitieuse ». Le conférencier ne cache pas que « certains de ses (Abane) camarades ont été contre sa démarche politique ». D’ailleurs, il a été condamné et exécuté « par les siens ». Toutefois, « cela n’a pas empêché l’ère Abane de continuer », précise-t-il. Et à travers les textes qu’il a produits, Abane avait pu « libérer la société des carcans et des archaïsmes qui existaient à l’époque ». Il avait défini « le type d’Etat que l’Algérie doit avoir », explique le conférencier, à savoir que l’Etat ne peut être que le reflet de la société. Suivant la philosophie de Abane, M. Hamrouche estime que « seule une société libre est en mesure de construire un Etat fort, capable de protéger et de défendre les libertés de ses citoyens ». Un Etat qui n’impose pas de projet et qui donne le libre choix à la société de changer ce dont elle ne veut plus. Selon lui, le rôle d’un Etat au pouvoir légitime (issu de la volonté du peuple) est d’assurer l’équilibre entre les plus forts et les plus faibles. Pour lui, les citoyens ne sont pas égaux dans l’exercice des libertés, si nécessaire pour la fondation d’un Etat fort. En l’absence de la liberté de la presse, de parole, d’activités politique et syndicale libres, le Pouvoir a, aux yeux du conférencier, fermé la voie à l’émergence de toute sorte d’initiative à même de contribuer à transcender la crise. Il considère que « les projets de société conduits par des despotes ont échoué. Il n’y a aucun développement économique, social ou culturel. Le pays est en totale régression mentale ». M. Hamrouche trouve que « le choix venu d’en haut » d’aller directement, après les événements de 1988, au multipartisme était une erreur stratégique qui a engendré la crise ayant secoué l’Algérie pendant la dernière décennie. « Il n’a jamais été question alors d’aller au multipartisme. En tant que chef du gouvernement de l’époque, j’avais une autre perception, à savoir celle de faire émerger au sein du FLN les différentes sensibilités ancrées dans la société. Et la création des partis n’aurait été que le prolongement de ces sensibilités. Mais, certains partis ont vu le jour avant même que la Constitution de février 1989 ne soit née », soutient-il, avant d’ajouter que « l’ordre établi en a décidé autrement en octroyant la représentativité de la société aux partis et aux élites politiques ». Il explique que s’il a drivé, à l’époque, le gouvernement et accepté qu’une idée autre que la sienne soit adoptée, c’est parce qu’il croyait que ces partis allaient créer un jeu démocratique. Or, cela n’a pas été le cas. Le Pouvoir est basé sur « un certain nombre de réseaux d’allégeance et de soutien qui fixent les missions de l’Etat », observe-t-il. Ceux-ci ont érodé la légitimité de l’Etat au point de le fragiliser. Pour étayer ses propos, M. Hamrouche a rappelé l’aveu du président Bouteflika le 24 février dernier, au Palais du peuple (siège de l’UGTA) à Alger, en reconnaissant que la loi sur les hydrocarbures a été dictée par les puissances étrangères et que l’Algérie n’avait pas le choix.

Mokrane Ait Ouarabi