Quand les forces israéliennes nous ont arrêtées, nous étions si près de Ghaza !

Samira Dhouaifia. Députée MSP, membre de Women’s Boat to Gaza

Quand les forces israéliennes nous ont arrêtées, nous étions si près de Ghaza !

El Watan, 14 octobre 2016

Samira Douaifia, députée MSP de Tébessa, fait partie de l’équipage des 13 femmes qui ont tenté, à bord d’un voilier, de briser le blocus de la bande de Ghaza imposé par Israël en arrivant par la mer, avant d’être intercepté par la marine israélienne. Elle raconte son aventure à El Watan Week-end.

– Est-ce que vous pouvez nous expliquer pourquoi en tant que femme, militante, politique, vous avez choisi d’embarquer dans l’aventure de la Flottille pour la Liberté ?

A mes yeux, partir n’était pas un choix. Je devais le faire. Je ne suis pas partie pour représenter mon parti mais comme militante. Le sort des Palestiniens de Ghaza, qui ont tout perdu et qui sont privés de leurs droits, nous concerne tous.

– Vous étiez 13 femmes à bord, toutes de profils très différents. Quelles sont celles qui vous ont le plus marquée et pourquoi ?

Nous étions toutes sur la même longueur d’onde mais j’ai beaucoup aimé Anne Wright (une Américaine, ex-colonel et ex-diplomate opposée à la guerre en Irak), Mairead Maguire (une pacifiste nord-irlandaise prix Nobel de la paix en 1976) ou encore Sandra Barrilaro (une journaliste espagnole). Malgré nos différences culturelles et religieuses, l’ambiance sur le bateau – très exigu ! – était très bonne. On se partageait le travail, la cuisine, dans la bonne humeur.

– Racontez-nous comment s’est passée l’interpellation par la marine israélienne…

A un peu plus de 60 kilomètres des côtés, nous avons aperçu au loin des petits points blancs. Au fur et à mesure que nous avancions, nous avons compris qu’il s’agissait de bateaux militaires. Notre capitaine, Madeleine Habib (une Australienne), a alors reçu sur son tableau de bord des messages lui ordonnant d’arrêter le voilier. Mais elle a refusé. Elle a répondu qu’elle continuerait sa route vers Ghaza coûte que coûte. Vers 17h, trois zodiaques sont ensuite venus vers nous. Dans le premier, il y avait des soldats, des hommes et des femmes, munis de caméras de toutes les formes sur leur tête, à la main, au poignet.

C’était assez impressionnant. Dans le second, des soldats ont demandé à Madeleine de faciliter leur montée à bord du Zaytouna. Nous nous sommes retrouvées encerclées par 14 militaires, un premier cercle de femmes, et plus loin, des hommes. Ils nous parlaient en anglais et, entre eux, se parlaient en hébreu. Ils ont saisi le matériel des deux journalistes d’Al Jazeera qui se trouvaient avec nous, ont pris le sac dans lequel se trouvaient nos passeports et nos papiers et sont descendus dans le bateau pour fouiller tous nos bagages.

– Ils ont ensuite détourné le bateau vers Ashdod…

Les militaires ont donné une feuille de route à notre capitaine et nous sommes en effet partis vers Ashdod. Nous avons navigué pendant huit heures dans un silence absolu. Ils nous ont proposé de manger, nous avons refusé. Une fois arrivés au port, nous avons été conduites dans un hangar où se trouvaient des tanks et des bureaux. Il y avait aussi des militaires et des policiers. Nous sommes passées par des scanners et on nous a demandé si on voulait voir un médecin. On a refusé. Les soldats nous ont ensuite demandé de signer un papier qui stipulait que nous serions renvoyées dans nos pays respectifs dans la nuit.

Toutes, nous avons refusé de signer et demandé à contacter nos avocats. Un militaire m’a dit : «Si vous signez, vous partirez maintenant. Si vous refusez de signer, votre séjour sera plus long et vous passerez par la justice.» Après plusieurs heures d’interrogatoire (Pourquoi êtes-vous venue ici ? Savez-vous que vous avez violé la loi israélienne ? Quelles sont les personnes qui vous soutiennent, etc.), ils nous ont emmenées en prison.

– Avez-vous été séparées ?

Nous étions cinq par cellule. Et à nouveau, on nous a demandé de signer la feuille d’extradition, ce que nous avons, encore une fois, refusé de faire. Là, nous avons eu le droit d’appeler nos avocats. Les militantes des pays qui ont des relations officielles avec Israël ont appelé leur consulat. Ce qui n’était pas le cas de la Sud-africaine, de la Malaisienne et de moi-même. Mais avant de prendre la mer, en Italie, nous avions signé des procurations pour des avocats.

– Finalement, êtes-vous passée devant la justice ?

Oui. Le lendemain, le jeudi, nous avons été présentées au juge en présence d’une représentante du ministère de l’Intérieur. Le juge a décidé de me garder en prison jusqu’au lundi. J’ai été ramenée en cellule mais finalement, au bout d’une heure, une femme est venue nous chercher. Nous avons été embarquées dans des fourgons sans savoir où nous allions.

De toutes les manières, personne ne répondait à nos questions. Ils nous ont dit que nous partions pour l’aéroport mais après 40 minutes, nous avons finalement été emmenées dans une autre prison. Nous n’arrêtions pas de poser des questions sur les heures de vols, les destinations, mais personne ne répondait. C’est une fois dans l’avion que j’ai compris que je partais vers Frankfort.

– Quel a été le moment le plus difficile ?

Le moment le plus pénible n’a pas été l’arrestation ou la détention. En Italie, nous avions suivi des petites formations pour tenir psychologiquement face aux Israéliens. Le plus dur pour moi a été le moment où nous nous sommes approchées des côtes. Mairead Maguire nous racontait Ghaza, où elle s’était rendue à plusieurs reprises. Il y avait beaucoup d’émotion dans l’air. Et puis la marine israélienne est venue nous arrêter. Là, ça a été très difficile.

– Seriez-vous prête à retenter la traversée ?

Ah oui, incontestablement. Cette traversée m’a donné des idées. Nous devons réfléchir à d’autres formes de solidarité. Je serai d’ailleurs ce matin à la Maison des jeunes de Tébessa a partir de 9h pour en parler.

Mélanie Matarese