Rien n’arrête les harraga

Leur nombre a connu une hausse vertigineuse en 2007

Rien n’arrête les harraga

El Watan, 23 janvier 2008

La harga ou la traversée de la Méditerranée en situation irrégulière en empruntant des embarcations de fortune n’est point un fait divers qu’on oublie une fois la page du journal tournée.

Il s’agit d’un véritable phénomène de société portant en lui le lourd poids du rejet d’une dure réalité vécue et le rêve d’une vie meilleure luisant au loin de l’autre rive de la mer Méditerranée. Les harraga sont de plus en plus nombreux à braver tous les dangers, même la mort, pour passer d’une réalité à une autre, et les chiffres de la gendarmerie sont là pour le prouver. Pas moins de 114 affaires d’émigration irrégulière ont figuré sur le tableau des affaires traitées par les services de la police judiciaire de la Gendarmerie nationale durant l’année écoulée contre 73 en 2006, soit une hausse considérable de 56%. La lutte contre ce phénomène, plus communément appelé les harraga, a abouti l’année dernière donc à l’arrestation de 1071 personnes contre 714 l’année d’avant, reflétant une montée en flèche du nombre de prétendants à la traversée mortelle de la Méditerranée en quête d’un paradis perdu. Lors d’un point de presse de présentation du bilan des activités de la Gendarmerie nationale tenu hier au siège du commandement de ce corps de sécurité, le chef de la division de la police judiciaire parle de l’inexistence de textes de lois réprimant ce type de phénomène. « Dans le traitement des affaires de harraga, nous nous basons sur le code maritime qui est plus adapté à la navigation qu’à la répression de ce type d’irrégularité, donc nous nous trouvons devant un vide juridique », explique le colonel Djamel Zeghida. Ce dernier considère, en outre, qu’un harraga ne doit pas être traité comme un criminel. « A mon avis, il s’agit d’une victime, il suffit de s’arrêter un moment et discuter avec ces Algériens qui se hasardent en mer pour une aventure aléatoire, on ne peut que voir en eux des victimes, leurs histoires sont tellement bouleversantes que parfois on est tenté de leur donner raison. A mon avis, ceux qu’il faut incriminer et réprimer ce sont les réseaux de passeurs, ceux qui achètent des chaloupes et volent du carburant pour jeter des Algériens à la mer », indique le chef de la police judiciaire de la Gendarmerie nationale.

7% de multirécidivistes

Evoquant un sondage effectué auprès de 100 candidats à la « harga », le même responsable souligne que 60% parmi eux ont essayé la procédure légale avant de tenter l’aventure. « 60 personnes parmi nos sondés ont tous formulé des demandes de visa qui se sont soldées par un refus. Donc, la plupart ont tenté de rejoindre l’Europe par voie régulière, mais à cause du durcissement des conditions d’octroi de visas, ils se sont rabattus sur l’aventure aléatoire », dira le colonel Zeghida. Autre indication émanant de ce sondage, 7% des sondés sont à leurs deuxième et troisième tentatives, contre 90% qui sont à leur baptême de la chaloupe de la mort. La wilaya de Annaba se place en pole position des wilayas prisées par les candidats à l’émigration irrégulière avec un nombre de 17 affaires traitées en une année se soldant par l’arrestation de 292 personnes. La capitale de l’Ouest algérien, Oran, arrive en deuxième place avec 28 affaires de harraga traitées ayant abouti à l’arrestation de 273 prétendants. Suivent Mostaganem, Aïn Témouchent, Tlemcen, Chlef, El Tarf, Jijel, Skikda et El Oued. Le mode opératoire utilisé pour regagner l’autre rive de la Méditerranée consiste à rassembler des équipes de 5 à 10 personnes dont l’âge varie entre 18 et 40 ans, y compris des mineurs, appartenant à différents milieux sociaux : chômeurs, étudiants, employés et journaliers, explique le conférencier. Les passeurs organisant cette forme d’émigration procèdent d’abord à l’achat d’embarcations dont le prix varie entre 400 000 DA et 800 000 DA, puis s’équipent de jerricans de carburant, de boussoles, de gilets de sauvetage et d’appareils GPS. La traversée se fait généralement de nuit en vue d’atteindre les côtes européennes les plus proches du point de départ, à savoir l’Espagne ou l’Italie. A noter que les femmes sont de moins en moins tentées par cette aventure. Elles étaient 7 à s’embarquer dans les chaloupes en 2006, elles ont été seulement 4 à le faire en 2007. A l’image de l’émigration irrégulière, l’immigration clandestine a, elle aussi, connu une hausse du nombre de personnes arrêtées de différentes nationalités. Les services de la gendarmerie ont arrêté durant l’année écoulée 6988 clandestins, enregistrant une hausse de 13% par rapport au bilan de l’année 2006.

Nadjia Bouaricha