Harraga: Ces damnés de la terre

HARRAGA

Ces damnés de la terre

L’Expression, 30 Décembre 2009

Ils étaient quelque 4000 à avoir tenté l’aventure en 2008, selon les statistiques. Ce triste record devrait largement être dépassé en 2009.

Le phénomène est un vrai casse-tête pour les responsables chargés de ce dossier. La dissuasion par la répression s’est avérée inefficace. La loi punissant toute personne qui tente de quitter illégalement le territoire national de 2 à 6 mois de prison ainsi que d’une amende de 20.000 à 60.000 dinars s’est avérée bien peu dissuasive et pratiquement d’aucune efficacité pour ne serait-ce que juguler ce fléau.
Les candidats à l’immigration clandestine par le biais de la «Harga» ne reculeront devant rien. Pas même devant la mort. Si c’est le prix qu’ils devront payer rien que pour caresser le fol espoir d’une vie meilleure outre Méditerranée, alors, même le risque fort probable de se retrouver outre-tombe, ne les effraiera pas. Ils demeurent prêts à relever le défi, à affronter toute mer démontée et ses vagues en furie.
Les risques sont connus: disparition en mer, les gardes-côtes qui les prennent en chasse…Les moyens sont dérisoires: embarcations de fortune…Tous les ingrédients sont réunis pour transformer ces folles et insouciantes équipées en autant de drames humains. Ceux de jeunes Algériens qui souffrent. Qui ont mal et qui le disent.
Faute de ne pas avoir été entendus, faute de réponse adéquate à leurs préoccupations, ils ont choisi d’hypothéquer leur vie en mer plutôt que de moisir et de vieillir, un peu trop tôt, à l’intérieur de cités qui mettent à nu leur désespoir.
Ballottés entre des rues sinistrées et des cafés insalubres où ils n’arrivent même pas à tuer leur ennui, ils n’ont que la fuite en tête. 4000 d’entre eux ont tenté l’aventure en 2008. Combien seront-ils à avoir essayé en 2009?
Les chiffres sont communiqués par les gardes- côtes chargés de leur livrer cette chasse à l’homme. Elle ressemble à l’ultime recours qui puisse exister pour leur éviter la mort ou à un moindre mal, le terrible apprentissage de la clandestinité.
Les statistiques laissent penser que ce triste record sera dépassé à la fin de cette année. Ils seront certainement nombreux les jeunes candidats à l’émigration clandestine qui rêvent de passer les fêtes de fin d’année en Espagne ou en Italie.
Deux destinations parmi les plus prisées à cause de réseaux de solidarité (amis, proches parents…) qui les prendront en charge, même si les régularisations sont devenues très difficiles dans ces deux pays.
Les bilans font mention de quelque 1500 personnes ayant été tentées par la «harga» en 2007. La courbe est ascendante et pourraît être multipliée par deux.
A la fin du mois de décembre 2008, soit pratiquement une année, jour pour jour, la presse écrite nationale dans son ensemble avait largement fait cas dans ses manchettes de 600 corps d’Algériens se trouvant dans les morgues espagnoles. Almeria, Alicante et d’autres villes encore. Une information livrée il y a une année lors d’une conférence de presse par la Commission nationale pour la sauvegarde de la jeunesse algérienne affiliée à la Laddh, la Ligue algérienne de la défense des droits de l’homme, aile Hocine Zahouane.
«Les corps qui sont déposés dans les morgues des villes, à Almeria ou ailleurs, certains depuis six mois, d’autres depuis deux ans, sont en état de décomposition avancé», selon les déclarations de l’imam de la ville d’Alicante.
Une information vite démentie par Djamal Ould Abbès. Le ministre de la Solidarité nationale, de la Famille et de la Communauté nationale à l’étranger a cependant reconnu que neuf cadavres ont été recensés dans les morgues d’Alicante et de Murcie.
Cette comptabilité macabre ne diminue en rien le calvaire de ces damnés de la terre. Une mort d’Algérien dans des conditions aussi dramatiques qu’insupportables est une mort de trop. Et il n’y a pas lieu à ce qu’elles se comptent par centaines ou par milliers pour s’en émouvoir.
Le chef de l’Etat avait appelé en octobre 2007, lors d’une rencontre entre les walis et le gouvernement, à traiter la crise que vit la jeunesse algérienne «avec courage et lucidité.» L’ex-chef du gouvernement avait de son côté avoué son impuissance par rapport à ce phénomène.
«S’il y a des solutions miracles pour les harragas nous sommes preneurs», avait déclaré sur les ondes de la Chaîne III Abdelaziz Belkhadem. Si le gouvernement s’est montré en panne d’idées pour y faire face, le fléau ne semble pas vouloir baisser d’intensité. Les douleurs sont insupportables pour les parents. Combien d’enfants ont péri en mer? Combien croupissent dans les prisons? Vers la mi-décembre, une cinquantaine de personnes ont sollicité l’aide de la présidence de la République pour mettre fin au calvaire enduré par leurs enfants harragas détenus dans des geôles tunisiennes. D’autres sont incarcérés en Espagne, en Italie, en France, en Grande-Bretagne ou encore en Libye.
«Nous n’avons pas réussi à identifier les raisons qui poussent les jeunes à partir», avait répondu le garde des Sceaux, Tayeb Belaïz, à un sénateur qui l’interrogeait à ce sujet. Eux le savent. Les raisons sont simples: le chômage, la mal-vie, la crise du logement. Il suffit de le leur demander pour le savoir.

Mohamed TOUATI