Création de centres de rétention pour clandestins

Création de centres de rétention pour clandestins

Les contradictions d’Alger

El Watan, 1er juin 2008

En 2004, l’Algérie avait publiquement refusé de créer ces structures d’internement alors que la nouvelle loi votée en mai les rend effectives.

La nouvelle loi réglementant la circulation des étrangers prévoit la création de centres d’accueil « destinés à l’hébergement provisoire des ressortissants étrangers en situation irrégulière ». Un euphémisme pour désigner des centres de rétention comme ceux décriés en Europe par les ONG des droits de l’homme, comme ce fut le cas pour le camp de Sangattes, en France. Les étrangers en situation irrégulière devraient, selon cette loi, attendre dans ces centres l’accomplissement des formalités pour leur reconduite à la frontière ou leur rapatriement vers leur pays d’origine. L’article 36 du projet indique que ce placement peut être ordonné par arrêté du wali territorialement compétent pour une période de 30 jours renouvelable. Le même article prévoit la possibilité de « protéger » des catégories vulnérables des étrangers contre une éventuelle mesure d’expulsion hormis les cas portant atteinte à la sûreté de l’Etat, à l’ordre public, aux mœurs et à la législation en matière de stupéfiants. Interrogé le 13 mai en marge de la présentation du projet de loi au Conseil de la nation, Noureddine Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, a tenté de tranquilliser les appréhensions des militants des droits de l’homme : « Il ne s’agit pas de créer des centres de détention, comme l’auraient souhaité nos alliés. » Mais il reconnaît néanmoins que cette loi n’est pas « parfaite » et qu’elle « sera, bien évidemment, appelée à être améliorée et corrigée ». Lors du débat parlementaire autour de cette loi, le 9 avril dernier, un député du RCD a estimé que ce dispositif relève d’une réponse à des intérêts non avoués visant la transformation de l’Algérie en un poste avancé pour lutter contre les immigrés clandestins, notamment ceux venant des pays subsahariens. Car l’Algérie, avec l’adoption de cette mesure, contredit ses propres positions exprimées en octobre 2004 par Abdelaziz Belkhadem, alors ministre des Affaires étrangères. Clairement, M. Belkhadem avait déclaré que l’Algérie était contre la proposition faite par certains pays européens d’ériger des centres de transit au Maghreb pour accueillir des immigrants clandestins. L’Algérie, avait-il dit, « ne pourra pas accepter d’avoir sur le territoire d’un pays du Maghreb un camp où seront parqués les immigrants clandestins, en attendant que leurs dossiers soient régularisés dans un pays européen ». L’implantation de ces camps hors zone européenne avait été proposée l’été 2004 par l’Italie, et l’Allemagne a été critiquée par plusieurs ONG en Europe. La Commission européenne et le Comité stratégique sur l’immigration, les frontières et l’asile (SCIFA) ont testé des mesures préliminaires à l’implantation d’un bureau d’asile européen d’interception en Afrique du Nord. En pratique, la proposition implique que les boat people venant par la mer Méditerranée seront ramenés dans des camps situés dans les pays de la rive sud, par le biais de procédures collectives et sans contrôle individuel des nationalités, des itinéraires ou des raisons du voyage. Cette pratique, appelée refoulement, est explicitement prohibée par la Convention de Genève sur le statut de réfugié de 1951. Les Constitutions des Etats membres de l’Union européenne ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme prohibent également le refoulement, fait remarquer un rapport du réseau Terra. De plus, cette pratique n’implique pas seulement la violation des droits des demandeurs d’asile. Dans les camps d’internement ou au cours de leur déportation sans assistance vers des zones désertiques, les immigrants – peu importe s’ils fuient la pauvreté et la faim ou autres raisons économiques – subissent le même sort lorsqu’ils tentent de fuir. Ils risquent l’emprisonnement, les abus et la mort. « L’Algérie ne peut ainsi servir les pays européens », a réagi pour sa part maître Bouchahi, contacté hier, au nom de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). « Si un délit est prouvé, il y a déjà des maisons d’arrêt qui existent. La loi algérienne s’applique aussi bien aux Algériens qu’aux étrangers », poursuit-il. L’Algérie suivra-t-elle donc le précédent libyen ? Le mensuel français Le Monde Diplomatique parle de plusieurs camps où immigrants et réfugiés sont détenus depuis 1996 en Libye : environ 6000 Ghanéens et 8000 personnes du Niger sont supposés être détenus dans seulement l’un de ces camps. « Comment pouvez-vous oublier les camps de concentration construits par les colonisateurs italiens en Libye et dans lesquels ont été déportés vos grands- parents – les Obeidats ? Pourquoi n’avez-vous pas confiance, pourquoi ne refusez-vous pas ? » C’est ce qu’a demandé en 2004 l’intellectuel libyen Abi Elkafi à l’ambassadeur de la Libye à Rome, qui a été à l’initiative d’un accord entre la Libye et les pays occidentaux concernant ces camps de rétention.

Adlène Meddi