L’instabilité en Afrique du Nord coûte cher

Baisse des IDE et des recettes touristiques, hausse des budgets militaires

L’instabilité en Afrique du Nord coûte cher

El Watan, 6 juillet 2015

En ébullition depuis ce qui a été baptisé en occident par le printemps arabe en 2011, la région d’Afrique du Nord continue, quatre ans plus tard, à se débattre avec l’instabilité. A l’exception de l’Algérie et du Maroc qui jouissent d’une relative stabilité en comparaison avec leurs voisons, la Tunisie, l’Egypte et à un degré supérieur la Libye, sont sujets à une fragilité sécuritaire croissante, menaçant la stabilité de toute la région. Une dégradation de la situation qui, au-delà de son impact politique et social, représente un coût économique difficile à amortir pour la région..

En Afrique du Nord, la croissance reste inégale, les retombées des soulèvements de 2011 se faisant toujours sentir», notait la Banque africaine de développement (BAD) dans son dernier rapport sur les perspectives économiques du continent 2015.

Baisse de croissance, recul des investisseurs étrangers, et surtout baisse des revenus du tourisme pour les pays qui en dépendent (Egypte, Maroc, Tunisie), à des niveaux divers, tous les pays sont touchés.

En matière d’IDE, l’année 2011, celle des soulèvements populaires, a connu des flux inférieurs à 10 milliards d’euros dans la région, alors qu’ils étaient de plus de 13 milliards l’année d’avant (voir graphe 1). Et si 2012 a connu un regain d’espoir, la tendance est repartie à la baisse en 2013, notamment en Tunisie, en Egypte et en Algérie, la région se maintenant grâce au Maroc qui a largement tiré profit des difficultés de ses voisins. Le pays a enregistré un montant de 7,5 milliards d’euros en 2013 contre à peine 2 milliards en 2012. En Algérie, ils sont tombés à 1,5 milliard (contre 3,8 milliards l’année d’avant), en Egypte à moins de 5 milliards et en Tunisie à moins de 500 millions .

L’Algérie n’a pas connu de «printemps arabe» et pourtant l’attentat sur le complexe gazier de Tiguentourine en 2013 a laissé des traces sur son secteur névralgique. Les pertes ont été estimées à 11 millions de dollars par Sonatrach et des baisses de production, les personnels des compagnies pétrolières présents sur place ont tardé à reprendre leur poste et le dernier appel d’offres lancé par le ministère de l’Energie a été un échec.

L’autre pays pétrolier, la Libye, en voie de dislocation et celui de devenir la nouvelle base arrière de la nébuleuse terroriste Daech en Afrique du Nord, a vu son économie s’effondrer totalement. Le pétrole représente 98% des exportations du pays et le chaos sécuritaire ainsi que la chute des cours du pétrole contribuent largement à la dégradation de la situation. Selon la Banque mondiale, la production de pétrole de la Libye ne représente plus que 1/5 de ce qu’elle était avant la crise.

En 2015, les pertes sur les exportations du pétrole sont estimées à plus de 20% du PIB, selon le FMI. Les réserves de change du pays ont été estimées à 100 milliards de dollars en août 2014, ont baissé de 20% depuis le début de 2015 et «pourraient être épuisées en seulement 4 ans si la situation actuelle perdure».

Tourisme en péril

Une situation inextricable, surtout avec un secteur public qui emploie 1/4 de la population et dont la masse salariale a grimpé de 250% depuis la révolution de 2011.

Pour les pays touristiques de la région, la situation est également inquiétante notamment après la recrudescence de la violence dans certains d’entre eux. Ainsi, en Tunisie, le ministre du Tourisme a annoncé que l’impact du récent attentat de Sousse pourrait coûter 450 millions d’euros au pays.

Ce dernier n’a pas encore fini de payer les contrecoups de la révolte de 2011 qui aurait occasionné à l’économie «1 à 2 milliards de dinars tunisiens et sa première récession depuis 25 ans», selon le Fadhel Abdelkafi, président de la Bourse de Tunis. La Tunisie a subi «une dégradation de son image suite aux attentats.

C’est le pays de la région le plus affecté (en dehors de la Libye) parce qu’il a cette dépendance de l’économie au tourisme. Il est aussi limitrophe de la Libye et a été largement fragilisé par la révolution de 2011», nous explique Antonin Tisseron, chercheur à l’Institut Thomas More, expert des questions militaires et sécuritaires et auteur du rapport «Quelle sécurité durable au Maghreb un an après le printemps arabe». Mais il faut, selon lui, «distinguer entre les différents pays de la région car ce sont des économies différentes et des situations sécuritaires différentes».

En Egypte, où le tourisme représente la première source de devises du pays, les recettes ont fondu de plus de 40% en 2013 à moins de 6 milliards de dollars, deux fois moins qu’avant la chute de Moubarak où le secteur représentait plus de 11% du PIB. Toutefois, l’année dernière, les arrivées de touristes étrangers ont de nouveau augmenté de plus de 4%.

La morosité du secteur touristique ne devrait pas non plus épargner le Maroc. Le tourisme qui «a contribué à la croissance économique des dernières années avec des taux de 5% en moyenne durant la période 2007-2014 connaîtrait pour la première fois une baisse de sa valeur ajoutée de l’ordre de 2,7%», a annoncé récemment le Haut commissariat au plan marocain.

Prévisions en berne

Si les situations sont différentes, elles ne sont pas moins inquiétantes. «La situation en Libye est extrêmement instable, avec des luttes de pouvoir et l’effondrement des structures de gouvernance politique et économique», lit-on dans le document de la Banque africaine. En revanche, «le retour à une plus grande stabilité économique et politique en Egypte et en Tunisie contribue à restaurer la confiance des investisseurs… même si les attaques terroristes de mars 2015 à Tunis ont suscité de nouvelles inquiétudes», relativise l’institution financière. Une stabilité remise en cause par les derniers attentats du Sinai et de Sousse.

En Algérie, «la production de pétrole a augmenté pour la première fois depuis huit ans et stimule la croissance aux côtés du secteur non pétrolier», précise-t-on encore. Antonin Tisseron estime que si «le Maroc et l’Algérie sont encore debout, la Tunisie est à genoux avec les attentats et les menaces d’attentats». Les défis pour les trois pays sont donc différents. «Si pour la Tunisie le défi est d’abord sécuritaire, pour le Maroc et l’Algérie il ne faudrait pas s’enfermer dans une vision purement sécuritaire et délaisser les enjeux sociaux, politiques et économiques.

Il ne faut pas oublier qu’on est aussi dans une région où il y a des fragilités sociales et économiques et des attentes de liberté et de démocratie», explique-t-il. A ce titre, si en Algérie la menace sécuritaire «est plutôt bien maîtrisée, le problème est plutôt économique lié à la baisse des prix du pétrole et aux problèmes structurels de l’économie».

Cela diffère du Maroc ou de l’Egypte qui sont dépendants des recettes touristiques. L’Egypte, en dépit de la situation sécuritaire peut quand même compter sur la générosité de ses partenaires.

La conférence sur l’avenir organisé en avril dernier a permis au président Al Sissi de décrocher plus de 36 milliards de dollars de contrats d’investissements directs étrangers et de signer des contrats pour des investissements clés en main de plus de 18 milliards de dollars. Les monarchies du Golfe ont largement contribué au succès de cette conférence en promettant pas moins de 12 milliards de dollars à l’Egypte. Le pays peut également compter sur le canal de Suez, troisième source de devises du pays, qui capte environ 5% du commerce mondial du pétrole.

Safia Berkouk