Boudjemaa Ghechir: «Nous voulons enquêter sur l’affiliation des présumés mercenaires algériens»

Boudjemaâ Ghechir. Président de la LADH

«Nous voulons enquêter sur l’affiliation des présumés mercenaires algériens»

El Watan, 21 avril 2011

Destinataire de la lettre de la Ligue libyenne des droits de l’homme, faisant état de la présence de mercenaires algériens dans les rangs d’El Gueddafi, Boudjemaâ Ghechir, président de la Ligue des droits de l’homme (LADH), affirme, dans l’entretien qu’il nous a accordé, avoir demandé l’affiliation des présumés mercenaires pour mener une enquête et prendre les décisions qu’il faut. Selon lui, l’Algérie a de tout temps soutenu les opposants libyens et ne peut aujourd’hui aider d’une quelconque manière El Gueddafi, au détriment de son peuple.

– Vous avez été destinataire de la lettre de la Ligue libyenne des droits de l’homme au même titre que maître Bouchachi, faisant état de la présence de mercenaires algériens envoyés par le gouvernement dans le but de soutenir les forces d’El Gueddafi. Sur quels arguments reposent ces affirmations ?

Cette lettre a été écrite par Slimane Abouchouikir, secrétaire général de la Ligue libyenne des droits de l’homme, que je connais bien, à la suite d’une visite qu’il aurait effectuée aux prisonniers contrôlés par les révolutionnaires à Benghazi. Il dit que ces derniers ont arrêté, à Benghazi, un groupe de mercenaires étrangers parmi lesquels des Algériens, sans citer leur nombre. Lorsqu’il s’est entretenu avec eux, ils lui auraient déclaré avoir été envoyés en mission par le gouvernement algérien et qu’ils auraient été recrutés par les services algériens pour aller combattre Al Qaîda, à l’est de la Libye. Ils auraient également révélé qu’ils seraient au nombre de 2000 à 3000 à être enrôlés dans les rangs des phalanges d’El Gueddafi, en contrepartie d’une bonne situation financière en Libye, avec un emploi, une fois la guerre terminée. Selon toujours la lettre, ces mercenaires étaient convaincus qu’ils étaient en mission officielle et légale, sous la responsabilité du gouvernement algérien, sinon ils n’auraient pas accepté la mission. La ligue libyenne a rappelé le droit international pour affirmer que les mercenaires ne seront pas considérés comme des détenus de guerre et, de ce fait, sont passibles de poursuites pour avoir enfreint le droit international en matière de conflit armé, mais aussi pour crimes de guerre si leur implication est avérée.

 

– Que voulait au juste la Ligue libyenne en adressant cette lettre aux dirigeants des deux Ligues algériennes des droits de l’homme ?

En fait, la Ligue libyenne voulait attirer l’attention sur cette affaire et en même temps informer l’opinion publique algérienne sur la gravité des faits et surtout sur la position de l’Algérie, par rapport à la situation en Libye, jugée choquante. Elle a précisé qu’elle compte prendre une initiative auprès du Conseil de transition pour qu’il décide d’une grâce au profit des Algériens, afin qu’ils puissent retourner chez eux, en toute sécurité.

 

– Quelle a été votre réponse ?

J’ai reçu cette lettre par mail, le 15 avril, alors que je me trouvais au Maroc. Je prenais part à la réunion de la Coordination maghrébine des organisations des droits de l’homme, et à laquelle était présent Ali Zidane, représentant du Conseil de transition libyen en Europe, et membre de la Ligue libyenne des droits de l’homme. Lui-même a été surpris du contenu de la lettre. L’Organisation marocaine des droits de l’homme a saisi l’occasion pour demander la condamnation de l’Algérie. J’ai dit qu’il faut d’abord obtenir la filiation des quatre Algériens, leurs dates de naissance, surtout les parties qui leur ont délivré les papiers d’identité et de voyage pour vérifier si effectivement ce sont avant tout des Algériens et prendre par la suite les mesures qu’il faut. Ali Zidane était de mon avis. Il a exprimé son étonnement et précisé que l’Algérie a de tout temps été du côté de l’opposition libyenne. Ce qui est une vérité. J’ai d’ailleurs rappelé l’histoire de l’opposant Mansour Al Kikhia qui circulait avec un passeport algérien au début des années 1990. En 1993, les Américains, qui préparaient un coup d’Etat contre El Gueddafi, ont utilisé les Libyens détenus au Tchad, qui étaient à l’époque au nombre de 3000. Mansour avait joué un grand rôle dans cette opération. Mais il a été enlevé de sa chambre d’hôtel au Caire, en décembre 1993, et n’a plus donné signe de vie. Sa femme a fait grand bruit autour de cette disparition. Elle a fini par être reçue à la Maison-Blanche, où des responsables lui ont affirmé que son mari a été enlevé par les services libyens et qu’ils l’avaient tué, en faisant disparaître son corps en le trempant dans l’acide. L’Organisation arabe des droits de l’homme a été saisie, et un groupe d’avocats a été constitué, dont je faisais partie, pour poursuivre en justice le gouvernement égyptien. Ce dernier a été condamné à un dédommagement à la veuve. Quand j’ai rappelé cet événement, Ali Zidane a tenu à mettre l’accent sur le soutien de l’Algérie aux opposants libyens. Il a joint par téléphone ses compatriotes à Benghazi qui l’ont informé de l’existence de 4 détenus algériens. Il a promis que dès son retour il les interrogera et informera la ligue. Il a demandé aux Marocains de cesser de parler de déclarations qui restent jusque-là infondées arguant du fait que l’Algérie a toujours été du côté de l’opposition, étant donné que lui-même a de tout temps été opposant. Il leur a demandé d’attendre jusqu’à ce que des vérifications soient faites par lui-même à Benghazi. En tant que président de la Ligue, le 16 avril 2010, j’ai répondu par écrit, à partir de Rabat, à la Ligue libyenne, lui demandant de nous transmettre la filiation exacte des détenus présentés comme étant des Algériens, pour pouvoir vérifier leur identité et prendre les mesures qu’il faut.

 

– A votre avis, que cache cette affaire ?

Les événements de la Libye constituent une situation inédite en matière de droit humanitaire international, tout simplement parce que l’opposition est armée. Elle utilise de l’armement de guerre contre une armée régulière. Ce qui rend difficile la mission des militants des droits de l’homme. Quelle position vont-ils adopter et dans quel sens ? Leur seul souci pour l’instant est de préserver la vie des civils, mais comment le faire entre deux armées ? Même la résolution 1973 du Conseil de sécurité n’est pas claire. Sa mise en application a été confrontée à des contraintes et malheureusement le gouvernement français tente d’influencer certaines organisations de droits de l’homme, à travers la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), pour les pousser à demander l’armement de l’opposition. Ce qui est très dangereux. Les ONG humanitaires ont de tout temps évité de s’impliquer dans les conflits armés, en faisant en sorte que leur seul souci soit celui d’être du côté de la population civile afin qu’elle puisse être protégée.
Salima Tlemçani