L’avenir démocratique en Égypte est-il compromis ?

L’avenir démocratique en Égypte est-il compromis ?

Boubekeur Ait Benali, 18 juillet 2013

Il y a des définitions qui sont limpide. Quand l’armée dépose un président élu, cela s’appelle uniment un coup d’État. Qu’on le veuille ou non, cette acception n’admet aucune exception. Et ce n’est surtout pas aux Américains, spécialistes en la matière, qu’il faudrait rappeler cette évidence. Cela dit, existe-t-il alors une situation –puisque le coup de force militaire en Égypte est présenté comme un acte révolutionnaire –, où le coup d’État n’en est pas un ? Sous prétexte que la population est descendue dans la rue, l’armée égyptienne peut-elle déposer le président démocratiquement élu, en l’occurrence Mohamed Morsi, tout en se conformant à la légalité constitutionnelle ? Bien que leur acte ne soit pas désavoué par les Occidentaux [ils parlent même de la continuité de la révolution], les Égyptiens se rendront compte plus tard, comme les Algériens l’ont compris très vite après le putsch du 11 janvier 1992, que le coup d’État n’apporte que des malheurs.

En tout cas, bien que le soutien occidental ne soit pas tacite, force est de reconnaitre que leur attitude, tendant à faire passer ce coup de force pour l’acte II de la révolution, porte un coup fatal à la démocratie dans cette région sensible. « En s’empressant de prendre acte du coup d’État armé contre un de ces « mauvais » verdicts des urnes dont ils avaient mis, en Palestine notamment, des semaines ou des mois à s’accommoder, l’UE (Union européenne) et les États-Unis ont tristement renoué avec leurs vieux démons », déplore François Burgat. Quoi qu’il en soit, en agissant de la sorte, ces puissances discréditent avant tout leur modèle. Au du moins, on peut avoir la certitude que l’application des principes universels auxquels ils œuvrent sans vergogne chez eux n’ont aucune valeur au-delà de leurs frontières. Comme le dit si bien, Jack Brown, « éditeur d’international boulevard », les positions des Occidentaux sont « à géométrie et à géographie très variable ».

Cependant, sur le plan interne –la démocratie égyptienne ne peut être protégée que par les siens –, le recours au coup d’État risque de plonger le pays dans une crise encore plus abyssale. En effet, à la crise économique sévissant depuis des années, il s’ajoute désormais l’instabilité politique. Du coup, dix-huit mois après avoir donné une leçon au monde entier, en réussissant pacifiquement à se libérer de la dictature, l’Égypte retourne à la case de départ. Est-ce que l’absence des résultats économiques est à ce point catastrophique pour remettre en cause les acquis démocratiques ? En sus, bien que l’opinion puisse reprocher au président Morsi les mauvais résultats économiques, force est de reconnaitre qu’à son arrivée au pouvoir, la crise était déjà là. De la même manière, la fuite des capitaux étrangers, due au climat révolutionnaire depuis 2011, n’est pas imputable à l’élection de Morsi.

Incontestablement, la préoccupation de ces capitalistes n’a jamais été, et elle ne le sera jamais, philanthropique. Elle est en revanche motivée par le profit. Quant aux exigences du FMI, les conditions sont tellement draconiennes –elles visent notamment la réduction des subventions des produits de première nécessité –que le président Morsi les a rejetées. Se souciant de la situation des Égyptiens de condition modeste –il se peut qu’il cache son jeu –, le président Morsi contrarie indubitablement certains appétits. Car, en Égypte ou dans tous les pays, les détenteurs des grands capitaux n’admettent pas que leur marge de bénéfice soit diminuée. Et ce ne sont pas les généraux, dont le salaire à la fin de carrière avoisine les 20000 euros par mois, qui vont soutenir une telle politique.

Ainsi, à défaut de consentir des efforts, la panique s’en saisit des militaires. « Il faut rappeler que depuis des décennies l’armée gère près de 40% du secteur économique et elle est le premier récipiendaire de la manne américaine annuelle de 1,5 milliard de dollars », note Tariq Ramadan sur son blog. Du coup, le coup d’État en Égypte, d’après des révélations, a été décidé bien avant le 30 juin. Selon Reuters, écrit François Burgat, le 17 juillet 2013, sur son compte facebook, « le coup d’État aurait été en préparation depuis plusieurs mois. » À la colère des opposants, les militaires ont manœuvré en sous-main en vue de refermer la parenthèse démocratique. Tout compte fait, à ceux qui croient que l’Égypte retrouvera le chemin de la démocratie de sitôt, l’exemple algérien, comme le montre la difficile succession de Bouteflika, constitue une référence. Evidemment, l’apparence civile sera toujours maintenue. De la même façon, le calendrier électoral sera respecté. Mais, comme en Algérie, les résultats conforteront toujours les organisateurs des élections.

En somme, bien que les alliés, intérieurs et extérieurs, puissent apporter de l’eau au moulin des putschistes [en un temps recors, plus de 12 milliards de dollars atterrissent dans les caisses de l’État égyptien], la stabilité de l’Égypte, et le cas algérien constitue encore une fois la preuve tangible, sera précaire. Pour le moment, les Frères musulmans revendiquent pacifiquement le retour à la légalité. Ainsi, malgré la multiplication des provocations [51 militants pros Morsi sont tués], le scénario algérien est pour le moment évité. Jusqu’à quelle limite de répression le sang des soutiens de Morsi restera-t-il froid ? « Les semaines à venir révéleront encore davantage les différents scenarii envisagés pour faire accepter le caractère civil de cet État militaire », conclut Tariq Ramadan.

Ait Benali Boubekeur