On ne joue pas avec le pétrole

ON NE JOUE PAS AVEC LE PETROLE

par M. Saadoune, Le Quotidien d’Oran, 28 janvier 2012

L’Algérie n’est pas l’Arabie Saoudite : elle ne participera pas, ni directement ni indirectement, aux manœuvres en cours destinées à étrangler économiquement l’Iran en prélude, probablement, à une guerre à outrance. Décodé sans fioritures et sans langue de bois diplomatique, c’est bien le sens qu’on est tenté de donner à la mise au point formulée jeudi par le ministre de l’Energie et des Mines. M. Youcef Yousfi a en effet indiqué que l’Algérie n’allait pas modifier son programme d’exportations de pétrole.

La précision n’est pas anodine. L’Union européenne a décidé d’imposer, à partir de juillet prochain, un embargo sur le pétrole iranien sur fond d’assurances que l’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe compenseront la production iranienne mise sous embargo. Personne ne peut dénier aux Iraniens le droit de voir dans la décision européenne – comme dans les promesses de compensation saoudiennes – des actes hostiles et graves. A Téhéran, des députés ont d’ailleurs estimé qu’il ne faut pas attendre juillet – et donc laisser le temps aux pays européens de rechercher d’autres fournisseurs – pour cesser la vente du pétrole.

Un projet de loi obligeant le gouvernement iranien à cesser, rapidement, la vente de pétrole à l’Europe est en cours de discussion. Ce seront donc 20% de la production iranienne destinés à l’Europe, principalement l’Italie, l’Espagne et la Grèce, qui vont manquer au marché rapidement ou dans quelques mois et que les Saoudiens ont promis de compenser en ouvrant les vannes. Dans ce contexte, la précision du ministre de l’Energie que l’Algérie n’entendait pas modifier son programme d’exportations est une prise de distance implicite mais claire à l’égard du jeu malsain des producteurs du Golfe.

Au demeurant, on peut ajouter que l’Opep ne peut en aucun cas – et sous peine d’implosion – accepter de participer ou de soutenir à travers une augmentation des quotas de production une action hostile contre un de ses membres. L’Arabie Saoudite ne devra donc pas compter sur une couverture de l’Opep au nom du «rééquilibrage» du marché, qui est en réalité une contribution à la guerre annoncée contre l’Iran.

M. Yousfi avait-il par ailleurs à l’esprit les déclarations faites à des médias anglo-saxons par son prédécesseur, Chakib Khelil ? Ce dernier a déclaré, il y a plus d’une semaine et sous l’aspect d’un «avis d’expert», que les pays de l’Opep étaient en mesure de compenser la production iranienne en cas d’embargo européen. Sans l’évoquer ni de près ni de loin, dans sa réponse, il y a peut-être un souci de lever les équivoques. Les reprises intenses des propos de Chakib Khelil par les agences de presse ont moins mis en exergue son expertise en matière pétrolière que sa qualité «politique» d’ancien ministre algérien et d’ancien président de l’Opep.

Au fond, même les précisions de M. Yousfi ne visaient pas à tacler son prédécesseur : il est salutaire qu’elles établissent de manière claire que l’Algérie ne participera pas à la création des «conditions» propices à la guerre. Et on peut penser qu’elle n’est pas la seule au sein des pays de l’Opep à ne pas accepter que l’organisation se fourvoie dans ces terrains scabreux. Et sans gloire.