Al Zarkaoui dément avoir tué les deux diplomates algériens

AL ZARKAOUI DÉMENT AVOIR TUÉ LES DEUX DIPLOMATES ALGÉRIENS

Vérité ou intox?

L’Expression, 31 juillet 2005

Cinq jours après avoir exécuté les deux diplomates algériens, Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi, le groupe preneur d’otages appelé Qaîda du djihad en Mésopotamie, et dirigé par Abou Mossaâb Al Zarkaoui, fait volte-face et nie toute implication dans la prise d’otages et l’exécution qui a ciblé le diplomate égyptien, Ihab Chérif, puis les deux diplomates algériens, Ali Belaroussi et Azzedine Belkadi.
Dans un message mis en ligne sur son site Internet et repris par plusieurs sites islamistes et chaînes satellitaires arabes, dont Islamtoday et Al Arabiya, le groupe d’Al Zarkaoui affirme que «les moudjahidine en Mésopotamie se lavent les mains de la mort des trois diplomates», assassinés à Bagdad durant la dernière quinzaine du mois de juillet.

Un rapt aux contours flous

Le texte intitulé «Aux musulmans en général à propos de la mise à mort des trois diplomates», met en garde: «Toute communication ou cassette vidéo concernant l’exécution des trois diplomates et imputée au groupe Al Zarkaoui, n’est que mensonge et diffamation, et nous mettons en garde contre toute accusation portée contre nous.»
Le communiqué qualifie tout coup porté aux Irakiens de «main criminelle» et ajoute que «les services de renseignement égyptiens et algériens savent que le groupe d’Al Zarkaoui n’est pas l’auteur de ces exécutions».
Concernant le cas des Algériens mis à mort, le texte révèle qu’«une rencontre secrète a eu lieu entre le groupe d’Al Zarkaoui et les services spéciaux algériens dans une des caches du groupe à Bagdad», et que la djamaâ d’Al Zarkaoui a juré n’être pas impliquée dans le rapt, mais qu’elle fera tout pour aider à découvrir le lieu où se trouvaient les deux otages. La rencontre a été enregistrée par le son et l’image, ajoute le texte du communiqué.
Pour percer à jour cette scabreuse affaire, le groupe d’Al Zarkaoui dit avoir kidnappé «un membre de l’armée irakienne», lequel a reconnu que c’est «une équipe chargée de surveiller des personnalités politiques précises qui est l’auteur du kidnapping», et qu’elle a remis les otages «aux forces américaines après les avoir amenés dans un endroit proche de l’aéroport de Bagdad».
Le groupe d’Al Zarkaoui «défie quiconque pourrait apporter des preuves» sur son implication dans le rapt et l’exécution des diplomates, accusant nommément les Américains de les avoir tués. Selon le communiqué, la bonne foi du groupe d’Al Zarkaoui est vérifiable encore sur plusieurs autres points, tels par exemple «l’absence de tout homme du groupe dans la cassette vidéo» montrant les deux Algériens déclinant leur identité. Le communiqué précise que «les membres du groupe d’Al Zarkaoui sont toujours présents dans les séquences filmées», car ceci est leur «démarche habituelle» pour ajouter foi à la vidéo. De surcroît, le groupe d’Al Zarkaoui «ne fait jamais bander les yeux de ses otages», car il n’y a aucune utilité à prendre cette précaution, et que «Al Zarkaoui laisse toujours les otages lancer des SOS à leurs familles et à leurs gouvernements».
Et pour clore cet argumentaire, Al Zarkaoui affirme qu’il filme toujours la scène de la mise à mort de ses otages. Concernant celle des deux diplomates algériens, il dit qu’ils ont été «achevés par balles», selon les aveux du chef militaire irakien séquestré. Le communiqué chute sur cette approche – très politique – de la manipulation dont il dit être l’objet: «Cette double affaire tend à ternir l’image des moudjahidine en Mésopotamie», et les Algériens, comme les Egyptiens, «sont avisés en matière de manipulation de la part des grandes puissances et que le ciblage dont ont fait l’objet l’Algérie et l’Egypte, deux grandes nations du monde arabe, en est le meilleur exemple». Cela étant dit, «le groupe d’Al Zarkaoui – s’il était réellement l’auteur des assassinats – aurait pu commencer par les diplomates des pays non arabes».
Alors, vérité ou intox? Al Zarkaoui a-t-il fait volte-face? Vient-il à peine de mesurer l’étendue du discrédit qu’il a porté à son propre combat? Ou vient-il de mettre à nu des manipulations qui, en fait, n’échappent à personne? Autant de questions qui se posent à longueur de ligne et dont on ne peut vérifier ni la teneur exacte ni la réponse la plus concrète tant le doute, la manipulation et l’intox, en temps de guerre, sont monnaie courante.
Evidemment, après avoir évalué les conséquences de la mise à mort des deux Algériens, le groupe d’Al Zarkaoui peut reculer, récuser les accusations et dire qu’il est la victime, non le coupable de cette affaire, qui a choqué les Algériens.

Logique de guerre
La logique veut que le groupe auteur du rapt et de l’exécution des diplomates soit celui d’Al Zarkaoui. Pour plusieurs raisons, car il y a une logique, une suite dans le film des événements. En janvier 2005 déjà, le groupe d’Al Zarkaoui avait appelé à boycotter les législatives en Irak. L’appel au boycott avait été assorti d’une menace de mort pour quiconque ajouterait foi aux élections. Al Qaîda, par la voix d’Oussama Ben Laden lui-même, dans un communiqué qui avait intronisé Abou Mossaâb Al Zarkaoui, «émir d’Al Qaîda en Mésopotamie» (Bilad Er-Rafidayn), appelle les Irakiens à un boycott général. Les sunnites se sont abstenus, mais la coalition kurdo-chiite a fait réussir le scrutin. Résultat: le Parlement choisit un président kurde et un chef du gouvernement chiite. Les sunnites se sont retrouvés out. Conséquence de cette élimination programmée: le groupe d’Al Zarkaoui déclare la guerre à la coalition kurdo-chiite et menace d’exécuter toute personne qui reconnaîtrait le nouveau gouvernement mis sur place dans des conditions, certes, très discutables et largement soumises aux exigences américaines.
Cette logique, ce suivi dans la menace, serions-nous tentés de dire, a été vérifié dans des attaques lancées contre plusieurs chancelleries arabes à Bagdad, dont celles de la Jordanie, et contre le représentant diplomatique de Bahreïn. De ce point de vue, le rapt et l’exécution des trois diplomates, l’Egyptien et les deux Algériens, obéissent à une logique du groupe.
Il y a aussi le fait avéré que le groupe d’Al Zarkaoui n’a pas réagi après le premier communiqué signé en son nom et portant rapt des deux diplomates algériens, ni après le film-vidéo montrant les deux otages, yeux bandés, déclinant leur identité, ni immédiatement après l’exécution, annoncée mercredi passé. On peut aussi spéculer sur la véracité de ce texte qui porte une volte-face édifiante ou sur l’authenticité du communiqué. S’agit-il réellement d’un communiqué d’Al Zarkaoui lui-même ou d’un groupe qui lui est proche, afin de «rectifier le tir» de leur chef? Car il faut le dire, les conséquences du double assassinat des diplomates algériens en Irak par un groupe islamique ont été très lourdes au plan politique pour les ravisseurs.
Cependant, et comme nous l’avons déjà dit, en temps de guerre, la vérité n’est pas la meilleure part de l’histoire, et il serait vain de revenir sur le monde opaque des groupes armés en Irak. Leur existence même fait partie de la survie de plusieurs groupes d’intérêt qui s’y trouvent. C’est un peu grâce à ce magma politico-religieux enchevêtré que le Kurde Jalal Talabani est président d’Etat, que le chiite Ibrahim Al-Jaâfari est Premier ministre, que les troupes militaires et policières irakiennes se font tuer par centaines chaque jour, que des djihadistes salafistes non arabes, dont 380 Algériens, se trouvent au coeur de la guérilla, que 4000.000 de baâthistes, qui ont fait l’histoire de l’Irak depuis quarante ans, se trouvent mis hors circuit et que quelque 100.000 anciens officiers militaires et du renseignement irakiens de haut rang se trouvent jetés, tête la première, dans la résistance irakienne. Voir clair dans ce magma irakien, qui commence à faire peur à Donald Rumsfeld lui-même, relève de la prétention.

Fayçal OUKACI