Atteintes aux droits civils et politiques: Des députés réclament une commission d’enquête

Atteintes aux droits civils et politiques

Des députés réclament une commission d’enquête

El Watan, 26 mai 2011

Un groupe d’une vingtaine de députés demande la création d’une commission d’enquête parlementaire sur l’état de l’exercice des libertés publiques et des droits civils et politiques.

Cette commission d’enquête, comme l’expliquent ses initiateurs, se chargera d’évaluer et d’examiner les violations dont font état l’opinion publique, les acteurs politiques et sociaux et les citoyens. «L’Assemblée populaire nationale, en charge de la protection des libertés fondamentales de par l’article 122-1, doit être fidèle au peuple et à l’écoute permanente de ses aspirations, conformément à l’article 100 de la Constitution», ont-ils souligné dans un communiqué rendu public hier. Cette commission se penchera également sur «la problématique de la régression des libertés publiques et des droits civils, ses visées, ses circonstances, ses justifications et ses effets sur les citoyens et les institutions».

Les députés, initiateurs de cette démarche pour le moins louable dans une APN qui sombre dans la léthargie, veulent, à travers la création de cette commission, lancer des «investigations poussées» auprès de toutes les parties concernées, notamment les départements et les institutions en charge et en rapport avec les libertés et les organisations de la société civile et politique.
Elle permettra également d’auditionner «les personnalités de ressources», de collecter des documents et des preuves et de les soumettre en toute indépendance à une expertise hautement qualifiée pour déterminer les responsabilités et les actes de chacun. Autre objectif de cette commission, l’élaboration d’un rapport complet sur l’effectivité de l’exercice des droits et libertés dans notre pays. Ce même rapport contiendra des propositions susceptibles de «mieux garantir» le respect des droits et d’éviter la reproduction des violations.

Les signataires, dont Ali Brahimi, Tarek Mira et Djamel Ferdjallah, expliquent leur démarche par de «nombreuses» violations des droits civils et politiques constatées ces dernières années. Pour eux, la réalité est accablante. Même après l’abrogation de l’état d’urgence, des témoignages quotidiens de victimes et des médias signalent des atteintes aux libertés individuelles et collectives de la part d’institutions et d’agents de l’Etat censés les protéger. Ils estiment que «la généralisation de protestations sociales, parfois violentes, dans tout le pays, confirme une absence de dialogue et de médiations révélatrice de graves dysfonctionnements dans le dispositif des droits et libertés». «Les institutions internationales et autres ONG des droits de l’homme auraient-elles donc, plus que nous, à cœur la liberté et les droits de nos concitoyens ?» se sont-ils interrogés dans le même communiqué.

Mokrane Ait Ouarabi

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Texte de la proposition

Alger le 25/05/2011

 

A Son Excellence,

Monsieur le Président de l’Assemblée Populaire Nationale

 

Objet : Proposition de Résolution portant demande de création d’une Commission d’enquête parlementaire sur l’état des droits civils et politiques et des libertés publiques en Algérie.

Délégué des signataires de la Résolution : Ali BRAHIMI

INTRODUCTION

A l’instar de celles des pays démocratiques du concert des Nations, la Constitution algérienne, en son chapitre IV , consacre l’essentiel des libertés fondamentales et des droits de l’Homme en cours dans un Etat moderne et démocratique. L’article 32 de notre texte suprême en énonce le principe général tandis que l’article 33 garantit aux citoyens, individuellement ou collectivement, le droit de les défendre.

Sont solennellement proclamés et garantis l’inviolabilité de la personne humaine et du domicile (art. 34 et 40), les libertés de conscience, d’opinion, de résidence et de circulation (art.36 et 44), le secret de « la correspondance et de la communication sous toutes ses formes » (art.39). Les principes de présomption d’innocence et de légalité des délits et des peines sont établis tandis que la détention préventive est limitée et assortie du contrôle judiciaire (art. 45,46 et 47). L’égalité des citoyens devant la Loi et le service public ainsi que le droit à la réparation de l’erreur judiciaire sont confirmés (art. 29 et 49).

Les libertés d’expression en général et de création intellectuelle, artistique et scientifique, en particulier, sont reconnues à tout citoyen (art. 38 et 42).

La liberté d’organisation, dans ses dimensions multiples de droits de réunion, d’association, de création de syndicats et de partis politiques, et de grève, est affirmée et protégée par les articles respectifs 33,41,42,43 et 57 de la Constitution.

Nombre de traités et de conventions internationales signés par l’Algérie confortent ce dispositif constitutionnel.

Pourtant, dans la réalité, même après l’abrogation de l’état d’urgence, des témoignages quotidiens de victimes et/ou les médias signalent des atteintes aux libertés individuelles et collectives de la part d’institutions et d’agents de l’Etat censés les protéger.

Des cas de sévices corporels, de censure et de contrôle divers sans décision judiciaire, de perturbations inexpliquées d’Internet, de détention préventive abusive, sont signalés.

Des interdictions de réunion et de manifestation sont dénoncées.

Jusqu’à tout récemment l’accès aux médias publics, notamment audio visuels, était interdit à tout pluralisme d’opinion. Leur récente ouverture reconduit encore arbitrairement l’exclusion de certains acteurs politiques et sociaux.

La préférence donnée par les pouvoirs publics à l’UGTA sur tous les autres partenaires sociaux représentatifs est une discrimination attentatoire aux libertés syndicales. Dès et depuis 1989, la consécration juridique du pluralisme était démentie par le refus constant d’agréer des syndicats étudiants non inféodés aux partis politiques au pouvoir.

Les difficultés signalées par des citoyens contre la liberté de créer des associations, particulièrement, au-delà du périmètre territorial d’une commune, vont dans le même sens.

L’instrumentalisation de l’appareil judiciaire et de la Loi contre le droit de grève et la liberté de presse n’exprime-t-elle pas une volonté d’homogénéisation du champ politique contraire à la Loi et aux aspirations démocratiques de la société.

 

Des Ministres de la République dont celui en charge de l’intérieur ont affirmé et confirmé publiquement et même tout récemment, à plusieurs reprises, sans raison légale évoquer et sans être rappelés à l’ordre, une option officielle de refuser la création de nouvelles formations politiques.

Y’aurait-il une circulaire, un décret ou une ordonnance non connus qui aurait configuré et figé arbitrairement et administrativement le champ politique en lieu et place de la Loi sur les partis en vigueur?

Des citoyens auraient-ils donc, seuls, à l’exclusion de tout autre, le monopole du droit de création de partis politiques, de syndicats et d’associations ? Les dispositions constitutionnelles seraient-elles donc sujettes à marchandage politique et partisan clientéliste ? Ce qui est sûr, c’est que l’Algérie et le peuple algérien sont victimes d’un style de gouvernement qui gèle les lois lorsqu ‘elles n’agréent pas le pouvoir.

Le chapitre IV de notre texte fondamental relatif aux libertés politiques et droits civils serait-il donc suspendu par le gouvernement sans que les citoyens n’en soient informés ? Qu’est ce qui autorise donc le gouvernement à geler des lois en vigueur ?

Il est légitime de poser la question : à défaut de parti unique, l’Algérie est-elle tombée dans le règne de la pensée unique?

La récurrence et les manifestations multiformes des violations de la Loi en la matière interpellent gravement, en particulier l’instance parlementaire en charge de la promotion et de la protection des libertés, de par l’article 122 de la Constitution.

Loin de réduire les aspirations des citoyens à des questions de tube digestif, la généralisation de protestations sociales, parfois violentes, dans tout le pays, confirme une absence de dialogue et de médiations révélateurs de graves disfonctionnements dans le dispositif des droits et libertés.

Les institutions internationales et autres ONG des droits de l’Homme auraient-elles donc, plus que nous, à cœur la liberté et les droits de nos concitoyens?

Toutes ces questions méritent d’être posées au vu de la grande régression en ce domaine ces dernières années.

En matière de réforme, la réhabilitation et la promotion du dispositif des droits et libertés en vigueur est un préalable à tout projet de changement démocratique. Oui, il est très important de protéger, conforter et surtout appliquer les droits et libertés consacrés par la législation en vigueur et acquis souvent dans les larmes et le sang. En effet, à la base, l’Etat de droit est d’abord l’Etat qui applique ses lois et qui fait du Droit l’instrument fondamental de ses rapports avec les citoyens et de ceux-ci entre eux.

C’est là un impératif pour toute relance sérieuse du processus démocratique et même à tout redressement de la gouvernance socio-économique.

Il est donc urgent pour l’Assemblée nationale d’enquêter sur l’état de l’exercice et du respect des libertés publiques et des droits civils et politiques.

L’Assemblée populaire nationale en charge de la protection des libertés fondamentales de par l’article 122-1, doit être fidèle au peuple et à l’écoute permanente de ses aspirations conformément à l’article 100 de la Constitution.

Sur la base de toutes les données sus citées, nous proposons à l’Assemblée populaire nationale la mise en place d’une Commission d’enquête parlementaire en vue de constater l’état de l’exercice des libertés publiques et des droits civils et politiques.

 

Proposition de Résolution

Nous, Députés soussignés,

Conformément aux dispositions constitutionnelles notamment les articles 99, 100, 159, 161;

Conformément à la Loi organique 99-02 du 08 mars 1999 portant organisation de l’Assemblée populaire nationale et du Conseil de la nation et de leurs relations fonctionnelles entre eux et avec le Gouvernement, notamment les articles 76 à 86.

Conformément à la Loi 01-01 du 31 janvier 2001 relative au membre du Parlement, notamment ses articles 5,7 et 8.

Conformément au Règlement intérieur de l’Assemblée populaire nationale du 30 juillet 2000, notamment son article 69.

Proposons :

1.

La création d’une commission d’enquête pour évaluer et apprécier l’exercice des droits civils et politiques et des libertés publiques en Algérie à la lumière des dispositions juridiques y afférentes en vue d’examiner les violations dont fait état l’opinion publique, des acteurs politiques et sociaux et des citoyens.

2.

La Commission cernera les termes de la problématique de la régression des libertés publiques et droits civils, ses visées, ses circonstances, ses justifications et ses effets sur les citoyens, les institutions et l’Etat à travers une investigation poussée auprès de toutes les parties concernées notamment les Départements et institutions en charge ou en rapport avec les libertés et les organisations de la Société civile et politique et autres personnalités ressources, ce par l’audition de toute personne et responsable concernés ainsi que par la collecte de documents et de preuves et la sollicitation de toute expertise nécessaire.

3.

Outre une évaluation générale de notre législation la Commission aura à présenter un rapport sur l’effectivité de l’exercice des droits et libertés dans notre pays ainsi que des propositions susceptibles de mieux garantir cet objectif à l’avenir afin d’éviter la reproduction des violations décrites en introduction.

Liste des signataires

Ali BRAHIMI , MEZIANE Belkacem, STIET Mohamed , Madjid BEKTACHE, YAICI Rachid, Tarik MIRA , Mohamed ALLAG, Ibrahim ZITOUNI TRAD, CHIBANE Abderazak , FERDJALLAH Djamel, FILALI Ghouini, HADIBI Mohamed, Naima FARHI, Tadjouri BENABDELLAH, DRIHEM Abdelkader, DAHMANI Hamid, DJABALLAH Fatima ; CHAAB Salah, DRALI El Hadi, LAKEHAL Abdelmalek, GHERBI mohamed, KHANCHOUL Ahmed, DJAMEL BEN HADOU ?, MBAREK merzoug, AMMARI HOCINE , TAHAR sid ahmed, AOUNALLAH abdelhamid