L’algérie face à la poudrière sahélienne

La stabilité de la sous-région à l’ordre du jour

L’algérie face à la poudrière sahélienne

Par : Djamel Bouatta, Liberté, 2 octobre 2007

Derrière le réveil de la rébellion au Niger et au Mali, les portes du sud de l’Algérie, se profile une stratégie qui vise à embraser l’ensemble du Sahel. Pétrole, uranium, islamisme, Touaregs, une compilation d’ingrédients explosifs. La libération des otages grâce à la médiation algérienne remet en selle le rôle d’Alger dans la stabilisation de la sous-région.

La réactivation de la rébellion touareg donnée il y a peu pour réglée, grâce à des accords avec les États nigérien et malien, doit certainement obéir à une logique qui dépasse ses acteurs directs. Embuscades contre des patrouilles de l’armée régulière, convois, civils et militaires, sautant sur des mines, paysans rackettés, opérateurs pétroliers et miniers priés de plier bagage… Le Mali et le Niger renouent avec le vieux démon touareg. À Tédjérète, dans le nord-est du Mali, près de la frontière nigérienne, Ibrahim Ag-Bahanga fait parler de lui en s’attaquant à l’armée. Du côté de la frontière, au Niger, les combats font rage depuis février entre rebelles touareg et armée. L’état de siège a été décrété dans le nord. La concomitance de la reprise de la rébellion dans les deux pays n’est pas fortuite. Il n’y a pas que Niamey et Bamako à avoir des sueurs froides. Les autres pays du Sahel et leur voisinage sont également inquiets par la menace de régionalisation d’un conflit qui n’est pas que d’ordre identitaire, comme cela avait été le cas dans les années 1990.

La crainte d’une régionalisation du conflit est réelle, la question touchant directement six pays (outre le Mali et le Niger, la Mauritanie, l’Algérie, le Tchad et la Libye). Avant de voir les nouvelles pistes, il y a lieu de rappeler brièvement la genèse de la question des Touaregs. Leur révolte au Niger et au Mali, fondée sur des revendications d’ordre politique, même si la question identitaire en avait constitué le ciment, avait trouvé des solutions après de multiples missions de bons offices menées par des pays voisins, dont l’Algérie principalement. Les accords de paix signés en 1996 au Niger, sous le parrainage de l’Algérie, rétablissaient le calme dans la région. Un an auparavant, en mars 1995, à Tombouctou, au Mali, les rebelles de l’Azawad mettaient leurs armes au bûcher, dans une cérémonie baptisée “Flamme de la paix”. Là aussi l’Algérie avait joué un rôle de premier plan alors qu’elle était plongée dans “la décennie rouge”. Dans les deux pays, des rebelles sont intégrés dans l’armée régulière, des plans de développement régionaux lancés… mais de nouveaux éléments, exogènes ceux-là, vont pousser des Touaregs à reprendre les armes. Une minorité de va-t-en-guerre succombe aux sirènes de la déstabilisation. Après les attentats du 11 septembre 2001 contre les États-Unis, Al-Qaïda investit le Sahel, distribuant argent et armes et se jouant des différences socio-ethniques fortement marquées par la pauvreté. La région est aride mais repose sur des richesses minérales, à l’uranium s’ajoute le pétrole. Ce qui aiguise des appétits. La France défend son carré et les États-Unis cherchent à s’y installer militairement, sous le couvert de la lutte contre le terrorisme. En filigrane, se reprofile également le vieux rêve de Kadhafi : une fédération du Sahel derrière son panache. Très vite, la région s’enfièvre, introduisant d’autres facteurs de déstabilisation. Le Sahel devient un carrefour de tous les trafics : drogue, tabac, armes, traite humaine… Le contrôle des axes commerciaux assure fortune et puissance aux seigneurs de la guerre qui sous-traitent pour Al-Qaïda. Les tensions deviennent de plus en plus vives, d’abord au Mali où c’est encore la médiation algérienne qui débouche sur un accord de paix signé le 4 juillet 2006. La trêve ne dure que quelques mois ; en mai 2007, un des signataires de l’accord d’Alger, Ibrahim Ag-Bahanga, entre en dissidence et mène des opérations à Tin Zawaten.Trois mois auparavant, au Niger, le Mouvement nigérien pour la justice (MNJ), une nouvelle rébellion dirigée par Agaly Alambo, lançait ses premières attaques meurtrières contre les forces armées. Des deux côtés de la frontière au sud de l’Algérie, les violences s’intensifient.

Ag-Bahanga : un vétéran de la “légion verte” de Kadhafi

Pour le Mouvement populaire de l’Azawad, principale force rebelle au Mali durant les années 1990, Ibrahim Ag-Bahanga n’a aucune légitimité. Ce n’était qu’un simple soldat de la rébellion mais, il était passé entre les mains de la “légion verte” formée à la fin des années 1980 par la Libye de Kadhafi pour semer son fameux Livre vert dans le Sahel. Ag-Bahanga a toujours été l’empêcheur de tourner en rond, mettant son grain de sable dans les solutions politiques. Quelques mois après la “Flamme de la paix”, il quittait l’armée malienne où il avait été intégré pour monter son propre maquis. Condamné par la grande figure touareg du Mali, Iyad Ag-Ghali, il s’acoquine avec le GSPC, puis avec Al-Qaïda Maghreb lorsque ce dernier proclamera son allégeance à la nébuleuse de Ben Laden dont elle devient, avec les autres groupes radicaux de la région, la franchise régionale d’Al-Qaïda. La jonction opérée, Ag-Bahanga fait parler de lui fin août. Il annonce la création de Alliance touareg Niger Mali (ATNM) pour donner plus de poids à ses activités. La presse malienne a, pour sa part, établi un lien entre la poussée de la rébellion à Tin Zawaten et la recherche par Washington d’un pays pour accueillir une base américaine dans le Sahel. Bush, qui a essuyé des refus, a organisé, en juin, des manœuvres militaires au Mali en partenariat avec 9 pays sahéliens et riverains.

L’initiative Pan Sahel, lancée en 2002 à la suite des attaques du 11 septembre 2001, a été remplacée en 2005 par l’initiative transsaharienne de lutte contre le terrorisme, intitulée “Flintlock”. Le programme devrait être doté, à partir de cette année, de 100 millions de dollars par an durant 5 ans. L’objectif, officiellement, reste le même : renforcer les capacités militaires des pays africains à contrôler leurs frontières et traquer les terroristes dans les sables sahariens. Pour corser tous ces calculs, stratégies et stratagèmes, il est annoncé la découverte de gisements pétrolifères dans… le maquis de Ag-Bahanga. Le président malien, Amadou Toumani Touré, qui ne veut pas voir le problème exploser, privilégie la carte du dialogue en confiant à Iyad Ag-Ghali, l’ancien rebelle devenu sénateur, la mission de convaincre Ag-Bahanga à déposer les armes. Ag-Ghali passe pour un expert en matière de négociations, c’est lui, a-t-on dit, qui avait obtenu la libération des touristes allemands enlevés par le GSPC dans le Sahara algérien en février 2003. Le chef des rebelles a annoncé, mardi dernier, une trêve, promettant de libérer les militaires maliens qu’il avait capturés. Mais, Ag-Bahanga est imprévisible tant ses commanditaires doivent être nombreux. Au Niger, un mystérieux MNJ accusé de courir pour Tripoli Côté nigérien, le leader du MNJ a un tout autre parcours. Chef de la rébellion touareg, Agaly Alambo, a intégré l’administration publique après la signature des accords de paix en 1996. Il est même devenu sous-préfet d’Arlit, riche région minière du nord du pays où active AREVA, le consortium français du nucléaire. Sous prétexte que le président Mamadou Tandja n’a pas respecté les engagements pris par ses prédécesseurs, l’homme reprend les armes en février 2007. En août, tandis que le Premier ministre nigérien, Seyni Oumarou, se rend Alger, le président Mamadou Tandja fait un voyage à Tripoli. Pour les Nigériens, le retour de l’insécurité au nord, est un vieux cauchemar qui remonte d’autant plus que les appétits étrangers pour le pétrole et l’uranium dont regorge cette région seraient, explique leur presse, au cœur du retour à la case 1990. Depuis l’attaque, en février dernier, d’un camp de l’armée à Iférouane, au nord-est d’Agadez, il ne se passe pratiquement pas de jour sans attaque d’objectifs stratégiques, dissémination de mines autour des villes et des axes routiers, interception de véhicules, racket de passagers et mort d’hommes. Les populations fuient les localités du Nord où les vivres manquent et où les maraîchers des vallées de l’Aïr ne peuvent plus cultiver en raison de la prolifération de mines. L’opérateur français Air Liberté, qui desservait l’aéroport international d’Agadez, a déclaré forfait pour la prochaine saison touristique, censée débuter en novembre.

L’édition 2007 de la “Cure salée”, la grande fête annuelle des éleveurs, a été zappée. La venue du MJN coïncide étrangement avec la montée de l’islamisme au sein d’une jeunesse frappée par le chômage ainsi qu’avec des remous autour de l’exploitation de l’uranium d’Agadez et la découverte d’immenses gisements de pétrole dans la zone limitrophe de la Libye. La presse nigérienne, pointe du doigt la Libye qui revendique le plateau du Manguéni gorgé de brut. En mai dernier, Tripoli s’est même permis d’exiger de Niamey de ne pas accorder de permis d’exploration dans cette zone ! Kadhafi n’a-t-il pas célébré en mars la fête du Mawled ennabaoui à Agadez ? Les Nigériens soupçonnent également la compagnie française Areva, qui détenait un monopole, de fait, de l’extraction de l’uranium au Niger, d’être de connivence avec les rebelles. Le consortium français aurait très mal accepté la décision de Niamey de diversifier ses partenaires dans la recherche et l’exploitation uranifère.

Carrefour de l’islamisme radical ?

La naissance d’Al-Qaïda Maghreb révèle tout l’intérêt que suscite la vaste région du Sahel pour les radicaux islamistes qui envisagent de la transformer en base arrière sinon en profondeur stratégique. On imagine les connexions qui pourraient être établies avec les islamistes de l’Afrique de l’Est, qui couvrent la Somalie, l’Erythrée, la Tanzanie, l’Ouganda, le Kenya, le Soudan bien sûr, et le Tchad où la France prête main-forte au régime d’Idriss Déby menacé par une rébellion. Dans l’Afrique de l’Ouest, le danger existe également au Nigeria où 12 États dans le nord de la fédération ont adopté la charia, à Maiduguri, dans l’extrême nord-est du pays, un mouvement d’étudiants fondamentalistes se dénomment eux-mêmes talibans, au Sénégal, bien que la confrérie des Mourides tienne bien en main l’islam, et en Mauritanie où les leaders islamistes libérés par les militaires au lendemain de leur coup d’État ne resteront sûrement pas les bras croisés. Au Mali, il y plus d’une centaine d’ONG islamiques dont la Daâwa qui s’est concentrée sur le milieu de la rébellion touareg. Le terreau pour le développement d’activités djihadistes sur le Sahel existe d’autant qu’il est sous-tendu par de multiples et puissants réseaux de contrebande. Quoi qu’il en soit, la menace est réelle et le restera tant que la pauvreté et l’exclusion persistent. En Algérie, il y a le GSPC qui, après s’être attaqué au Palais du gouvernement, a tenté d’assassiner le président Bouteflika dans un attentat kamikaze à Batna avant de faire sauter une caserne de gardes côtes à Dellys. Au Maroc, le GICM (Groupe islamique combattant marocain), impliqué dans les attentats de Casablanca en 2003 et de Madrid en 2004) est aux aguets après les kamikazes de cette année dans le royaume. La Tunisie n’est pas exempte, l’annonce du procès d’une trentaine de Tunisiens accusés d’être impliqués dans des affrontements armés avec les forces de sécurité rappelle que le pays est sous menace terroriste. Tunis a beau essayer de faire porter le chapeau au GSPC, la réalité reste que le pays est également travaillé par l’islamisme radical. Les inculpés se réclament d’une organisation baptisée “Soldats d’Assad Ibn Al Fourat”, affiliée, dit-on, à Al-Qaïda Maghreb. Dans sa dernière vidéo, dans laquelle il aborde plusieurs conflits du monde entier, le numéro deux d’Al-Qaïda, Ayman al Zaouahri, a ordonné à ses troupes maghrébines à nettoyer les terres du Maghreb des Français et des Espagnols, afin de rétablir le règne de l’islam, qui jadis s’étendait jusque dans le sud de l’Europe.
D. B.